DEXIA, après le scandale, une note salée à venir : 90 milliards d’euros. Qui va payer ?

15 janvier 2013 - Posté par Alain Grandjean - ( 2 ) Commentaires

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Le groupe bancaire Dexia -né en 1996- est en cours de  démantèlement depuis 2 ans.  P.H. Thomas, journaliste au Soir (le quotidien francophone le plus lu en Belgique) en raconte  la  courte vie dans le livre « Dexia, Vie et mort d’un monstre bancaire »[1]. Courte mais hallucinante. Il faut lire et relire quelques passages pour en croire ses yeux.

Certes, les dirigeants qui ont participé à ce naufrage ne jouent pas complètement dans la catégorie des très  grands prédateurs mondiaux comme l’improbable Maurice Greenberg, ancien patron d’AIG, l’assureur américain sauvé in extremis en 2009 par une injection de 182 milliards de dollars du Trésor américain. Ce tyrannosaure porta plainte deux ans après au nom de Starr (sa holding personnelle)  et d’autres actionnaires d’AIG[2] contre le gouvernement américain, auquel il réclame 25 milliards de dollars, l’accusant de l’avoir spolié[3]. Mieux vaut en rire…

Je vous laisse découvrir cette saga, que l’auteur conclut en en  tirant des leçons et des responsabilités (plus larges que la seule mégalomanie des dirigeants) : la construction et la gouvernance de la zone euro[4], le défaut de régulation bancaire, le rôle des agences de notation,  la course à la taille,   la toxicité des produits financiers.

En cette période de projet de séparation bancaire, il est sans doute nécessaire d’insister sur quelques points :

La folie  des grandeurs et le mythe de la résilience du modèle  de banque universelle.

La Caisse d’Aide à l’Equipement des Collectivités Locales (CAECL), département de la Caisse des Dépôts et Consignation (CDC), faisait un métier certes « plan-plan » mais utile de financement des collectivités locales, avec des prêts « normaux ». Elle sera privatisée en 1987,  sous le nom de Crédit Local de France puis apportée dans Dexia avec sa consoeur belge, le Crédit Communal Belge, qui sera introduite en bourse en 1996. La stratégie poursuivie : faire de ce groupe le leader mondial du prêt aux collectivités locales et l’une des grandes banques universelles européennes. Il s’en suivit une frénésie d’acquisitions dans le monde[5] et le développement de « produits structurés »[6]. Alors que le total  du bilan du CLF est en 1987 de 153 milliards de francs, soit 23 milliards d’euros, celui de Dexia est de 651 milliards d’euros fin 2008 !  Une multiplication par 28 en 21 ans.

La course à la taille a certes été motivée par des raisons d’ego et de rémunération des dirigeants mais aussi et c’est un point clef, par deux erreurs doctrinales, l’une très en vogue au lancement du marché unique européen et l’autre très poussée par les banques en ce moment :

  • la taille n’est pas source d’efficacité (c’est le moins qu’on puisse dire en l’occurrence)
  • le modèle de  banque universelle n’est pas en soi plus résilient  face à une crise

En revanche, il est clair que le gigantisme est un risque et un déni démocratiques : les citoyens sont otages des banques « too big too fail » que l’Etat est obligé de soutenir en cas de risque de faillite. Ce serait bien sûr le cas de nos grandes banques universelles.

 

Les conflits d’intérêt entre la Direction Générale  du Trésor et le monde bancaire

 

Bruno Deletré est l’un des héros de cette saga. Il a été sous-directeur au Trésor  et a rejoint Dexia en 2001. Directeur général de l’activité de services financiers aux pouvoirs publics, il rejoint le comité de direction en 2006 et quitte le groupe en 2008. Il est aujourd’hui membre du comité exécutif de BPCE.

Petit détail : il est l’un de ceux qui sont à la base de la loi de juin 1999 qui a créé les obligations sécurisées, les « covered-bonds » à la française. C’est le recours à ces instruments notamment qui a permis à Dexia de démultiplier sa capacité de prêts. (dont il avait une centaine de milliards en portefeuille en 2011). Dexia, grand spécialiste du financement de prêts à long terme par des emprunts à court terme, ne disposait que de très peu de dépôts (15 % de son passif en 2008). Et de très peu de capitaux propres : son levier (total du bilan/capitaux propres)  était de l’ordre de 35 à 37[7] dans la période 2005-2008.

