Aux sources de la (quasi)religion monétaire des allemands

22 mai 2014 - Posté par Alain Grandjean - ( 7 ) Commentaires

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Au vu des problèmes posés par la gestion actuelle de l’Euro  le débat sur une sortie éventuelle de l’Euro prend un peu plus d’ampleur chaque jour .

C’est pourquoi il devient nécessaire de tenter d’évaluer ce qui est négociable ou non avec nos voisins sur le sujet monétaire, indépendamment de toute considération politique. Car l’enjeu ne porte pas seulement sur « une monnaie unique ou pas », mais sur le dispositif qui l’accompagne, défini pour l’essentiel  dans le traité de Maastricht.

Les statuts de la BCE sont calqués sur ceux de la BundesBank et les dispositions de contrôle budgétaire sur le modèle « ordo libéral » . Or ces éléments sont profondément  liés à l’histoire allemande du XX ème siècle.

Cette histoire est notamment marquée par trois épisodes monétaires tous les 3 traumatisants.

  • l’hyperinflation de Weimar en 1923 qui a marqué les esprits par l’image des  brouettes de billets; cette hyperinflation  résulta principalement du traité de Versailles et des demandes excessives des alliés en matière de réparation des dommages de guerre[1] ; la planche à billets fut une tentative (vaine) de contourner ces contraintes de fer. 
  • la déflation aggravée par les mesures d’austérité du chancelier Heinrich Brüning qui facilita la montée au pouvoir d’Hitler
  • la relance allemande à partir de 1933, financée grâce à l’inventivité de Hjalmar Schacht  par la création de« bons de travail », forme de monnaie astucieuse, dont le nom, le MEFO[1]qui peut évoquer le raccourci de MEPHISTO (voir plus loin) ne manque pas d’humour inconscient…

Le drame allemand est double : d’une part c’est en partiegrâce à cette création monétaire que l’Allemagne est devenue une puissance militaire redoutable,  mais, pire encore si l’on peut dire, cette relance conduisit, le travail et la prospérité revenus, à une forte adhésion populaire à Hilter en 1936.

Le Deutsche Mark fut créé en 1948 par Ludwig Erhardt  en remplacement du Reichsmark. Cette nouvelle monnaie, créée dans une période inflationniste (comme en France après-guerre, ce qui conduisit au nouveau franc en 1958),  avait aussi pour finalité de tourner la page et de faire oublier le passé.

Dans les propos publics actuels, il est surtout question de l’hyperinflation qui a traumatisé le peuple allemand. Je pense que, bien plus profondément, c’est le contrôle de la monnaie par un génie du mal qui marque nos voisins. Rappelons cet extrait du Faust II de Goethe,  génie littéraire allemand né… à Francfort, siège de la BCE et de la BundesBank : 

«L’Empereur est à court d’argent. Il se lasse des propositions mesurées qui lui sont faites et proclame : « J’en ai assez de ces éternels « Mais » et « Si » ; Je manque d’argent, alors qu’on en crée donc ! » Et le Diable, Mephisto, d’abonder dans le sens du Souverain : « Je crée ce que vous voulez, et j’en fais même bien plus. »

Se rappeler ces tragédies permet d’imaginer qu’il serait très  difficile aux allemands d’abandonner :

  • l’indépendance de la Banque Centrale (pour éviter que la « planche à billets » soit utilisée à par un pouvoir soit trop faible (Weimar) soit trop fort (IIIeme Reich)
  • la discipline budgétaire, pour les mêmes raisons
  • la valeur symbolique d’une monnaie forte, image du renouveau allemand d’après-guerre

D’autant plus difficile à imaginer que ces choix semblent ne pas trop mal leur réussir en ce moment.

Mais ces périodes tragiques de leur histoire  font aussi douter du recours à la création monétaire publique pour financer un programme de grands travaux, écologiques  énergétiques et sociaux.

Conclusion : la discussion sur la question monétaire avec l’Allemagne nécessite une très forte volonté politique de notre côté et une fermeté sans faille dans les propositions et ce dans tous les cas : qu’il s’agisse de faire évoluer la gestion de l’Euro (avec son package actuel) ou de passer à une monnaie commune. On en est encore loin !

Ce post a été relu par Michèle Grandjean.

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[1] Voir le chapitre 6 du livre La Monnaie dévoilée ; Gabriel Galand et Alain Grandjean

(L’harmattan, 1997) qui justifie cette thèse

[2] Les MEFO sont les titres  d’une société, la MetallurgischeForschungsgesellschaft, m.b.H., qui servent de monnaie d’échange convertible en Reichmarks sur demande.

