Couverture du risque d’accident nucléaire : qui doit payer quoi ?

12 juin 2011 - Posté par Alain Grandjean - ( 4 ) Commentaires

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carte-de-le-centrale-nuclaire

Les coûts de l’accident de Fukushima sont, comme ceux de toute grande catastrophe technologique majeure, impossibles à évaluer en toute rigueur : la douleur et l’angoisse humaines, la destruction d’écosystèmes peuvent-elles s’exprimer en argent ? Si on se limite aux coûts évaluables monétairement ils sont de deux  catégories :

  • les coûts liés au traitement de la catastrophe (de la gestion de la crise à la remise en état du site  terrestre et maritime, en passant par les soins et l’indemnisation des habitants de la région, sans parler des conséquences sur la santé psychologique (dur pour la légendaire fierté japonaise où le taux de suicides pourrait s’accroître)
  • les pertes économiques qu’elle a entraînées (conséquences des coupures de courant, perte de valeur de Tepco, baisse de la bourse japonaise, impacts sur l’activité économique ainsi que l’emploi des industries du nucléaire et liées, au Japon et ailleurs, coût du relèvement des dispositifs de sûreté sur les centrales existantes, coût d’une sortie du nucléaire éventuellement au Japon mais déjà en Allemagne, etc.). Il va falloir attendre pour connaître leurs montants par catégorie, même en ordre de grandeur. Comment en effet bien les séparer des effets du tsunami ? Ils se mesurent au total certainement en dizaines voire en centaines de milliards d’euros.

Les distances depuis Fukushima sur la carte Google Earth du Japon - mis en ligne par bizenjirapid213 sur Twitpic

On sait que ces coûts  ne seront pas supportés par l’opérateur et que pour finir c’est l’Etat qui paiera (donc les citoyens) et/ou les victimes qui ne seront pas indemnisées.

Quelles leçons en tirer pour la France ?

Il me semble tout d’abord qu‘il est logique de faire payer une prime de risque au consommateur d’électricité nucléaire. C’est  d’ailleurs ce qui est souhaité depuis longtemps pour ce qui concerne l’impact climatique  des centrales alimentées par de l’énergie fossile[1] et qui est mis en place via le marché européen de quotas, même si c’est à un  niveau insuffisant. Ensuite, l’assurance privée n’étant pas envisageable face au risque nucléaire,  il est prudent qu’une  cagnotte soit constituée, comme c’est le cas pour la provision pour démantèlement (même si son montant est discutable), qui puisse être mobilisée en cas d’accident. Il ne serait pas acceptable qu’elle vienne augmenter la rente nucléaire. Enfin reste le calcul de son montant. Il s’agit de multiplier d’un côté une probabilité d’accident majeur,  de l’autre un montant de dommages liés à cet accident.

Sur des événements rares, les calculs de probabilité sont évidemment tous très  discutables. Sur le principe même : la société est-elle prêt à accepter des accidents à probabilité faible et aux conséquences majeures ? Sur les méthodes de calcul : faut-il raisonner sur l’ensemble des accidents, parfois mineurs, mais qui auraient pu être tragiques (c’est la démarche que propose Jean-Pierre Dupuy[2]), faut-il compter 4 accidents (1 pour Tchernobyl et 3 –car il y a 3 réacteurs- pour Fukushima), ou un seul,  faut-il se dire que les concepteurs qui dimensionnent les centrales en fonction d’objectifs  de probabilité d’accident font les bons calculs ?

