Séparation bancaire (4) – Des différentes manières de scinder les banques.

5 janvier 2013 - Posté par Alain Grandjean - ( 3 ) Commentaires

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Credit : Glass-steagall-act

[Voir aussi : La séparation bancaire (3)A notre connaissance, il existe à ce jour 4 grandes options pour scinder les banques. Seule la dernière permet véritablement de répondre aux quatre dangers énoncés dans le post précédent.

La Règle Volcker (défendue par l’ancien secrétaire au Trésor américain Paul Volcker) est en voie d’adoption aux Etats-Unis. Elle interdit aux banques de spéculer pour compte propre (proprietary trading) tout en les autorisant à utiliser les dépôts pour prêter à ceux qui spéculent (hedge funds…). Elle place donc la « cloison » entre les opérations de proprietary trading et les autres. Sa force est de reposer sur une interdiction pure et simple. Sa faiblesse est qu’en pratique l’identification des opérations pour compte propre est extrêmement malaisée et sujette à débat. (leur définition fait l’objet aujourd’hui d’un rapport de 700 pages !). Pour prendre l’exemple des quatre grands établissements français cotés (hors Crédit Mutuel CIC), leurs activités de trading représentent entre 30 et 50 % de leur bilan. Ces montants sont élevés au regard de ce que représentent les activités de couverture ou de market making classiques à destination de la clientèle entreprises ou de particuliers. On ne peut qu’en déduire que ces niveaux de stocks hypertrophiés sont liés à des opérations déguisées de compte propre.

La règle Volcker ne fournit donc de protection contre aucun des 4 premiers dangers mentionnés supra. S’il est possible de démontrer que les prises de position d’une banque sur le marché des CDS constituent éventuellement des opérations pour compte propre, l’option Volcker protège les clients des banques contre le second versant du risque 5). (Mais elle ne protège pas l’activité commerciale du risque d’être délaissée au profit d’opérations de marchés plus lucratives à court terme.) Enfin, ayant été édictée à l’échelon fédéral, la loi Volcker attend encore d’être traduite dans le droit des différents Etats américains : c’est l’occason pour le secteur bancaire américain, par son activité de lobbying très intense, de la vider de son contenu en multipliant ses amendements, Etat par Etat.

L’option Vickers (défendue en Angleterre par la Commission Vickers), préconise le cantonnement (ring-fencing) des dépôts et des autres activités bancaires tout en les gardant sous un même toit (holding).  Sa force est de ne pas reposer sur l’identification ambiguë des activités pour compte propre mais de chercher à isoler toutes les activités de marchés comme telles. Sa faiblesse est de conserver la structure de holding : il est certain qu’en cas de faillite d’une filiale d’une holding, c’est l’ensemble de ses autres filiales qui devra assumer les pertes. En 1929, d’ailleurs, les Etats-Unis comptaient x holdings de ce genre. L’expérience a montré que les filiales « commerciales » n’étaient en rien protégées. C’est justement la raison pour laquelle, en 1933, Franklin D. Roosevelt ne s’est pas contenté d’un cantonnement à la Vickers, mais s’est prononcé pour une scission pure et simple (le Glass Steaall act, cf. infra)). En outre, l’indépendance du conseil d’administration d’une filiale à l’égard de celui de la holding est une illusion. Ce dernier continuera d’allouer le capital en fonction des activités les plus lucratives. Donc, a priori (et à condition d’être correctement appliquée), l’option Vickers répond au problème 1) mais laisse entiers les problèmes 2) à 5).

            Le rapport des experts européens dit groupe Liikanen vise à décourager la spéculation en cantonnant de nombreuses activités spéculatives mais toujours au sein d’une même banque. Sa force est de détailler les activités spéculatives jugées nocives parce que trop dangereuses. Il inclut dans celles-ci non seulement les activités pour compte propre mais aussi les activités de market making[1]. Par exemple, il recommande explicitement de localiser les activités de crédit bancaire aux hedge funds dans le département non habilité à recevoir des dépôts (disons, donc, dans le département « marché »). Sa faiblesse est de reposer sur la fiction selon laquelle il existerait une « muraille de Chine » (ou un « cordon sanitaire ») juridique, au sein de chaque banque, entre son département « commercial » et son département « marché ». Il est peu vraisemblable qu’il réponde aux problèmes 1) et 2) ; il est certain qu’il ne répond pas aux problèmes 3) et 4). La question reste donc entière de savoir comment le Commissaire Européen Michel Barnier avancera sur le projet de séparation à l’échelle européenne.

             Le Glass-Steagall Act (GSA) impose une séparation juridique et opérationnelle stricte en créant des banques dédiées à chacune des deux activités.  Aucune activité de marché n’est permise aux banques commerciales, et de leur côté, les banques de marché ne peuvent pas collecter de dépôts. Les banques de crédit ne peuvent plus prêter aux banques de marché. De cette manière, la faillite d’une banque de marché n’oblige pas l’Etat à la recapitaliser pour sauver les dépôts. Inversement, n’étant plus exposés aux risques de marchés, ceux-ci seraient davantage sécurités. De plus, dans le cadre d’un GSA, une banque de marché ne peut plus utiliser les dépôts comme liquidité pour ses opérations.

