Gribouille se jette à l’eau pour ne pas être mouillé par la pluie…C’est ce que font aujourd’hui les gouvernements européens.

Face aux attaques des marchés financiers sur les dettes publiques, ils mènent, dans une belle unanimité, des politiques de rigueur censées rassurer les marchés.

La politique de rigueur c’est la réduction des dépenses pour réduire le déficit et par conséquent la croissance de la dette publique. Les conséquences sociales d’une telle politique dans une période de croissance faible et de concurrence forte, qui pousse les entreprises à faire des gains de productivité, sont évidentes : il y aura plus de chômage, moins d’aides sociales, moins d’allocations chômage, plus de précarité. Les conséquences environnementales sont évidentes aussi : on réduit les incitations (qui s’appellent maintenant « niches fiscales ») on temporise sur les investissements verts, on réduit les dépenses (qui s’appelaient avant investissements). Bref on reporte à demain ce qu’il faudrait faire aujourd’hui.

Que cette politique rassure les marchés, rien n’est moins sûr. L’austérité au niveau européen peut évidemment entraîner une récession. Il est loin d’être certain que se produisent les effets supposés positifs de cette austérité (baisse des taux d’intérêt à long terme, amélioration de la compétitivité de l’Europe). A l’inverse la baisse du pouvoir d’achat qui en résulte est assez probable et ne peut que réduire la demande des ménages et les anticipations des entreprises, donc leurs investissements.

Les déficits publics pourraient donc être toujours aussi importants (voire plus en pourcentage) par baisse des recettes fiscales…Les dettes publiques seraient alors toujours aussi importantes et la capacité des Etats à les rembourser toujours aussi mise en doute par les marchés. D’autant que le scénario consistant à poursuivre l’austérité, en compensant les baisses de recettes par de nouvelle coupes dans les dépenses, aggravant les difficultés sociales, le chômage et la crise pourrait déstabiliser les gouvernements et créer des difficultés encore bien plus sérieuses de gestion publique, voire d’ordre public, ce qui pourrait ne pas plaire aux marchés…

Les marchés, effectivement sceptiques sur la capacité des Etats européens à régler la crise financière ont semble-t-il décidé de se mettre en ordre de bataille. Après la Grèce et l’Irlande, ils se préparent à attaquer la dette portugaise et la dette espagnole. Les banques européennes très engagées vis-à-vis de ces pays vont évidemment continuer à demander à la BCE de racheter ces dettes pour éviter d’avoir à faire des pertes consécutives à un rééchelonnement de leurs créances. La BCE continuera à demander l’intervention du Fmi et du fonds européen. Le BCE et ces fonds demanderont aux gouvernements d’accroître la rigueur de leur politique.

On sait où mène cette politique. Heinrich Brüning avec sa politique déflationniste a plongé l’Allemagne dans les bras d’Hitler.

Il n’est plus du tout exclu que les politiques de rigueur lancées aujourd’hui conduisent plus modestement à l’éclatement de la zone Euro et ce indépendamment de tout jugement de ma part sur l’intérêt intrinsèque de l’intérêt de l’Euro. Bref les politiques de rigueur sont des politiques de Gribouille. Elles conduisent à l’endroit exact où elles veulent éviter l’Europe d’aller.

Y a-t-il une alternative ?

Oui, bien sûr. Il s’agit de mobiliser la politique monétaire « non-conventionnelles », pour financer un programme massif d’investissements de transition vers un modèle économique durable, au plan écologique et social. Utilisée par la BCE pour « sauver » les banques1, elle peut être utilisée, en recourant à l’argument d’exception, pour « sauver la planète ».

Au plan économique et financier, les bénéfices sont assez clairs : les commandes générées créent de l’activité et de l’emploi en Europe, augmentent les recettes fiscales, rassurent les marchés, rééquilibrent le rapport de force entre les Etats et les marchés. S’il est correctement mené ce plan bénéficie à nos champions européens. Il constitue une réponse sérieuse à la politique de « quantitative easing » de la FED2. Au plan social, ce plan permet d’éviter le recours à l’austérité qui lamine le revenu des plus pauvres et aggrave la précarité. Il redonne du sens et de l’espoir à tous. Au plan écologique, il permet de réaliser plus vite la transition indispensable vers une économie sobre en énergie et en ressources, et bas carbone.

J’ai déjà posé ici le cadre de ce que devrait être une politique européenne fondée sur 3 piliers et un nouveau pacte de développement durable. Le temps passe. nous risquons bien de connaître des moments franchement peu joyeux. Sauf si nos gouvernements se réveillent à temps, abandonnent leur vision étroitement comptable, ouvrent les yeux et reviennent sur terre ! Espérons que la fée Carabosse transforme nos Gribouilles en princes sinon charmants, au moins éclairés.

Alain Grandjean

 

1 Ce qui est sûr c’est qu’elles permettent de sauvegarder les intérêts des actionnaires des banques. L’ampleur exacte des risques (directs pour les banques ou indirects et systémiques) ne me semble pas très bien documentée.

2 La FED a lancé en novmbre 2010 un programme qui a été  « Quantitative Easing 2 »  de rachats de titres publics pour un montant de 600 milliards  de dollars (75 milliards par mois). Alors que la précédente opération avait visé à relancer directement l’économie intérieure, il semble bien que dans ce deuxième cas il s’agisse pour les Etats-Unis de faire baisser la valeur du dollar face notamment au Yuan pour améliorer la compétitivité relative de l’économie américaine.

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2 Responses to “La rigueur, politique de Gribouille”

  1. […] émerger un nouveau modèle économique, sobre et solidaire. En savoir plus Last Tweets CommentairesLa rigueur, politique de Gribouille | Le site d'Alain Grandjean on Reconstruire l’Europe sur 3 piliersLes tweets qui mentionnent Comment peut-on manquer […]

  2. Bonjour,
    Mais une économie qui gère durablement les ressources peut elle créer autant de richesse qu’une société qui créé à court terme beaucoup de valeur à crédit sur l’environnement? Supposons des objectifs carbone facteur 4 voire facteur 5; plus les mesures pour la biodiversité, qui recouperont en partie celles du carbone.
    Pourrons-nous alors rembourser les emprunts, alors que le gain en économie du patrimoine naturel s’appréciera à très long terme, et pas essentiellement chez nous?

    Salutations
    jp-42

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