Articles de presse

Cette page regroupe certains articles que j’ai publié ces dernières années. La liste n’est pas exhaustive. En cas de souci avec le droit à recopier ces lignes ici, n’hésitez pas à me contacter, j’enlèverai l’article immédiatement.

  Télérama : La vie sans pétrole, c’est possible – Octobre 2014
  Le Nouvel Obs : CONFERENCE ENVIRONNEMENTALE. Transition énergétique : investir plus pour consommer mieux – septembre 2014

Par Alain Grandjean, économiste

LE PLUS. La transition énergétique, c’est le passage des énergies fossiles (gaz naturel, pétrole, charbon) aux énergies renouvelables (éolien, photovoltaïque, etc.). Comment la financer ? Et surtout, comment la rendre moins chère ? Démonstration d’Alain Grandjean, économiste, avec Corentin Sivy, Benjamin Thibault et Alexandre Wagner, experts en énergies renouvelables.

La transition énergétique doit nous mener d’un monde qui consomme toujours plus d’énergie majoritairement carbonée (charbon, pétrole, gaz) à un monde qui consomme moins d’énergie et des énergies décarbonées.

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En Allemagne, une expérimentation de source d’énergie à base de plantes (OBERHAEUSER/CARO FOTOS/SIPA)

Or, nos émissions de gaz à effet de serre et notre consommation d’énergie sont souvent contraintes. Pour les réduire, il faudra rénover les logements, produire des véhicules plus sobres, développer des énergies renouvelables. Investissements massifs qui contribueront à la sortie de crise, créant de nombreux emplois et réduisant notre déficit commercial, dont l’importation d’énergie représente 90%, mais qui seront lourds. 

Diminuer leur coût est donc essentiel. Comment faire ? 

Une électricité verte 30% moins chère, c’est possible

Prenons l’exemple de la production d’électricité. Si pour les énergies fossiles, le coût du combustible peut représenter 80% du coût du MWh, pour les énergies renouvelables et les économies d’énergie, c’est l’inverse. Ce sont les coûts d’investissement et de financement qui pèsent jusqu’à 80% du coût.

Si les coûts d’investissement ont fortement baissé ces dernières années, il n’en est pas de même pour le financement. Or, faire baisser le coût du financement de 10% à 5%, une rentabilité moins excessive que les exigences financières actuelles, diminue le coût de l’électricité verte de 30% !

Cela rendrait supportable pour les consommateurs l’atteinte des objectifs de la France en matière d’énergies vertes. Faire baisser le prix du MWh solaire de 200 euros à 140 c’est réduire la contribution au service public de l’électricité (CSPE), pour une puissance installée d’1,5 GW par an, de 2,2 milliards d’euros sur 20 ans.

 Une banque spéciale pour financer la transition énergétique

Pour diminuer le coût du financement, trois mesures sont proposées :

– L’instauration d’un cadre réglementaire stable, dont les évolutions puissent être prévisibles, réduira la prime de risque.

– La création d’une banque de la transition énergétique qui se financerait à taux très bas auprès de la Banque européenne d’investissement, d’une banque publique française comme la Caisse des dépôts et consignations, voire de la Banque centrale européenne permettra d’offrir un financement à moindre coût et qui facilitera le financement des nouvelles technologies. 

– La création d’un fonds de garantie réduira le coût du risque pour les banques commerciales.

C’est ainsi que sera vraiment lancée la transition énergétique. Nous attendons un signal fort en ce sens dela conférence environnementale.

 

  ParisTechReview : L’introuvable mix énergétique idéal – Juin 2014

 Alain Grandjean / Associé, Carbone 4 / June 29th, 2014

Le mix énergétique, c’est la répartition des différentes sources d’énergies primaires consommées pour la production des types d’énergie utilisés dans un pays donné. Pour différentes raisons allant de la disponibilité des ressources aux politiques de lutte contre le changement climatique, les mix énergétiques nationaux sont appelés à évoluer dans les prochaines décennies. Mais le poids de l’histoire ainsi que les coûts politiques et économiques de cette évolution la rendent difficile. Quelles sont les pistes les plus sérieuses? 

ParisTech Review – Existe-t-il dans le monde aujourd’hui un mix énergétique idéal?

eoliennesAlain Grandjean – Aucun mix énergétique au monde ne prend suffisamment en compte les problématiques climatiques. De ce fait, aucun n’est idéal. Principal coupable : notre forte dépendance aux énergies fossiles. Plus de 80% de notre énergie en provient. Or ces ressources présentent deux grands défauts. D’une part, elles émettent une grande quantité de CO2 lors de leur combustion, ce qui constitue l’une des principales causes du réchauffement climatique. D’autre part, leur quantité n’est pas infinie. Avec bientôt neuf milliards d’individus sur terre, il risque d’y avoir un sérieux problème. La raréfaction du pétrole a d’ores et déjà une conséquence majeure : l’augmentation de son prix et un impact économique et social considérable sur les familles les plus pauvres. Et nous n’en sommes qu’au début. Demain, ce sera le tour du gaz, puis du charbon. L’ensemble de ces considérations doit nous inciter à faire évoluer le mix énergétique actuel.