Une loi de ce type répond parfaitement aux problèmes 1) et 2) et, en grande partie, aux problèmes 3) à 5). En grande partie seulement car rien n’interdit à une banque commerciale de faire des affaires avec une banque de marché. Si cette dernière fait défaut, et se révèle incapable de payer ses dettes, elle peut mettre la première en difficulté (en ce sens, le problème 4) peut survivre au GSA). Cela étant dit, c’est aussi le métier des banques commerciales que de prendre des risques de crédit vis-à-vis de leurs contreparties, qu’elles soient des institutions financières publiques ou privées, ou des sociétés industrielles ou commerciales. En outre, une banque de marché en relation marchande avec une banque commerciale peut toujours parier contre elle (second versant du problème 5). Mais cette seconde faiblesse, de nouveau, est inévitable dans le contexte actuel : même sans relation commerciale une banque de marché peut jouer massivement contre une autre institution financière (e.g., une banque commerciale), tant l’exigence de « transparence » vis-à-vis des marchés contraint les acteurs se finançant sur les marchés à publier d’informations sur leurs activités.

Auteur :  Gael Giraud (CNRS, Centre d’Economie de la Sorbonne, Ecole d’Economie de Paris, Labex REFI (Régulation Financière)

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[1]    I.e., les activités de « teneur de marché » (dealer ou market maker), qui consistent à vendre ou acheter en continu des produits financiers en cherchant à bénéficier des opportunités d’arbirtrage qui se présentent, notamment du bid-ask spread, c’est-à-dire de l’écart entre le prix d’achat et le prix de vente d’un même produit.  Ces activités, réputées favoriser la liquidité des marchés, ne la garantissent cependant pas, comme l’a montré l’épisode de 2008.

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3 Responses to “Séparation bancaire (4) – Des différentes manières de scinder les banques.”

  1. Bonjour Alain

    je salue avec gratitude le formidable boulot que vous avez fait, avec Gael, pour permettre aux non spécialistes de reconnaitre le champ de mines que constitue l’existence de « banques mixtes » ! (Pour une raison mystérieuse, certains copains du Collectif pour un Pole Public Financier, n’aiment pas qu’on parle -mal- des « banques universelles »; je constate que tu préfères aussi « banque mixte »: il y aurait-il un historique « banque universelle » qui m’échappe ?)

    Puisque la saison des voeux bat son plein, je souhaite le plein succès pour la campagne d’opinion que vous jugez indispensable, contre le « tigre de papier »… que constitue l’actuel projet de loi, totalement inadapté aux objectifs « de salut public », que vous avez identifiés:
    – médiocriser la finance et faire disparaitre sa « Règle d’or très particulière: « Pile je gagne, face les autres perdent ! »
    – assainir la situation démocratique, (recouvrer le pouvoir de création monétaire), et encadrer le pouvoir du secteur bancaire par les contre-pouvoirs et la subsidiarité qui vont bien.

    Bien amicalement,
    R Z

    PS Pour faciliter la lecture de cette 4ieme partie, je copie ci dessous les 5 risques à maitriser, tels que récapitulés à la fin de votre 3ieme partie. (En passant pourquoi parler, au debut, de… « 4 dangers » ?)

    – limiter la création monétaire à destination des marchés financiers (i.e., limiter la spéculation et protéger l’industrie française des excès du private equity) ;

    – limiter l’aléa moral dans les activités commerciales (i.e., protéger l’emprunteur) ;

    – limiter le risque systémique des banques « too big to fail » (i.e., protéger le contribuable) ;

    – limiter le risque d’absorption des dépôts dans une faillite bancaire (i.e., protéger le citoyen) ;

    – limiter le risque de conflit d’intérêt entre le métier de la banque commerciale et les activités d’une banque de marché (i.e., protéger la banque commerciale et ses clients)

  2. Concernant l’adjectif « universel » (auquel il faut sans doute préférer « mixte », en effet), je crois qu’il s’agit simplement d’un jeu de connotations : « universel », en France, a immédiatement un écho positif. On pense à la grande « vocation » de la France (fille aînée de l’Eglise « catholique »=universelle) à penser l’universel (depuis Descartes ?), à proclamer la déclaration des droits de l’Homme (universelle, puisqu’il s’agit de l’Homme en tant que tel), à publier les 20 tomes de Bourbaki… Alors, parler du « modèle français de banque universelle », c’est déjà gagner la moitié de l’assentiment inconscient de son interlocuteur, c’est sous-entendre que, tandis que le reste de l’humanité vivrait encore dans l’obscurantisme des cas particuliers et autres banques spécialisées, nous, nous aurions inventé le cas « général »… De la même manière, on pourrait s’amuser à être attentif au lexique de la « rationalité » chez certains économistes-financiers : rationalité toujours entendue au sens des moyens, jamais des fins (et qui vient, le plus souvent, servir d’alibi au cynisme décomplexé… puisque rationnel) ; ou encore de la « naturalité » (l’égoisme « naturel » par exemple…). Mieux, à y regarder de plus près, le vocabulaire de certains économistes est hanté par le lexique théologique : vous mêmes, vous évoquez la « Règle d’or ». Il y en a plein (la golden rule de Friedman, etc.) Son origine, c’est la « règle d’or » biblique (évangélique) : « tout ce que vous voudriez que les autres fassent pour vous, faites-le pour eux ». Blanchard parle aussi d’une « divine coïncidence » au sujet d’un résultat dont il prétend qu’il permet de montrer que la Banque centrale peut, à elle seule, piloter une économie, de sorte que la politique budgétaire et fiscale deviendrait obsolète… gG

  3.   Didier Pouvreau   9 janvier 2013 à 2 h 24 min

    Bonjour, je crois qu’il ne faut pas mettre dans le même sac les banques anglo-saxonnes et françaises. Il me semble que chez ces dernières, la séparation est déjà de mise, puisque l’activité de banque d’affaires est bien souvent confiée à une filiale. La collecte d’épargne en vue de financer l’économie réelle demeurant, elle, l’activité principale. D’ailleurs l’assouplissement de Bâle 3 ne signifie-t-il pas qu’il faut laisser les banques de la zone euro faire ce boulot-là, qu’elles font plutôt bien ?

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