Contentons-nous d’une approche rustique pour faire avancer le raisonnement. Le parc nucléaire mondial comparable au français a connu 2 accidents majeurs (Tchernobyl et Fukushima) sur 14 000 années-réacteurs de fonctionnement. Raisonnons sur les 30 ans à venir. Le parc nucléaire français actuel  fonctionnerait pendant 1 800 années-réacteurs ans. Prenons, en écartant le cas de Tchernobyl, une  probabilité d’accident de 10% (en arrondissant le rapport 1800/ 14000) pour le parc français dans les 30 ans à venir. Du côté des coûts, prenons un ordre de grandeur de 100 milliards d’euros par accident[3]. Nous devons donc construire une cagnotte de 10 milliards d’euros. En 30 ans la production est d’environ 12 000 TWh. Sans actualiser il faut une prime de couverture de risque de l’ordre de 0,8 euros le MWh, arrondie à  1 euro. Au total, pour une année donnée il s’agirait d’un montant de 300 à 400 millions d’euros.

Bien sûr les chiffres ne sont pris ici que pour l’exemple. L’audit de la cour des comptes devrait permettre d’y voir clair, s’il est fait de manière transparente et en écoutant des experts de divers horizons. En la matière, il n’y  aura pas de vérité scientifique mais on devrait pouvoir valider le raisonnement  et quelques données de cadrage.

Reste la question du dispositif institutionnel  à mettre en place. Aujourd’hui la taxe sur les installations nucléaires est d’environ 400 millions d’euros. Il s’agirait donc de la faire passer, dans notre exemple,  à un montant de 700 millions par an pour que la cagnotte constituée ne reste pas dans les comptes de l’exploitant. Par construction elle sera soit excessive, s’il n’y a pas d’accident, soit insuffisante s’il y a un accident majeur. Ce sera alors le budget de l’Etat qui sera mobilisé. Faut-il du coup isoler la provision dans une cagnotte ou la laisser dans le budget général? Sans doute le plus logique est de la laisser dans le dit budget. Deux questions se posent alors : n’est-on pas en train de dire que les pertes potentielles du nucléaire sont nécessairement socialisées alors que cela n’est pas le cas des bénéfices si l’exploitant est privé ? Du coup, le nucléaire ne peut-il se concevoir que dans une structure publique ?

Alain Grandjean


[1] Pour une centrale au charbon qui émet en ordre de grandeur 1000 grammes de CO2 par kwh, et une taxe carbone de 100 euros la tonne, la taxe se monte à 10 c par kWh, soit 100 euros le MWh, ce qui est très élevé (cela consisterait à multiplier le prix de l’électricité en gros par deux).

[2] Voir par exemple : http://larecherche.typepad.fr/le_blog_des_livres/2011/03/fukushima-vs-tchernobyl.html

[3] A comparer au montant de 83 milliards d’euros retenus dans l’étude Externe (voir www.cepn.asso.fr/IMG/pdf/R274.pdf ) pour un accident provoquant 11000  décès ou, autre donnée, la constitution d’un fonds de 45 milliards de dollars envisagé pour Fukushima.

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4 Responses to “Couverture du risque d’accident nucléaire : qui doit payer quoi ?”

  1. « la cagnotte » / l’assurance..
    Oui, pourquoi pas, mais y a t’il de la (vraie) monnaie dans cette cagnotte ?
    Faut-il, avec cette taxe supplémentaire, augmenter les actifs financiers (de qui, de l’Etat ou d’EDF ?) pour pouvoir les vendre en cas de besoin? .. mais comment avoir confiance dans la valeur future de quelque actif que ce soit ?
    La vraie cagnotte ne serait-elle pas de diminuer les besoins énergétiques ou transformer les productions (donc fermer progressivement les centrales les plus dangereuses?)
    Je n’ai pas de réponse, mais si l’Etat était (seul) émetteur de monnaie, cette cagnotte serait-elle nécessaire ?
    Amitiés
    AJH

  2. Ce qui me semble plus terrible c’est ce focaliser sur l’accident nucléaire, qui sans le minimiser et dont le bilan reste à faire, alors que le tsunami a eu des conséquences directes bien plus ravageuses…

    Plusieurs mois après l’accident, on dirait qu’on l’a oublié.

    Quelle est la notion de risque dans un pays comme la France ou la sismicité n’atteindra jamais la magnitude 10 et qui ne sera jamais balayé par un tsunami ?

