Affaires Cahuzac, Augier … et suivante : Un sursaut nécessaire qui passe par une action vigoureuse de mise au pas de la finance off-shore

8 avril 2013 - Posté par Alain Grandjean - ( 2 ) Commentaires

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Gaël Giraud et Alain  Grandjean

Les Français sont encore sous le coup du choc lié aux aveux de Jerome Cahuzac puis à l’affaire « offshoreleaks » qui montre notamment que Jean-Jacques Augier, le trésorier de campagne de François Hollande, n’a pas hésité, lui non plus, à faire des montages off-shore (quelles qu’en soient les raisons). Ce n’est sans doute pas la fin des révélations …

Du côté du secteur bancaire, la situation n’est guère plus encourageante : alors que Deutsche Bank est impliquée dans le scandale des manipulations du Libor, la voilà soupçonnée par la Bundesbank d’avoir maquillé 12 milliards de pertes depuis 2008. Pendant ce temps, l’offshoreleaks révèle comment BNP-Paribas et le Crédit Agricole ont, pendant des années, rendu possibles les opérations d’évasion fiscale de leurs clients fortunés. Le parallèle entre la classe politique et la banque n’est pas fortuit : d’une part, l’évasion fiscale serait impossible sans le concours des banques ; de l’autre, avec Paris et Berlin, BNP-Paribas et Deutsche Bank ont présidé au « règlement » du sort de la Grèce, début 2012. C’est dire qu’elles ont acquis en Europe un pouvoir égal à celui des gouvernements démocratiques.

Le gouvernement actuel, et plus généralement la démocratie, sont en danger aujourd’hui. L’opacité et la créativité de la finance de l’ombre sont telles, en effet,  que le doute est permis vis-à-vis de n’importe qui. Or François Hollande a été élu en partie pour des raisons morales…Sa cote de popularité, déjà basse, va continuer à s’effondrer. La droite est évidemment mal placée pour donner des leçons et encore moins pour se présenter en recours. Seule l’extrême-droite bénéficiera du doute qui s’ancre dans l’opinion vis-à-vis de ses élites.

Des demi-mesures seront évidemment insuffisantes. Comment aujourd’hui continuer une politique de rigueur sans élan et sans cap, qui n’a aucun effet sur le chômage, bien au contraire? Elle n’était tolérée que parce qu’elle reposait sur le sentiment accepté que c’était un mal nécessaire…mais son acceptabilité va évidemment se réduire.

Un sursaut s’impose dont la philosophie pourrait reposer sur un constat simple : il faut en finir avec la finance off-shore, sans complexe et sans sanctions. En finir avec une domination sans fard de la banque et de la finance qui arrive à empêcher qu’on traque ces pratiques, et qui parvient à placer la corruption au coeur de l’Etat. En finir  avec une pensée unique dépassée qui ne fait pas face aux réalités économiques, sociales et écologiques, et laisse se déliter le corps social.

Les discussions sur le contrôle déontologique du personnel politique sont certes nécessaires au plan démocratique, mais sans grande efficacité face à la crise économique et sociale qui s’amplifie et contribue massivement à la perte de confiance dans nos dirigeants. Du coup ne faut-il pas déplacer le combat politique vers le contrôle d’une finance qui permet à n’importe qui de faire n’importe quoi, mais in fine ne sert plus à l’économie?

Ne faut-il pas placer au centre de notre projet de société l’importance de remettre la finance au service de l’économie et des enjeux d’avenir que représente le développement durable? Sur ces terrains, le Président de la République va devoir faire preuve de beaucoup plus d’audace qu’à l’occasion de la piteuse loi Berger-Moscovici. Au fond, il lui « suffit » de tenir ses engagements de campagne au Bourget. L’un des noeuds les plus puissants du blocage actuel réside dans notre secteur bancaire hypertrophié et dérégulé. Non seulement, il fait courir des risques considérables à l’ensemble de l’économie européenne, non seulement il ne prospère que grâce à la garantie apportée par le contribuable à des opérations de marché spéculatives dont la nocivité est pourtant claire, mais encore il gangrène l’ensemble du corps social. Les quelques dirigeants bancaires « qui comptent » ou leurs affidés siègent dans les conseils d’administration de presque toutes les grandes entreprises, de beaucoup d’Ecoles (Sciences Po encore tout récemment) qui frabriquent les élites, de la plupart des organes de presse (Le Monde, Bayard…). Et comme Michel Pébereau lui-même aime à le dire en privé : le premier employeur d’inspecteurs généraux des finances en France, ce n’est pas l’Etat, c’est BNP-Paribas.  La récente fausse réforme bancaire (Berger-Moscovici) permet de prendre la mesure de l’asservissement complet de la direction de Bercy, du Trésor et de l’IGF aux intérêts de nos quatre premières banques.

