La France est dans une situation particulière : le programme nucléaire des années 70-80 a été mené tambour battant ce qui a des conséquences déterminantes aujourd’hui sur toute sortie du nucléaire. Tant sur le calendrier que sur les décisions à prendre en matière de prolongement des centrales existantes que de construction de nouvelles centrales.

Quel pourrait être le rythme de sortie, indépendamment de considérations sur la facture finale au consommateur ou au citoyen ? Ce petit tour d’horizon est nécessaire pour envisager un scénario et surtout une méthode qui intègre les diverses composantes du problème posé.

Les centrales nucléaires sont conçues pour durer 30 ans minimum  mais elles subissent tous les dix ans des visites décennales de l’autorité de sûreté nucléaire (l’ASN) pour un prolongement de 10 ans. Dans la pratique les investissements à réaliser pour permettre le prolongement au-delà de 30 ans seront de l’ordre de 500 à 1000 millions d’euros par centrale. Ils seront conçus techniquement pour permettre une durée de vie de 60 ans (étant entendu que l’ASN aura tous les 10 ans le pouvoir de décider du prolongement effectif).

Rappelons que le parc nucléaire a aujourd’hui (hors EPR) une durée moyenne de 27 ans ((calculée à partir de la date de mise en exploitation des centrales)) et que la production électrique française est de 510 TWh dont 80 % (410 TWh) d’origine nucléaire. ((Cela n’a pas toujours été le cas. En 1970 la production d’électricité française était de 140 TWh (soit 4 fois moins qu’aujourd’hui) dont 5 TWh de nucléaire; le complément à l’hydraulique était le fioul, le charbon et le gaz))
La part thermique à flammes de 60 TWH aujourd’hui est amenée à baisser par fermeture prévue et hautement souhaitable de centrales à charbon, pour passer en gros à 40 TWh en 2030. L’hydroélectrique (70 TWh) sera au mieux stable (car il pourrait être perturbé par le changement climatique).
Supposons, pour comprendre la situation, que nous décidions en 2012 d’arrêter toutes les centrales dès qu’elles sont trentenaires  ((à cette date il y en aura déjà plus d’une vingtaine …)).
Le graphique joint montre la vitesse d’effondrement de la production d’électricité d’origine nucléaire ((avec une hypothèse de taux de disponibilité moyen de 80%, le choix de ce taux ne changeant pas les conclusions principales)). En 2020 cette  production serait ramenée à 100 TWh. Faisons le même raisonnement avec une décision d’arrêt à 40 ans, à 50 puis à 60 ans. L’effet « falaise » se décale par translations de 10 ans.

Production nucléaire en fonction de l’âge d’arrêt des centrales_Taux disponibilité de 78,5%

On voit tout de suite qu’il est exclu de fermer toutes les centrales trentenaires; il est impossible de créer en 10 ans un parc de production électrique suffisant, même avec un programme de réduction de la consommation électrique intensif qui mettra évidemment plus de 10 ans pour matérialiser des effets aussi importants.

La durée de 40 ans (fermer toutes les centrales dès qu’elles ont 40 ans) est-elle réalisable ? En 2030 il resterait, dans cette hypothèse, une production électronucléaire de 100 TWh. Supposons qu’alors nous n’exportions plus. Peut-on combler  l’écart de 300 TWh (perte de 310 de nucléaire et de 20 de thermique à flammes, gain de 30 TWh d’export), sans recourir aux énergies fossiles, donc par un mix ENR/MDE (énergie renouvelable/maîtrise de la demande) ?

Une politique très volontariste en matière d’ENR pourrait conduire  à une production supplémentaire à cette date de l’ordre de 170 TWh en 2030 (par exemple 100 d’éolien, 40 de solaire PV, 30 de biomasse) ((Pour mémoire, le scénario Négawatt 2006 visait en 2030 : 100  d’éolien, 12 de PV, 30 de biomasse.))