[3]Voir la proposition de Frédéric Boccara  et le livre« Une autre Europe. Contre l’austérité. Pour le progrès social en coopération. Un autre Euro » 140 p., Petite collection Ecopo)

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7 Responses to “Aux sources de la (quasi)religion monétaire des allemands”

  1. Jeudi 22 mai 2014 :

    Coup de tonnerre dans le secteur automobile : la Citroën C3 ne sera plus fabriquée en France, à Poissy. La Citroën C3 sera fabriquée à Trvarna, en Slovaquie.

    Pourquoi cette délocalisation ?

    Parce qu’en France, le coût horaire du travail est de 35 euros, tandis qu’en Slovaquie le coût horaire du travail n’est que de 8,80 euros.

    L’Union Européenne, c’est un grand marché intérieur, sans aucune frontière, dans lequel 28 nations sont en compétition les unes contre les autres.

    L’Union Européenne, c’est 28 nations qui sont condamnées à baisser toujours plus les salaires de leurs ouvriers pour attirer les entreprises sur leur territoire.

    L’Union Européenne, c’est 28 nations qui font une course sans fin vers les salaires bas, vers les salaires les plus bas, vers les salaires toujours plus bas.

    L’Union Européenne, c’est un suicide collectif.

    Dimanche, votons pour que la France sorte de l’Union Européenne :

    http://www.upr.fr/wp-content/uploads/2014/05/Profession-de-foi-UPR-EP2014-France-metro.pdf

  2. Merci Alain

    pour cette analyse du « poids de l’Histoire »… dont tu sais combien je la partage ! J’ai souvent écrit (ailleurs qu’ici…) que:
    – en raison du manque de vigilance d’Attali et Guigou, il y a 22 ans,
    – en dépit des mises en garde de Ph. Seguin (cf. son discours du 6 mai 1992, au Palais Bourbon),
    le statut de Bundesbank, rédigé au siècle dernier, dans un pays vaincu et occupé… était, Hélas, devenu le statut de la BCE.

    Dix huit États européens se sont ainsi démunis d’un de leurs pouvoirs régaliens, d’une composante essentielle de la souveraineté populaire: le pouvoir de création monétaire !
    Il se traduit notamment par l’existence d’un « prêteur en dernier ressort », agissant de façon loyale et coordonnée avec la puissance publique.

    Séparer le pouvoir monétaire du pouvoir budgétaire, (élaboration et vote de la loi de Finance), c’est rendre impraticable toute [volonté de…] politique économique:

    au volant d’une automobile, il ne viendrait à l’idée de personne de confier le frein et l’accélérateur à 2 acteurs « indépendants »… chacun ignorant ce que fait l’autre !

  3. Le FN obtient ses meilleurs scores chez les jeunes et les ouvriers.

    Sans surprise, c’est chez les jeunes et les catégories populaires que le Front national fait ses meilleurs scores. De ce point de vue, les élections européennes de dimanche confirment les tendances observées au fil des scrutins des dernières années.

    Chez les moins de 35 ans, le parti de Marine Le Pen obtient 30 % des voix, soit 5 points de plus que son score moyen à l’échelle nationale, selon Ipsos-Steria. Il peut d’autant plus se prévaloir d’être un parti « jeune » qu’il obtient chez les plus âgés un résultat inférieur à son résultat global : 21% des plus de 60 ans ont voté dimanche pour le FN.

    A l’inverse, l’UMP apparaît plus que jamais comme le parti des seniors : il obtient 25 % des suffrages chez les plus de 60 ans, soit 5 points de plus que son score national.

    Seulement 15% des moins de 30 ans ont apporté leurs voix au PS ce 25 mai. Pour François Hollande, qui avait promis en 2012 de faire de la jeunesse la « priorité » de son quinquennat, c’est un sérieux camouflet.

    Au sein de l’électorat populaire, le parti d’extrême droite fait un tabac. Dimanche, 38 % des employés et 43 % des ouvriers lui ont apporté leurs suffrages.

    La gauche, sur ce qui constitue historiquement son cœur de cible, est laminée : seulement 8% des ouvriers et 16% des employés ont voté PS aux européennes.

    Contrairement à ses espérances, le Front de gauche ne bénéficie pas de la déception suscitée au sein de cet électorat par la gauche de gouvernement : seuls 5% des employés et 8% des ouvriers ont voté, dimanche, pour le mouvement de Jean-Luc Mélenchon.

    http://www.lemonde.fr/politique/article/2014/05/25/le-fn-obtient-ses-meilleurs-scores-chez-les-jeunes-et-les-ouvriers_4425625_823448.html

    1- Echec total de la construction européenne

    2- Donc les partis politiques européistes sont tous discrédités

    3- Donc les peuples européens votent de plus en plus pour les partis anti-européens

    4- Donc, comme d’habitude, l’appauvrissement des classes populaires et l’appauvrissement des classes moyennes entraîne l’arrivée au pouvoir de partis extrémistes.

    5- Par exemple : en France. Les partis européistes sont tous discrédités. En ce moment même, nous sommes en train de vivre l’effondrement du Parti Socialiste, l’effondrement de l’UMP, l’effondrement d’Europe Ecologie Les Verts, l’effondrement du centre UDI – Modem.