    Quelle est la notion de risque quand Tepco est un exploitant privé coupé de tout lien avec l’Etat et dont la prise de risques a été minimisée par ses intérêts, jusqu’à l’arrêt définitif du réacteur qui aurait pu se faire après l’arrivée du tsunami ; alors que l’Etat français détient le contrôle sur ses centrales ?

    Quelle est la notion de risque quand la centrale de Fukushima aurait pu éviter l’accident si les générateurs au diesel auraient été installés quelques mètres plus haut sur la falaise (qui a été volontairement rabotée pour installer la tranche nucléaire) ?

    Rappelons encore que le tsunami et le tremblement de terre ont détruits des raffineries, un barrage hydraulique dans le Nord, ainsi que d’autres installations de centrale thermique. Sans causer le même drame pour les populations touchées évidemment mais cela pose plus généralement le risque d’accident naturel.

    Si l’on suit les dernières décisions dans l’opinion, il ne faut ni nucléaire, ni gaz de schiste.

    Le Japon sait très bien que ses capacités de production électrique sont limitées pour le renouvelable. C’est pour cette raison que ce pays très montagneux mais aussi très sismique n’a beaucoup installé de barrages hydrauliques. Les centrales nucléaires présentaient moins de risque de ce côté…

    Dans le monde près de 250 GW de centrales au charbon sont en cours d’instruction et de construction. Le renouvelable installé l’année dernière n’arrive même pas à assurer l’augmentation de consommation d’électricité d’une année à l’autre. Et la Chine prévoit d’installer 500 GW à l’horizon 2050…

  3. Il y a en effet un point commun entre l’accident de Tchernobyl et celui de Fukushima, et c’est le seul à ma connaissance, il y a eu relachement de radioactivité (en quantités très différentes, cependant). Les causes des deux accidents n’ont rien de commun, pas plus que les types de réacteur impliqués qui, tous les deux, sont encore différents de ceux que l’on exploite en France. De même les règles de sûreté diffèrent d’un pays à l’autre. Ainsi, faire un calcul de probabilité d’accident sur une centrale nucléaire en France sur la base de ces deux accidents est forcément faux et trompeur. Alors pourquoi le faire ?
    Quant au coût d’un accident éventuel, il dépendrait avant tout de l’étendue de la zone d’évacuation de la population avoisinante et de la durée d’une telle évacuation. Or, au fur et à mesure des retours d’expérience, sur les accidents et les incidents constatés de par le monde, les centrales sont modifiées, au moins en France, et ce sous le contrôle de l’ASN, pour en améliorer la sûreté. On ne peut pas, dans un raisonnement, ignorer le travail des ingénieurs de sûreté et faire comme si, dans le nucléaire ou ailleurs, la courbe d’apprentissage basée sur l’expérience n’existait pas.
    La mise en place de règles de sûreté homogènes sur le plan international avec une autorité de sûreté indépendante qui ait un réel pouvoir dans tous les pays exploitant le nucléaire civil et qui puisse imposer la mise à l’arrêt de centrales qui ne respecteraient pas lesdites règles serait bien plus efficace qu’une taxe pour diminuer les coûts liés à l’industrie éléctronucléaire puisqu’il s’agirait d’éviter les accidents tout en assurant une fourniture d’électricité à des populations qui ne sont pas prêtes à s’en passer et qui n’ont pas toutes la possibilité de recourir à des moyens de production autres, non émetteurs de gaz à effet de serre.

  4. Une prime de risque à 0.1 c euros du kWh basé sur 2 accidents sur des réacteurs moins surs …Pourquoi pas :400 millions d’euros/an, mais il faut prendre en cause les ordres de grandeurs un pourcent d’électricité PV coûtera 2 milliard d’euros par an …

    à 400 millions d’euros par an, on peut aussi construire un condenseur derrière chaque réacteur pour refroidir la vapeur du circuit primaire qui serait libérée en cas d’accident. On peut même piéger le xénon.

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