Il nous faudrait alors trouver 130 TWh en réduction de la demande d’électricité. Soit une baisse de la consommation par rapport à aujourd’hui (476 TWh)  de l’ordre de 25 %. (( Notons que le développement de la voiture électrique d’ici 2030 ne changera probablement pas la donne.  Une voiture électrique  consommant environ 2000 KWh pour 15000 kilomètres,  2 millions de voitures électriques en 2030 (ce qui me semble un objectif déjà ambitieux) consommeraient 4 TWh, une demie centrale nucléaire…)).

C’est l’ordre de grandeur de l’objectif proposé dans mon dernier post pour 2050 ((je visais -30% en 2050)). Il s’agirait d’aller encore plus vite dans la maîtrise de l’énergie.  Cela me semble hors de portée, sauf à adopter un vrai plan de guerre, pour le moins difficile à faire accepter dans nos démocraties. Considérons d’abord le logement. Nous rénovons le bâti existant à raison de moins de 100 000 logements par an aujourd’hui ((voir http://www.plan-batiment.legrenelle-environnement.fr/)) pour un objectif Grenelle de 400 000 à partir de 2013, qui ne sera manifestement pas atteint alors . Si on passait dans les 5 ans qui viennent à cette vitesse de 400 000 logements par an, on en aurait rénovés moins de 8 millions d’ici 2030. Il faudrait qu’on passe à la vitesse supérieure (absolument impossible aujourd’hui au vu des incitations économiques bien trop faibles, et de l’appareil de production de rénovation) de 1 million par an à la fin de la décennie 2020 et viser une rénovation de 15 millions de logements d’ici 2030, soit la moitié du parc. On pourrait gagner 50% de consommation d’électricité sur le résidentiel. Supposons une performance équivalente sur le tertiaire. Cet effort important conduirait à une baisse de 25 % de l’électricité d’ici 2030 en ordre de grandeur… ((Les gains complémentaires permis par une sobriété accrue (baisse des éclairages inutiles, réduction des consommations d’appareils en veille, etc.) pourraient également contribuer à cet objectif de manière non négligeable, ce qui faciliterait l’atteinte de l’objectif)).

Reste cependant plusieurs problèmes :

  • Le réseau électrique pourra-t-il en 2030 supporter une part d’ENR intermittentes d’environ 43% (( 150 (10 d’éolien actuel + 100 d’éolien nouveau + 40 de PV) pour un total de production de 350 TWh (100 de nucléaire, 70 d’hydraulique, 160 d’autres ENR, 40 de thermique à flamme, -40 de pertes et pompage …))?
  • Comment se passer d’électricité pour décarboner les autres besoins énergétiques ?
  • Quelle serait la hausse des prix pour le consommateur qui serait bien sûr plus élevée dans ce scénario que celle que j’avais calculée en ordre de grandeur ((voir le post « Sortir du nucléaire, à quel prix ?)). Les technologies ou les dispositifs de MDE ou les ENR seront tous moins coûteuses avec le temps. Aller trop vite, c’est nécessairement augmenter les coûts, sans compter les effets de saturation des filières considérées.

Dès lors il est assez logique aujourd’hui de considérer qu’une sortie du nucléaire, si elle était décidée, ne se ferait pas aussi vite. On pourrait plus rationnellement viser une part du nucléaire en 2030 dans la production électrique française de l’ordre de 40%.  ((150 TWh nucléaire pour une production de 400, soit 50 de MDE de moins et 50 de nucléaire en plus)). Cela signifie qu’il faut envisager des prolongements de centrales à 50 ans. Ou, si on ne le souhaite pas (ou si l’ASN à ce moment-là l’interdit) la construction de nouveaux EPR après Flamanville. Rappelons cependant qu’un EPR coûte probablement 4 fois plus cher que prolonger une centrale ((4 G€ contre 1G€)).

