France Inter - Les 3 co-auteurs
Credit : France Inter - Les 3 co-auteurs

…livre inévitable. Saluons la qualité du travail et le courage des 3 journalistes Franck Dedieu, Benjamin Masse-Stamberger et Adrien de Tricornot (resp. à L’Expansion, à l’Express et au Monde Economie) pour cet essai paru dans la très solide collection Le débat de Gallimard.

Du courage il en faut pour :

  • s’attaquer à l’un des piliers du Dogme, le libre-échange, et risquer ainsi la mise au ban par les prêtres grands et petits de cette religion des temps modernes
  • prendre le risque de se trouver en compagnie d’autres défenseurs du protectionnisme, moins fréquentables que nos auteurs ; voire se faire soupçonner de leur donner des arguments. Le protectionnisme est malheureusement défendu pour de mauvaises raisons ou plus précisément pour viser de mauvaises passions…
  • se voir rétorquer la litanie des idées reçues : le libre-échange c’est le progrès, la croissance, la paix (le « doux commerce » de Montesquieu) ; le protectionnisme c’est le repli sur soi, la peur de l’étranger, la régression, la défense des intérêts acquis, et pour finir la guerre ; mettre des barrières c’est risquer des rétorsions de la Chine qui pénaliseront notre pouvoir d’achat….
  • plaider pour un protectionnisme altruiste, au risque de se faire traiter de doux rêveurs, alors que, l’effondrement de la solidarité internationale est un problème gravissime.
  • accepter des échanges un peu houleux avec ses collègues dans ces trois medias traditionnellement libre-échangistes dont le lectorat (plutôt CSP +) est sans doute globalement bénéficiaire du libre-échange
  • proposer des solutions et une feuille de route au niveau européen, sans passer sous silence les obstacles réels. Le libre-échange à pour lui la simplicité de son programme : la réduction des obstacles tarifaires et non-tarifaires à l’échange, sans aucune référence à la gestion du change…En sortir ce n’est pas simple, cela nécessite de l’intelligence, de la volonté et du travail.

Ce livre est de qualité. Il est bien argumenté et convaincant. Il fait le tour des grandes questions sans tomber dans la caricature ou le plaidoyer ad hoc. En particulier il évoque bien l’articulation des protectionnismes (monétaire, industriel, social et écologique) et élimine les fausses pistes. Ils n’hésitent pas à aborder les questions qui fâchent (les paradis fiscaux et les prix de transfert, le cœur de la question fiscale en matière d’échanges). J’espère qu’il permettra à l’opinion publique de sortir de la culpabilisation générée par les libre-échangistes…Ah vous êtes protectionniste ? Mon pauvre ami…

Je n’ai qu’un léger regret, qui n’enlèvent rien à l’intérêt de l’ouvrage. Nos auteurs ne font pas référence au débat théorique actuel qui montre clairement la fragilité des hypothèses des modèles qui « démontraient » la supériorité du libre échange et la nécessité, dès que les hypothèses sont plus réalistes, de protections aux frontières. Je vous recommande à ce sujet le remarquable article de Gael Giraud dans le numéro 320 de la revue Projets qui permet d’y voir clair en quelques lignes.

Et l’écologie dans tout cela ? Le lien est évident et abordé dans le livre. Le libre-échange est un obstacle majeur à la prise en compte de l’écologie en Europe. Un seul exemple. Une tonne de ciment se vend en Europe 40 euros. Elle émet un peu moins d’une tonne de CO2. A 30 euros la tonne de CO2 , soit un peu moins en surcout de la tonne de ciment, il devient rentable pour les cimentiers de le faire venir de Chine, malgré le coût du transport. On comprend bien que la question écologique va dans le même sens que la question sociale. On ne peut mettre en concurrence loyale des industries qui ne supportent pas les mêmes contraintes.

Un programme de réindustrialisation verte ne pourra se déployer en Europe dans le cadre du libre-échange. Merci à nos trois auteurs d’en faire la preuve.

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2 Responses to “Inévitable protectionnisme…”

  1.   carlier a la plancha   25 janvier 2012 à 18 h 38 min

    je n’ai pas lu le livre, mais désaccord complet avec le présent post, qui contrairement à la victimisation tentée appartient (en fait) désormais au politiquement correct :

    – nous fetons un anniversaire : celui de la fin de la famine du grand bond an avant qui avait fait 30 millions de morts en chine. En ayant encore d’immenses problèmes, ce pays va mieux…et c’est une bonne nouvelle.

