Pour sauver le climat, une taxe tobin soutenable

12 mars 2010 - Posté par Alain Grandjean - ( 2 ) Commentaires

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Pavédanslamare
Credit : Pavédanslamare

L’une des clefs de la négociation mondiale sur le climat est indiscutablement le financement des pays pauvres par les pays riches pour qu’ils puissent s’adapter au changement climatique et bénéficier de solutions « bas carbone »; aller chercher l’argent nécessaire chez les plus riches (des pays de l’OCDE mais pas que..) est une idée équitable. Aller le chercher dans l’univers de la finance aussi, au motif que les Etats donc les contribuables ont mis beaucoup d’argent pour les sauver. C’est donc aussi une idée politiquement intelligente.

Pour autant la taxe sur les transactions financières, dite Taxe Tobin, telle qu’elle est proposée par une série de gouvernements, dont la France, n’est pas la bonne solution. Il est utile de comprendre pourquoi et de proposer une alternative.

Certains arguments « contre » sont infondés. Il n’est pas vrai qu’on ne puisse pas repérer les transactions financières, même vers les paradis fiscaux. Ces mouvements passent tous par les chambres de compensation bien connues depuis l’affaire Clear Stream. Il n’est pas vrai qu’on ne puisse pas obtenir un accord international sur un instrument mondial : les négociations post-crise sont difficiles mais pas impossibles.

Le vrai problème est plus basique mais nécessite de comprendre une toute petite partie du travail des traders dans les salles de marché. L’une des activités des salles de marché socialement la moins discutable consiste à vendre à leurs clients des « couvertures » (de taux, de change ou autre).

Prenons le cas simple de la couverture de change. Vous êtes un entrepreneur et vous vendez des produits fabriqués en zone Euro aux USA. Votre marge dépend de la variation du cours de change Euro/Dollar. Vous souhaitez réduire cet aléa et vous vous tournez vers votre banquier préféré. Si les montants sont suffisamment importants il vous propose des options de vente à terme à prix fixé aujourd’hui (comme ça quand votre client va vous payer en dollar, si le dollar a baissé par rapport au cours de couverture, vous pourrez quand même vendre vos dollars en euros au cours actuel et vous aurez un revenu garanti, et si le dollar a augmenté vous n’exercerez pas votre option et vous les vendrez au cours qui vous fera gagner plus d’argent que le cours de l’option).

Ces produits dérivés sont devenus accessibles aujourd’hui grâce aux développements des mathématiques financières et des pratiques des traders dans les salles de marché. Sans rentrer dans les détails, il faut juste savoir que pour que les banques puissent vendre ces « couvertures » il faut qu’elles –mêmes se couvrent et que la seule stratégie en la matière consiste à constituer des couvertures, à base de transactions financières effectuées éventuellement tous les jours et même plusieurs fois par jour. Sans cela le risque devient considérable et le service « hors de prix ». Ces transactions viennent gonfler le total des transactions financières quotidiennes et c’est ce qui donne à penser que le seul chiffre du montant de ces transactions n’a pas beaucoup de sens.

La taxe tobin même à un taux très bas rendrait impossible ces opérations de couverture. Ce serait la fin des opérations de couverture. On peut s’attendre donc à une opposition frontale de toutes les banques (et pas juste des anglo-saxonnes) puisque cela les obligerait à arrêter leur activité de banque de marché, une des plus rentables et à licencier des milliers de personnes. On voit mal les gouvernements accepter cela, d’autant que, paradoxalement, ils ont plus besoin que jamais des banques….

On pourrait se dire : pas grave, quelle est l’utilité sociale de ces activités ? On se passait bien de tout cela du temps du régime de Bretton-Woods et des changes fixes.
Certes mais cela veut dire que cette petite modification de règles du jeu entraînerait une révolution. Elle est d’ailleurs peut-être souhaitée par les promoteurs de la taxe Tobin ? Mais est-elle vraiment envisageable dans l’état actuel des rapports de force ?

Il me semble préférable de corriger le dispositif en faisant en sorte qu’il ne s’applique pas aux opérations de couverture. Après discussion avec des praticiens (des traders) une taxe Tobin « soutenable » dans les deux sens du terme (elle ne détruit pas l’activité de couverture, et elle finance la lutte contre le changement climatique) est faisable, car il est possible pour eux de séparer les flux. Certes il en résultera des changements importants de pratiques, car même à bas taux une telle taxe conduira à rendre trop coûteuses certaines transactions. Mais cela n’empêchera pas à la finance de rendre un des services qu’elle peut rendre efficacement à l’économie, celui d’assurances contre les variations excessives de cours.

Plus généralement, il me semble que nous devons chercher à favoriser l’émergence de dispositifs réglementaires et fiscaux qui permettent de trier le bon grain de l’ivraie et non de détruire des instruments d’assurance qui peuvent être précieux dans un monde qui devient de plus en plus imprévisible.

Pour aller plus loin, la meilleure référence à mes yeux est le livre de Nicolas Bouleau, professeur à l’école des Ponts et chercheur au Cired
Mathématiques et risques financiers, Odile Jacob, 2009.
C’est lui qui m’a fait ouvert les yeux sur ce problème.

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2 Responses to “Pour sauver le climat, une taxe tobin soutenable”

  1.   sceptique carlier   16 mars 2010 à 15 h 15 min

    Très ok pour la taxe tobin mais après la vraie grande question : on la donne QUE pour le climat ou aussi pour le sida, le paludisme, l’analphabétisme, la mortalité infantile, l’acces à l’eau potable ?
    Bcp de gens me disent « pas de concurrence et puis le climat accroit le risque de palu, les pb de l’eau etc ». sauf qu’en réalité les arbitrages budgétaires se feront donc il faut en discuter car n’oublions pas les ravages et les handicaps structurels provoqués ces différents fleau.
    Pour résumer « sceptique carlier » n’est pas du tout sceptique sur le RCA mais il l’est quelque peu sur le rapport stern (et Alain j’attends ta position sur le taux d’actualisation : un des sujets les plus importants et les plus ésthétiques de l’économie du climat)

  2. Sur le premier point je comprends qu’on puisse proposer d’autres usages de la taxe tobin que la lutte contre le changement climatique; c’est d’ailleurs l’une des questions qui divisent le plus les partisans de la dite taxe; il se trouve que c’est le climat qui a remis le sujet sur la table, ça donne à cet emploi (pas idiot au demeurant) une forme de légitimité qui me suffit à ce stade.
    Je ferai part de mon avis sur le taux d’actualisation (sujet que j’ai déjà évoqué ici dans l’article qu’est-ce qu’un coût?) dès que je trouve le temps
    amicalement
    alain

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