    6- La dynamique est du côté du Front National : un boulevard vient de s’ouvrir devant le Front National. Si Marine Le Pen est élue président de la République en 2017, des émeutes éclateront dans les jours qui suivront. Ensuite, le président de la République Marine Le Pen n’aura plus qu’à dire :

    « Conformément à l’article 16 de la constitution française, j’ai décidé de … etc »

    7- L’article 16, c’est l’occasion pour Marine Le Pen d’accéder aux pleins pouvoirs, de façon démocratique, par les urnes.

    On est mal.

    On est très mal.

    • @BA
      La situation est à mes yeux en effet pleine de risques. La construction européenne, comme je l’ai écrit dans ce blog, est un mélange de « césarisme » et de « libéralisme » très étrange. Le PS ne se remet pas du fait qu’il est à l’origine de la dérégulation financière organisée sous les années Mitterrand/Delors et de l’installation d’une monnaie unique qui repose de fait sur un libéralisme économique doublée d’un très fort pouvoir administratif centralisé chez des technocrates non élus et sur les enjeux économiquement stratégiques du budget et de la monnaie (sans ses leviers un gouvernement est vraiment très démuni quand l’économie est à la traîne)…Comme l’a dit je crois Frédéric Lordon, le Front National »capture » une série d’idées socialistes ou sociales (et à mes yeux parfois de simple bon sens) sans aucune vergogne (le contenu du programme économique du Front National a été historiquement de tendance reaganienne). Le bon peuple est toujours libre de la croire comme il a cru aux précédents candidats, qui s’appliquent à ne pas tenir leurs promesses….
      L’histoire a montré que la déflation était très mauvaise pour la démocratie. On risque en effet d’en refaire l’expérience. Il me semble que pour éviter cela il n’y a guère qu’une option: des investissements massifs dans la transition écologique….
      bien à vous
      ag

  4.   andre SELLES   31 mai 2014 à 20 h 52 min

    Outre la relation historique de la culture Allemande à la monnaie, bien explicitée, il me semble qu’ autre élément entretient l inertie face à une volonté de modifier les missions de la BCE .Tous les dirigeant de la BCE sont issu du milieu, très homogène, des banques privées. Or les milieux financiers ne sont ils pas allergique à toute inflation , parce qu il n’ y ont jamais trouvé leur compte? La lutte contre l inflation n’ est-elle pas corollée à la lutte contre les salaires ? Le lobby bancaire n’est-il pas dès lors un  » allié objectif » de l’ angoisse monétaire allemande ? sinon comment 27 pays se plieraient-ils si aisément à la loi du grand frère allemand ? C’ est ne tout cas une interrogation que j’ adresse aux économistes rompus aux techniques d’ interrogation de l’ histoire économique , activité qui échappe un peu au simple citoyen fort limité en temps et compétence d’ investigation économique .
    J » ne profite pour dire mon étonnement que le gouvernenent actuel semble n’ avoir pas compris le prodigieux intérêt qu’ il aurait eu dès juin 2012, à expliciter au peuple , par utilisation judicieuse des medias la nature des problèmes posés par l’ Europe à la souveraineté nationale , ne pouvant bien entendu pas compter sur une classe journalistique qui a trouvé commercialement astucieux de se rouler dans une politique éditoriale de dénigrement systématique peopolisé , qui grossit certes se recettes , mais au prix d’ une irréflexion collectivement ruineuse …. what a pity !!

    • @ André
      Entièrement d’accord avec le fait que le consensus contre l’inflation est bien sûr un consensus en faveur des « rentiers » ou a minima des épargnants.Et que c’est l’intérêt des banques, aujourd’hui. (historiquement cela ne me semble pas si clair, car les banques gagnaient dans le temps à prêter à l’économie; aujourd’hui elles gagnent beaucoup plus d’argent (mais de manière plus risquée) avec »l’économie casino mondial » au sens très large, y intégrant les douteuses opérations de la BNP qui seront sanctionnées par la justice américaine). IL faudrait creuser mais je vois plus dans l’alliance objective des banques avec la « lutte contre les salariés » et l’austérité (voir’la grande régression » un livre sur ce qui s’est passé et se passe en grèce de Noêlle Burgi et al ) une histoire de castes qu’une histoire proprement et spécifiquement bancaire. mais je réfléchis à voie haute…
      Concernant la question de la souveraineté nationale ca vaut le coup de lire le bouquin de Frédéric Lordon sur le sujet (La Malfaçon
      Monnaie européenne et souveraineté démocratique); mon analyse c’est que notre gouvernement n’a pas une once de capacité de réflexion sur ce sujet…pour mille raisons dont,je crois malheureusement, un indécrottable cynisme.
      Amitiés. Alain

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