Conclusion

La sortie du nucléaire, si elle était décidée en France, ne se ferait pas d’un simple claquement de doigt. Techniquement il est clair qu’elle va nécessiter à minima le prolongement des centrales nucléaires jusqu’à au moins 40 ans, et pour un partie d’entre elles à 50 ans. Il n’est pas certain que ce type de scénario puisse se passer non plus de la construction de nouveaux EPR . Il est donc souhaitable de se préparer dans tous les cas à une stratégie où le prolongement des centrales, nécessaire dans la période de transition, sera la principale variable d’ajustement à manoeuvrer, à mesure que se lèveront les incertitudes sur les questions clefs : la vitesse et le coût de la montée en puissance des ENR et de la MDE, la mise en place des outils de stockage de l’électricité et de pilotage de l’intermittence, les alternatives décarbonées sur le transport et l’industrie. Seule cette approche séquentielle peut nous éviter des drames sociaux. N’oublions pas que l’énergie est au coeur de nos modes de vie.

Alain Grandjean

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10 Responses to “Sortir du nucléaire, à quel rythme en France ?”

  1. Bonjour,

    « Le réseau électrique pourra-t-il en 2030 supporter une part d’ENR intermittentes d’environ 43% ? »
    Vous ne répondez pas vraiment à cette question. Apparemment c’est non mais vous n’expliquez pas vraiment pourquoi. Quels sont les chiffres qui permettent de répondre ?
    Si ce n’est pas possible à l’horizon de 2030, en quoi est-ce que ça sera davantage possible en 2050 ? Quelles sont les solutions de stockage réalistes pour de tels ordres de grandeur ?
    Vous ne mentionnez pas dans les ENR la géothermie. Ce n’est pas une source d’énergie crédible à grande échelle ?

    Si vous pouviez répondre, ça serait très intéressant. À mon avis c’est une limite du scénario Négawatt qui ne se penche pas sur l’intermittence des énergies renouvelables et la manière d’y répondre.

  2.   Sylvain Polti   31 mai 2011 à 10 h 14 min

    Bonjour,
    J’ai trouvé votre discussion très intéressante et j’aimerais que vous me donniez votre avis sur ceci. Vous parlez dans le même temps d’une baisse souhaitable de la consommation électrique de 25% et d’une hausse prévisible du coût de cette même énergie. Pour simplifier et pour ma démonstration, je vais dire que ce coût va augmenter de 25%, ce qui semble beaucoup à première vue. Mais si on prend pour exemple quelqu’un qui va diminuer sa consommation de 25%, sa facture va passer de 100.- à 75.-. Une fois prise en compte l’augmentation de 25%, sa facture passerait à 93.75.-. On peut donc dire que, si l’augmentation reste modérée et les économies d’énergie accessibles à tous, la population devrait payer moins qu’avant, pour une énergie infiniment moins dangereuses que le nucléaire.
    Meilleures salutations

  3.   Jacques TALBOT   2 juin 2011 à 13 h 55 min

    Parons donc sur un arrêt à 40 ans. Il y a un scénario alternatif avec des centrales à Cycles Combinés à gaz associées à une séquestration du carbone pour remplacer les réacteurs arrêtés. Ça présente deux avantages:
    – c’est moins cher que les EPRs
    – du fait de leur modulation rapide, contrairement aux réacteurs nucléaires, les CCGT sont bien plus adaptés à la gestion de l’intermittence des renouvelables; on peut dés lors peut-être viser des taux de 40% de renouvelable.
    On fait évidemment un pari sur la séquestration qui marche en 2030, mais ce n’est pas un pari stupide.
    Bref il ne faut pas diaboliser le fossile si on veut sortir du nucléaire. En effet, tout le reste, économies d’énergies et renouvelables doit être fait « de toutes façons » à cause de l’échéance climatique. Arrêter le nucléaire est donc une contrainte supplémentaire qui ne peut à mon sens être réglée qu’avec du gaz décarboné en transition. Mais quand on dit ça, on est accusé d’être payé par le lobby gazier (surtout dans ma patrie ardéchoise :-)
    A suivre …

  4. @AG
    Merci tout d’abord pour ne pas faire dans l’anathème (ni dans la monomanie) et pour poser sereinement le problème du mix-énergétique électrique, merci ensuite pour votre initiative d’éclairage de la situation. Je vais essayer d’apporter ma pierre, même si elle est plutôt friable à ce stade, En fait c’est plus des réflexions et des questions qu’une brique directement utilisable, veuillez m’en excusez par avance.