Ce n’est pas céder à un fantasme du complot que de faire ces remarques et d’en conclure que, si l’actuel gouvernement veut frapper un coup significatif, qui permette d’oxygéner les principaux lieux de décision de la société française et de retrouver un réel crédit auprès de la population, il peut choisir de remanier profondément la direction de Bercy et du Trésor, afin de remettre en chantier la réforme bancaire en visant, pour commencer, les paradis fiscaux. Cela nécessiterait évidemment le remplacement de l’actuel ministre de l’économie et des finances. Mais n’est-il pas de toutes façons sur la sellette aujourd’hui ?

La reprise de ce chantier pourrait commencer par un acte fort et simple dans le prolongement de l’amendement sur la transparence bancaire qui vient d’être adopté par le Sénat : rendre les paradis fiscaux inaccessibles à nos banques, aux sociétés et aux particuliers. Comment ? En recourant à la méthode – simple- utilisée pour mettre en place un embargo financier (contre l’Iran, par exemple). Le gouvernement français donne l’instruction aux chambres de compensation internationales (Clearstream et Euroclear, notamment) et aux messageries de transfert interbancaire (e.g., SWIFT) de cesser toute communication des particuliers, des sociétés françaises et de toutes leurs filiales avec les destinations mentionnées sur une liste ad hoc. Sans doute faudrait-il  commencer par une short list minimale, avant d’inclure aussi le Luxembourg, la Suisse, la Belgique et la City…

Cela ne sonnera pas la fin de toutes relations de nos banques avec les havres fiscaux (elles pourront en créer de nouveaux ou bien entrer en contact avec les « anciens » via des hedge funds complices), mais cela mettrait un frein très sérieux à la finance de l’ombre. Une telle opération, bien communiquée au public, aurait aussi, à coup sûr, un effet majeur sur le moral de la population, pour le crédit du gouvernement, et la confiance de tous dans l’aptitude de la démocratie à défendre l’intérêt général.

Pour en savoir plus sur la lutte contre les paradis fiscaux, voir le collectif français « Plate-forme paradis fiscaux et judiciaires ».

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2 Responses to “Affaires Cahuzac, Augier … et suivante : Un sursaut nécessaire qui passe par une action vigoureuse de mise au pas de la finance off-shore”

  1. Monsieur,
    Je ne vois pas dans les révélations du Monde et d’Offshore-leaks ce qui vous permet d’écrire que « BNP-Paribas et le Crédit Agricole ont, pendant des années, rendu possibles les opérations d’évasion fiscale de leurs clients fortunés ». Est-ce bien de l’évasion fiscale ? Si c’est le cas, la justice devra se prononcer si elle est saisie. Jusqu’à preuve du contraire, ces pays ne sont pas sous embargo financier. Les banques ont donc parfaitement le droit d’y avoir des activités pour leurs clients (des entreprises faut-il le préciser, asiatiques ou américaines pour la plupart) qui bénéficient de la stabilité politique et économique de ces pays. En effet, on ne peut parler d’évasion fiscale pour des entreprises indonésiennes ou chinoises dont les taux d’imposition locaux sont très bas. A ce sujet, il faut noter l’effort important des banques qui ont considérablement réduit leurs activités dans ces pays ces dernières années, les révélations du Monde sont relatives à des comptes ouverts il y a de nombreuses années.
    Il faut arrêter l’hypocrisie et ne pas confondre droit et Morale. Soit on interdit les transactions avec TOUS les paradis fiscaux et les pays à fiscalité avantageuses, soit on l’autorise.
    Plusieurs questions:
    – Pourquoi notre Gouvernement ne fait pas avec la Suisse ce que les Etats-Unis ont fait au sujet de la communication d’informations des contribuables américains ayant un compte en Suisse ?
    – Pour continuer dans cette chasse aux sorcières et au lavage plus blanc que blanc: Est-il moral pour une banque de financer l’industrie de l’armement, les cigarettiers, les fabricants et vendeurs d’alcool ? Pour que ce soit plus parlant, est-il moral de financer Dassault, Altadis, Pernod-Ricard, LVMH ?
    – Faut-il renoncer à être présent dans le développement du business en Asie et dans d’autres parties du monde où les montages avec des Trustees logés dans les paradis fiscaux sont légion ?