 

Les connaissances acquises au Trésor par Bruno Deletré ont à l’évidence servi Dexia, dans sa phase d’ascension. Inversement, les fonctionnaires du Trésor qui voient ce passage comme un tremplin pour leur carrière future ne sont pas nécessairement très pugnaces face à leur possible futur employeur, quand il pose quelques menus problèmes. Conclusion : il est nécessaire d’édicter des règles strictes pour limiter cette collusion d’intérêt.

 

Qui va payer l ‘addition finale ?

 

La saga  Dexia n’est pas terminée. Le 28 décembre 2012, la Commission Européenne a donné son accord sur le plan révisé de résolution ordonnée de Dexia soumis par les Etats belge, français et luxembourgeois le 14 décembre 2012. La Belgique et la France ont remis au pot 5,5 milliards d’euros. Mais cet accord entérine surtout la garantie donnée par les trois Etats à hauteur de 90 milliards d’euros. Cette garantie est la condition sine qua non de la survie de Dexia. Comme le dit l’entreprise dans un communiqué de presse du 31/12/2012 :

« Dexia aura ainsi la capacité d’assurer le portage de ses actifs résiduels à long terme, ce qui constitue le principal fondement du plan révisé de résolution ordonnée afin d’éviter la matérialisation du risque systémique que représenterait, à l’échelle de la zone Euro et en première ligne pour les Etats garants, une dissolution immédiate du groupe. » [8] En d’autres termes les pouvoirs publics ont considéré que le risque de dépôt de bilan de Dexia était trop élevé pour le prendre. C’était bien une banque « too big too fail » ! Dexia voulait jouer dans la cour des grands. Il se compare en effet à Lehman Brothers que le Trésor Américain a laissé tomber avec les conséquences qu’on connaît, ou qu’ AIG que le même Trésor a sauvé.

Pour autant, si jamais une nouvelle crise financière ou un problème non identifié à ce jour survenaient, et  que la garantie fût appelée, ce serait bien aux contribuables de mettre la main à la poche. Les actifs toxiques que  porte Dexia sont de long terme.

Les collectivités territoriales emprunteuses ne sont pas toutes en capacité de rembourser leurs dettes. Quelles seraient les conséquences d’un appel en garantie (concrètement un paiement par les Etats) sur les dettes publiques belges et  françaises ? Quelles seraient les conséquences pour les citoyens des mesures d’austérité alourdies par ce fardeau supplémentaire ? Nous avons connu un krash boursier tous les 4 ans depuis les années 80. Qui peut nous garantir que cela ne se reproduira pas prochainement ?

Auteurs : Michèle G.Lévi et Alain Grandjean

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[1]  Paru chez Les petits matins, 2012,  268 pages, 16 euros

[3] Car AIG aurait remboursé 205 milliards au Trésor américain,  c’est trop pour notre homme.

[4] Citons entre autres le fait que Dexia a passé avec succès les stress-tests en juillet 2011…

[5] Je ne résiste pas au plaisir de citer celle de la société américaine FSA, l’un des leaders du rehaussement de crédit des obligations municipales, en 2000, dont la déconfiture en 2008 est à l’origine de celle de Dexia. Le réhaussement de crédit, c’est évidemment plus sexy que le bon vieux prêt  à taux fixe…Voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Financial_Security_Assurance

[6] Un nom rassurant pour désigner des prêts incorporant des risques spéculatifs , dont Dexia s’est fait un grand spécialiste, sous couvert d’une demande insistante des collectivités locales, désirant pouvoir profiter de taux d’intérêt « attractifs »

[7] La règle dite de Bâle I limitait ce ratio à environ 20. Elle fut abolie par Bâle II en 2004…Ce ratio, déjà très excessif, devrait être réintroduit dans Bâle III.

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2 Responses to “DEXIA, après le scandale, une note salée à venir : 90 milliards d’euros. Qui va payer ?”

  1.   Carlier François   18 janvier 2013 à 10 h 02 min

    le parcours du patron de Dexia de l’époque, Pierre Richard, représente l’archétype du naufrage de la technostructure française : haut fonctionnaire, conversion opportuniste au dogme libéral monétariste, mécano industriel visant à « se construire des postes », puis folie des grandeurs, argent facile, faillite ruineuse mais impunité personnelle (un gars qui vole un auto-radio passe en comparution immédiate ds les deux jours, un gars qui plante sciemment et par cupidité le système de financement des collectivités locales continue une vie tranquille et pleines de responsabilités). On peut supposer qu’a un moment cela va finir par poser problème.
    F Carlier

  2.   Carlier François   18 janvier 2013 à 10 h 29 min

    une ultime remarque plus précise : Que faire Pierre richard aujourd’hui ?
    Il est expert auprès du conseil d’administration de la BEI :) (véridique)

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