    – la question sociale revèle une incompréhension de la dynamique sociale dans les pays émergents (un ouvrier très sous payé dans un bidonville de bombay ou de schenzen aura une opinion sur son sort qui pourra être radicalement différente de ceux qui, à Paris ou à Macon, l’assimilent à un esclave) et évoquer une concurrence déloyale est quelque peu osé au regard de l’histoire : qui a employé les armes pour mettre par terre l’outil de production d’autrui au 18eme et 19 eme siècle ? qui a imposé une spécialisation des échanges aux pays du tiers monde ? mais bon le nouveau politiquement correct va hurler au « mauvais complexe colonial dont il faut se débarrasser pour ne plus être naif » (bombage de torse requis )
    – sur l’écologie, il me semble que le gros des emissions de co2 provient des USA et de l’Europe : vive une taxation de de l’UE et des USA qui pratiquent le dumping écologique !
    – je ne ferais surtout pas un procès d’intention au camarade grandjean mais il reste que la lepenisation des esprits est un mouvement fort de la dernière decennie et que le « protectionismement correct » l’alimente trop souvent y compris chez des hommes politiques que l’on pensait respectable (relativement à 2002/2007 on parle moins de l’immigré mais plus du péril jaune ou tout autre coloré qui a distance pique le boulot au français)
    – aucune demonstration théorique du libre échange n’est vraiment recevable et…. l’inverse non plus. c’est un dossier en fait assez pragmatique/chiant ou parfois on peut coller une barrière (industrie émergente par ex.) assez souvent on peut le faire mais ca n’a pas grand interêt
    – tout le pb est une question de dynamique d’innovation et de qualité des insfrastructure qui reste un meilleur moyen d’être compétitif qu’un cycle de taxe-retorsion-taxe etc
    – enfin le gros de la dégradation de la balance commerciale provient de l’énergie : une société plus sobre en energie est aussi une société qui améliore son solde commercial

    amitiés

    François Carlier

    • Cher François.
      Je ne peux que t’encourager à lire le bouquin et l’article cités dans mon post qui répondent assez largement à tes remarques. La sortie réussie de la Chine du communisme est un argument solide contre le libre-échange (la Chine n’y est toujours pas convertie et heureusement pour elle) tout comme ton plaidoyer pour le « pragmatisme ». Il y a UN libre-échange (l’abandon de toute barrière tarifaire et non-tarifaire) et mille formes de « protectionnismes ». Sans doute faudrait-il éviter ce dernier terme qui est assimilé par les tenants du libre-échange à la fermeture des frontières et à l’autarcie, ce qui n’est évidemment pas souhaitable.
      Pour ce qui concerne la concurrence déloyale, il est évident à mes yeux que les paysans du sud meurent de faim et font rejoindre les mégalopoles car ils sont concurrencés librement par les machines hyper-productives du Nord et qu’ils devraient être protégés économiquement pour pouvoir vivre de la vente de leurs productions. Pour revenir à nos brillants débuts colonialistes l’Angleterre s’est développée grâce à de bonnes protections et a plaidé pour le libre-échange quand elle s’est sentie dominante.
      La qualité de l’innovation et des infrastructures sont,je te l’accorde, déterminants pour un pays dans la compétition internationale. Mais face à des puissances économiques telles que la Chine, capable de former des ingénieurs de très bon niveau, de disposer d’une main- d’oeuvre durablement peu coûteuse (en externalisant au Cambodge au Vient Nam etc.), ayant opté pour une monnaie faible….la compétition est durablement inégale, sauf pour quelques segments de quelques chaînes de valeur.
      Côté carbone, le problème se pose différemment : si la fabrication de tous les matériaux filaient hors UE ce serait bien en partie du dumping écologique de ceux qui bénéficieraient de ce transfert. Quant à la balance commerciale je suis d’accord avec ton constat (déficit commercial = facture énergétique) et avec ta reco (société sobre en énergie) mais pas avec ton analyse. Je te renvoie aux bouquins…Enfin pour ce qui concerne le procès d’intention, je suis assez convaincu que la montée des idées d’extrème droite est due en particulier au sentiment que la construction européenne est celle d’un vaste marché librement ouvert à la concurrence mondiale et précisément à un défaut de protections économiques. Bien d’accord avec toi, et je le redis pour finir qu’il est évidemment clef dans cette affaire d’agir de manière pragmatique;mais le faire suppose de sortir du Dogme…
      Amitiés.
      AG

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