    1) Je crois aussi, comme l’a signalé un commentateur, que parler du nucléaire de 4° génération, ou mieux de fusion est aussi risqué, à ce stade, que de parler d’énergie libre, les solutions présentes sur le marché de la production d’énergie dans 10 ans à un coût compétitif sont déjà connues et en partie industrialisées (on n’est pas dans le virtuel).

    2) Pour ce qui est du stockage du C02 qui permettrait d’exploiter sans risque climatique jusqu’au dernier kilo de charbon, mon impression est que l’on a assez peu avancé à ce jour, on en parle depuis 10 ans, on expérimente, mais quand on parle de projet pharaonique de centrale Charbon (en Afrique du sud par exemple (5 GW), il n’est pas prévu le stockage du CO2; il est seulement prévu un site expérimental opérationnel, au mieux, dans 10 ans)
    http://www.global-chance.org/IMG/pdf/GC21p26-28.pdf , ceci dit, je ne demande qu’à être contredit.

    3) Cette histoire de charbon, au vu des principales réserves (USA, Chine, Russie), de la durée d’exploitation de ce même charbon (assez longue) et du C02 qui en résultera, me fait penser qu’il est vain de croire que l’on pourra résoudre les problèmes climatiques si le stockage du CO2 n’est pas opérationnel très rapidement et avec un bon taux de récupération, sinon, reste alors à espérer que les autres facteurs de variation du climat ne soient pas si négligeables que ça, et qu’ils aillent plutôt dans le sens opposé.

    4) Supposons donc, que l’on aille massivement vers les renouvelables et que, par chance, beaucoup de pays fassent comme nous, à quel moment les ressources de métaux nous freinerons ? ( cuivre , indium, lithium,…. notamment, voir à ce sujet le livre de Philipe Bihouix et Benoit de Guillebon http://www.amazon.fr/Quel-futur-pour-m%C3%A9taux-Rar%C3%A9faction/dp/2759805492 )

    5)Je crois, en fait, qu’il faudra énormément réduire les usages (CF Tim Jackson) et que, si nous n’avons pas ça en ligne de mire, il n’y pas grand chose à faire sur le long terme, par contre pour revenir à la France, au moyen terme, à la transition énergétique, et à notre cher nucléaire, les scénarios que vous faites d’une sortie d’ici 20 à 40 ans me semblent tout à fait pertinent et finalement assez réalistes (sous certaines conditions politiques et techniques que je suis loin de maîtriser).

    6) OK avec vous sur l’investissement dans le Photovoltaïque, on a loupé le coche, donc autant se limiter et attendre que les autres travaillent pour nous, les japonais et les chinois on fait ça pendant longtemps, c’est un peu notre tour de profiter, non ? d’autant plus que les subventions énormes accordées spécifiquement à ce secteur auraient été bien utiles ailleurs (isolation bâtiments par exemple).

    Au plaisir de vous lire.

  5. Merci donc pour cette analyse qui est difficilement contestable (à deux trois pinaillages près). Et pourtant, étant convaincu que le nucléaire est une aberration technologique, je rêverais que l’on puisse sortir de ce délire demain. Malheureusement je ne suis pas un rêveur et ce problème est pris 40 ans (et deux catastrophes majeures) trop tard pour être aujourd’hui envisagé dans la précipitation. Sans être exagérément pessimiste, il faudra encore attendre un ou deux fukushima avant que l’on puisse en voir le bout.