  2. Bonjour,
    merci pour votre message.
    Petite mise au point : « évasion fiscale » ne signifie pas « fraude fiscale ». Nous sommes donc parfaitement fondés à parler d’évasion fiscale s’agissant du CA et de BNP-P : il s’agit de l’ensemble de toutes les facilités offertes par une banque à ses clients pour échapper à l’impôt de leur pays. Ni plus, ni moins. Vous avez raison de souligner que c’est légal. Tout l’enjeu des discussions que nous avons aujourd’hui en Europe est que ces pratiques deviennent illégales.

    Vous écrivez : « A ce sujet, il faut noter l’effort important des banques qui ont considérablement réduit leurs activités dans ces pays ces dernières années, les révélations du Monde sont relatives à des comptes ouverts il y a de nombreuses années. » Je vous avoue être très sceptique. Les travaux de l’un de mes collègues économistes montrent que la comptabilité « officielle » de l’Union Européenne possède une espèce de « trou noir » statistique : il y a davantage de capitaux qui entrent dans l’UE chaque année, qu’il n’y en a qui en sortent. Ce qui, si c’était vrai, ferait de l’UE une zone débitrice à l’égard du reste du monde. Il ne faut pas plus d’une 1/2 seconde pour comprendre que c’est rigoureusement impossible de la part de la zone la plus riche du monde. Seule explication possible : une partie des capitaux qui quittent l’UE « disparaissent » parce qu’ils passent dans des comptes bancaires « invisibles » logés dans les paradis fiscaux. Ce « trou noir » statistique a-t-il récemment diminué ? Non. Du coup, je serais curieux de connaître vos chiffres.

    Vous écrivez :
    « Il faut arrêter l’hypocrisie et ne pas confondre droit et Morale.  » Je ne vois pas en quoi, dans ce post, il y aurait une confusion entre droit et morale.

    Je continue de vous citer :
    « Soit on interdit les transactions avec TOUS les paradis fiscaux et les pays à fiscalité avantageuses, soit on l’autorise. » La première option est exactement ce que nous proposons. Vous nous avez bien compris. Pour ma part, je suis convaincu que l’harmonisation fiscale est une condition sine qua non de l’unification européenne.

    Vous demandez :  » Pourquoi notre Gouvernement ne fait pas avec la Suisse ce que les Etats-Unis ont fait au sujet de la communication d’informations des contribuables américains ayant un compte en Suisse ? » Très bonne question. Quelle qu’en soit la réponse, elle ne dédouane aucunement les banques qui pratiquent l’évasion fiscale, comme BNP-P et CA. Avez-vous remarqué comme nous avons tendance, quand nous sommes pris en défaut, à tenter de nous défendre en disant : « les autres ne font pas mieux ». Peut-être. Et alors ?

    Vous demandez encore : « Est-il moral pour une banque de financer l’industrie de l’armement, les cigarettiers, les fabricants et vendeurs d’alcool ? Pour que ce soit plus parlant, est-il moral de financer Dassault, Altadis, Pernod-Ricard, LVMH ? » Excellente question de nouveau. Vous savez que les critères de l’Investissement Socialement Responsable (ISR) tournent précisément autour de ces problèmes. Puisque vous placez le débat sur le plan moral, vous serez peut-être d’accord pour admettre qu’un point de vue « moral » n’apparaît qu’à partir du moment où l’on admet que la fin ne justifie pas les moyens. Dans ces conditions, je vous laisse réfléchir à la réponse qu’il convient de donner à votre propre question. Idem pour votre dernière question.

    (Il est vrai que, pendant la seconde guerre mondiale, des industries nord-américaines ont continué de commercer avec le Troisième Reich. Peut-être leurs dirigeants eussent-ils été surpris qu’on leur en fasse le reproche ? Ils ne faisaient que du business, après tout… Exemple extrême, direz-vous ? Peut-être. Et où placez-vous le curseur entre ce qui est « extrême » et ce qui ne l’est pas ?
    Cordialement,
    Gaël Giraud

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