    On peut évidement jouer sur les 3 paramètres de base (économie d’énergie, efficacité énergétique et production d’énergie renouvelables). Mais en réalité cela ne changera pas le fond du débat car notre consommation croîtra toujours plus vite que notre bonne conduite.

    Finalement le sujet même de votre argumentation tient dans votre dernière phrase de conclusion :
    « N’oublions pas que l’énergie est au coeur de nos modes de vie. »

    Et comme chacun le sait, notre mode de vie n’est pas négociable…

  6. message serieux et non provocateur

    l’alcool fait environ 40000 morts par an en France. Depuis que le nucléaire civil existe soit une bonne trentaine d’année, l’alcool a fait plus d’un million de morts. même en cas d’accident nucléaire on ne dépassera probablement pas cette barre.
    Donc faut il sortir de l’alcool sur les 30 prochaines années? ma question est sérieuse et porte sur la socio-psychologie du risque santé.

    • @François et Ulhume
      bonjour à vous deux, à ce stade ma réflexion porte uniquement sur les conditions de sortie du nucléaire en France, sujet qui me semble nécessaire à approfondir dans le cadre d’un débat sur la question générale de l’énergie. Je ne me suis pas encore posé la question plus générale des avantages/inconvénients des sources d’énergie, (qui pour moi rentre dans le thème annoncé, mais pas traité de « sortir du nucléaire, à quel coût »). Merci de vos éclairages.
      AG

  7. @F. Carlier

    La question n’est pas spécialement provocante mais il est important de remettre les choses dans leur contexte.

    Tout d’abord nous parlons de « risque santé » pour reprendre vos termes. Or pour une bonne partie de ces 40000 morts (c’est plutôt 45000 d’ailleurs), l’alcool en est une cause indirecte (12000 accidents de voiture; 2500 cas de folie, etc..). Au final l’alcool en tant que cause directe est responsable de 32900 morts par ans. Ce qui reste beaucoup.

    Maintenant même si le nucléaire tuait beaucoup moins que l’alcool, pensez-vous que cela soit une raison suffisante pour en écarter le risque ? Même si le nucléaire tuait 10 fois moins que l’alcool, cela resterait à mon sens un sujet.

    Ensuite, il nous faudrait une base fiable pour comparer. Vous parlez de « probabilités » et c’est bien là le problème. On a des études très précises sur l’alcool, mais étonnamment beaucoup moins par exemple sur Tchernobyl. Pendant des années, l’AIEA nous a sorti le ridicule chiffre de 30 morts directs et 4000 indirects. Les soviétiques eux-mêmes parlaient officiellement de 40000 morts. Et plus le temps nous a sépare de ce drame, plus les chiffres se sont envolés. J. W. Gofman estime en 96 à 475000 le nombre de morts directement liés Tchernobyl et autant de cancers non-létaux. En 2010, l’Académie des sciences de New York a publié une recherche beaucoup plus vaste et poussée portant ce chiffre à 950000 morts à travers le monde entre 86 et 2004. Alors oui, même 1 million de morts du nucléaire à travers le monde sur 25 ans ne donneront pas les 40000 morts par l’alcool en 1 an pour la France. Mais comme vous le constaté, le passage du « probable » au « réel » rend le nucléaire beaucoup moins Glamour.

    Pour poursuivre, les 40000 morts par an liés à l’alcool, le sont tout alcool confondus. Du coup, imaginer envisager le risque sanitaire de l’électronucléaire par le seul prisme de l’accident reviendrait à étudier les dangers de l’alcool limité au bordeaux ou au bourgogne. C’est un peu léger :) Car contrairement à la croyance, le nucléaire est une filière très polluante de bout en bout, même si on s’est débrouillé pour que les deux bouts ne soient pas chez nous… L’extraction est polluante (je vous conseille une recherche Areva + Niger), l’enrichissement est polluant, l’exploitation est polluante (ce serait un gros mensonge que de prétendre qu’une centrale n’émet aucune radioactivité), le retraitement est polluant (en tout cas suffisamment pour relever les « doses acceptables » plusieurs fois dans la vie de la Hague) et le stockage des déchets est un risque à terme pour la santé. Et même en ne prenant que les accidents, si vous êtes un français normalement informé, vous avez entendu parler de 3 Miles Island, de Tchernobyl et maintenant de Fukushima. Mais avez-vous entendu parler de Windscale, de St-Laurent (oui, en France). Je vous conseille de chercher « liste accident nucléaire » sur Wikipedia, cela risque de vous surprendre.

    Pour conclure, il me semble important d’évoquer un dernier point dans cette comparaison nucléaire/alcool. L’alcoolisme est un choix personnel, une décision individuel. Je peux ne pas toucher une goutte d’alcool de ma vie et personne n’y verra jamais rien à redire. Le risque nucléaire en revanche, m’est imposé. Si une centrale explose à côté de chez moi, je ne peux pas décliner en disant « non merci, je prend le volant »… Du coup, dans une approche socio-psychologique du risque santé, je ne peux définitivement pas mettre au même plan ce qui m’est imposé de ce qui m’est proposé.

  8. Euh, ce n’est pas le genre d’éclairage qui se donne en un commentaire :) Je te conseille de te diriger vers les travaux de l’association Négawatt qui a pas mal débroussailler le sujet et qui sont globalement des gens sérieux.

    Mais d’une manière plus générale, je me demande parfois s’il est intéressant de se poser ces questions dans la mesure où le choix du nucléaire a été, est, et sera confisqué au citoyens français. Je rappelle qu’aucun français n’a jamais voté pour le tout nucléaire, et pire, n’a jamais voté pour un programme évoquant l’idée même d’un tout nucléaire. Ce choix a été fait de manière unilatérale par les gouvernements et nous n’avons jamais eu notre mot à dire. C’est d’ailleurs pour cela que la petite phrase « la France a choisi le nucléaire » que nous ressortent régulièrement Sarkozy, Besson & co, me hérisse le poil. La France n’a jamais rien choisi du tout. Au mieux les français ne sont jamais informé sur le sujet et ont accepté passivement ces choix stratégiques, si tant est qu’ils en ait eu conscience à l’époque.

  9. Un commentaire de Benjamin Dessus envoyé par email, auquel je répondrai de manière détaillée dans un prochain post :

    Le coût au MWh d’assurance contre un accident majeur

    « Contentons-nous d’une approche rustique pour faire avancer le raisonnement. Le parc nucléaire mondial comparable au français a connu 2 accidents majeurs (Tchernobyl et Fukushima) sur 14 000 années-réacteurs de fonctionnement. Raisonnons sur les 30 ans à venir. Le parc nucléaire français actuel fonctionnerait pendant 1 800 années-réacteurs ans. Prenons, en écartant le cas de Tchernobyl, une probabilité d’accident de 10% (en arrondissant le rapport 1800/ 14000) pour le parc français dans les 30 ans à venir. Du côté des coûts, prenons un ordre de grandeur de 100 milliards d’euros par accident[3]. Nous devons donc construire une cagnotte de 10 milliards d’euros. En 30 ans la production est d’environ 12 000 TWh. Sans actualiser il faut une prime de couverture de risque de l’ordre de 0,8 euros le MWh, arrondie à 1 euro. Au total, pour une année donnée il s’agirait d’un montant de 300 à 400 millions d’euros ».

    Je propose qu’on reste sur l' »analyse rustique » que propose l’auteur.
    Si notre parc nucléaire fournit 400 TWh pendant 30 ans cela fait bien 12000 TWh. Par contre sur la base des accidents répertoriés on en est à 4 accidents sur 450 réacteurs ou si l’on préfère à 2 accidents sur 199 centrales environ.
    On voit mal en effet pourquoi on exclurait les réacteurs RMBK de cette affaire sauf sous le prétexte qu’ils sont russes. Sur la base de 4 accidents réellement arrivés sur 450 réacteurs en 30 ans on serait pour la France autour de 0,5 accident pour 12000 TWh de production. Mais si on exclut Tchernobyl des accidents mondiaux le moins qu’on puisse faire est d’exclure la production des réacteurs Rmbk.
    Une solution pourrait être d’exclure tous les réacteurs qui ne sont ni des Rep ni des Reb et faire le rapport des 3 accidents de Fukushima à ce panel de réacteurs. Il y a 359 réacteurs PWR et BWR au monde aujourd’hui, 124 en Europe et 58 en France. On en serait alors à 3 accidents pour 359 au monde des RepReb, 1,04 accident pour l’Europe des RepReb et à 0,48 pour la France. On obtient le même résultat.
    Imaginons qu’on retienne 100 milliards d’euros comme référence de coût par accident majeur. Pour constituer une cagnotte de 50 milliards d’euros (pour 0,5 accident) il faut placer, par exemple sur 30 ans de l’argent, pour obtenir en fin de parcours le montant suffisant pour indemniser les dégâts. Si on prend des conditions de placement à long terme classiques (pour un Etat comme la France qui emprunte à 4% environ à long terme dont 2% d’inflation) l’intérêt réel sera de 2%. le calcul donne alors une prime de 1,2 milliards par an pendant 30 ans pour obtenir 30 ans après les 50 milliards requis. Soit une prime de 3 euros/ MWh. Bien entendu on peut être plus exigeant et se dire que la catastrophe peut se produire bien avant, par exemple, si on coupe la poire en deux, au bout de 15 ans. Si on veut avoir la cagnotte prête à cette époque, il faut alors, pour le même taux d’intérêt, forcer la prime autour de 2,9 milliards d’Euros soit 7, 25 euros/ MWh. Si on veut la constituer encore plus vite, par exemple en 10 ans, il faut y consacrer 4,7 milliards d’euros par an et 11 ,5 euros/ MWh. Bien entendu si c’est un assureur qui prend en charge ce risque il sera plutôt tenté de prendre la deuxième ou la troisième solution en y ajoutant sa propre rémunération…
    C’est pour toutes ces raisons que j’ai du mal à penser qu’un assureur potentiel serait prêt, dans les conditions actuelles à assurer le risque d’une catastrophe en France au niveau de 100 milliards avec une prime de ‘ordre de 1 euro/ MWh.

    Deuxième point : le rythme de sortie du nucléaire
    Le raisonnement d’Alain Grandjean s’appuie sur deux éléments principaux : – la vitesse de décroissance de la production nucléaire si on veut sortir du nucléaire en 2030.
    – La très grande difficulté d’implantation d’un programme suffisamment important d’économie d’électricité dans l’habitat tertiaire.

    La question de la vitesse de décroissance de la production nucléaire
    Avec une fermeture systématique à 30 ans, il estime la production nucléaire en 2020 à 100 TWh sur la base d’un facteur d’usage des centrales nucléaires de 78,5%.
    Ce chiffre de 78,5% est surestimé par rapport à la réalité de 2009. Appliqué à 63,3 GW (la puissance du parc en 2009) donne une production supérieure donne 435 TWh. Le taux réel ( 409 TWh produits pour 63,3 GW) n’est que de 74% en 2009. Mais l’année 2009 est probablement exceptionnelle et on peut espérer en année normale une production nucléaire de 430 TWh et un facteur de charge moyen de 78%.
    C’est cependant oublier que les plus vieux PWR du parc actuel ont été beaucoup moins sollicités ces deux dernières années que les plus récentes. Sur la base du memento sur l’énergie 2010 du CEA, le facteur de charge des 19 tranches nucléaires concernées en 2011 par la retraite à 30 ans n’est que de 66% (5760h/an) et représente 99 TWh d’électricité produite en 2009 pour 17,2 GW.
    Cela veut dire aussi que le facteur de charge des réacteurs restant est nettement plus élevé 63,3 GW – 17, 2 GW = 46,1 pour (409 – 99) TWh = 310 TWh soit de 76%.

    Au delà de cette précision, la première question est celle du déficit d’électricité en début de période en 2012 par ex, où il manquera 100 TWh.
    La décision d’arrêt des exportations permet de réduire ce déficit de 68 TWh. Les dépenses énergétiques d’enrichissement chutent d’un quart, de l’ordre de 6 TWh et les pertes en ligne (proportionnelles aux quantités distribuées) de 6TWh. Reste un déficit d’une vingtaine de TWh en 2012.
    L’amélioration du facteur de charge sur le parc restant, de l’ordre de 4 points, permet de compenser une partie de ce déficit ( 8760*0,04*46,1) = 16 TWh .
    Par conséquent la fermeture des 19 réacteurs au bout de 30 ans est envisageable sans augmentation sensible du recours à des énergies carbonées en 2012, si la consommation d’électricité reste du même ordre que la consommation actuelle et qu’on renonce à exporter.

    Et en 2020 ?
    Si on applique de façon rigoureuse la règle des 30 ans le parc restant ne peut guère dépasser la fourniture de 100 TWh. C’est l’effet falaise cité par Alain Grandjean. Mais on peut procéder de façon plus intelligente que purement administrative : c’est ce que font les allemands en fixant une date ultime mais en se réservant la possibilité de moduler la durée de fonctionnement des centrales selon leur état entre 25 et 35 ans.
    C’est une des raisons pour lesquelles, à l’instar des allemands, la proposition de sortie du nucléaire en 2030 devrait dans mon esprit s’envisager avec une durée de fonctionnement moyen qui reste autour de 32 ans mais avec une possibilité de modulation de + ou – 4 ou 5 ans par exemple en fonction de l’état des centrales, et des risques spécifiques auxquelles elles sont soumises (sismicité, risques d’inondations, etc,), puisque ces centrales n’ont pas fonctionné 30 ans à pleine charge (la pleine charge étant définie comme un taux de charge de 90% pour tenir compte de l’entretien et du rechargement en combustible). Cette marge de man¦uvre introduit une souplesse importante. A titre d’exemple, la fermeture à 33 ans, en 2030 des réacteurs construits en 87 permet de maintenir disponible une puissance de 8 GW et plus de 55 TWh supplémentaires.

    – La très grande difficulté d’implantation d’un programme suffisamment important d’économie d’électricité dans l’habitat tertiaire.

    Pour montrer qu’il n’est pas possible de réaliser à temps le programme d’économie d’électricité nécessaire, le raisonnement adopté par A Grandjean porte de nouveau, comme dans sa première note sur l’isolation thermique des bâtiments (avec une note de bas de page qui fait une simple allusion aux économies d’électricité spécifique). Je suis donc amené à répéter ce que j’ai dit dans ma première note et à y insister. Un programme d’économie d’électricité dans le résidentiel porte essentiellement sur les 200 TWh d’électricité spécifique qui y sont dépensés, et de façon forcément marginale sur le chauffage électrique qui ne compte que pour 60 TWh.
    C’est donc un double contresens que de ne se fonder que sur les économies de chauffage et sur l’isolation comme moyen d’y parvenir comme moyen d’économie d’électricité. En fait l’essentiel de l’économie possible porte sur l’électricité spécifique et, dans le domaine plus marginal du chauffage électrique, dans la substitution par des PAC ou des chauffages à gaz ou au bois (voir ma précédente note).
    L’isolation thermique des locaux quelque soit le mode de chauffage est aussi une priorité mais pour d’autres raisons même sans sortie du nucléaire puisque le chauffage aux combustibles fossiles mais aussi à l’électricité est responsable d’émissions importantes de CO2.
    Sans méconnaître les difficultés d’une sortie en 2030 du nucléaire, je m’inscris cependant en faux vis-à-vis des conclusions de la note « Sortir du nucléaire, à quel rythme » conclusion qui me paraît reposer sur des bases contestables.

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