Certains pays, cependant, sont moins dépendants que d’autres des énergies fossiles. Peuvent-ils être pris comme modèle?

Des pays comme la France ou la Suède disposent, il est vrai, de centrales hydrauliques et de centrales nucléaires pour leur production d’électricité. Ils sont donc dans une moindre dépendance des ressources fossiles. Mais l’électricité ne représente aujourd’hui, dans les pays développés, qu’un peu plus d’un cinquième de la consommation d’énergie totale et ces pays ont toujours besoin de pétrole pour les transports et de gaz pour produire les engrais. Par ailleurs, la pétrochimie qui est utilisée par un grand nombre d’industries (matières plastiques, fibres synthétiques, polyester, nylon, médicaments, cosmétiques) est à base de pétrole.

Pourquoi utilise-t-on aujourd’hui autant le pétrole?

L’avantage du pétrole est qu’il présente une densité énergétique élevée. Il est donc très facile d’usage pour le transport de personnes et de marchandises. Sans parler du transport aérien pour lequel il est encore indispensable. En revanche, son utilisation pour le chauffage des bâtiments est un choix aberrant. Il existe bien d’autres solutions comme le gaz, l’électricité, le bois et les énergies renouvelables etc. Il est grand temps aujourd’hui de songer à substituer le pétrole dès lors qu’on en a la possibilité. L’une des priorités est d’apprendre à s’en passer afin de se préparer à la diminution des stocks. Le prix du baril ne cesse de croître. En 2008, il a grimpé jusqu’à 148 dollars. Aujourd’hui, malgré l’arrivée des hydrocarbures non conventionnels il reste supérieur à 100 dollars! Et il ne baissera pas de façon significative, pour une raison très simple : la disponibilité des ressources dépend directement des prix. Certains gisements exploités aujourd’hui ne seraient pas rentables avec un prix de marché de moins de 70 dollars le baril...

Par ailleurs, nous ne sommes pas à l’abri de chocs géopolitiques susceptibles de créer de fortes tensions sur l’approvisionnement. Les pays non-producteurs doivent d’autant plus s’en préoccuper, qu’ils ne feront pas partie des bénéficiaires de la dernière goutte de pétrole : les pays producteurs la garderont pour leur propre consommation.

Est-ce pour cette raison que l’on assiste à un recours croissant au charbon? Quels en sont les avantages et les inconvénients?

Encore abondant, le charbon demeure une ressource peu chère à produire. Le recours au charbon s’explique aussi par la baisse de son prix sur le marché mondial, conséquence en particulier de l’explosion de la production de gaz de schistes aux Etats-Unis qui rend disponible pour l’exportation des quantités importantes de charbon. De plus, sa présence est mondialement assez bien répartie.

Certes 60 % des réserves mondiales sont situés dans quatre pays seulement (Chine, États-Unis, Inde, Russie) qui ne représentent ensemble que 27% de la superficie des terres émergées et n’abritent que 40 % de la population mondiale), mais on en trouve dans presque tous les pays en plus ou moins grande quantité. Enfin, son impact négatif sur l’environnement n’est pas encore pris en compte dans les calculs économiques. Tout cela contribue à expliquer le recours croissant au charbon, principalement dans la production électrique où le pétrole tient un rôle marginal. Cependant, dès lors que la lutte contre le changement climatique deviendra une réelle priorité au niveau mondial, il faudra bien réduire, aussi, notre recours au charbon.

Quels sont les différents modèles de mix énergétique dans le monde, leurs avantages et leurs inconvénients?

Les choix de mix sont liés au niveau de développement des pays. Ainsi, au sein des pays émergents ou développés, le recours au pétrole reste ultra majoritaire dans le domaine du transport (à l’exception du Brésil qui utilise davantage de biocarburant grâce à la canne à sucre).

En revanche, pour la production d’électricité, chaque pays opte pour un mix singulier en fonction des ressources accessibles sur son territoire et suivant le coût relatif des énergies importées. La faiblesse relative du coût du charbon pousse certains à l’utiliser, même s’il n’est pas produit localement. Le charbon assure en moyenne 40 % de la production mondiale d’électricité, mais cette proportion atteint 70 % en Inde et 80 % en Chine. Il prédomine aussi dans des pays comme la Pologne, les États-Unis ou l’Australie.

Dans d’autres pays, comme la Norvège, le Brésil, le Venezuela ou le Canada, l’hydraulique est très développé. En France, en Suède, en Belgique et en Ukraine, le nucléaire prédomine pour la production d’électricité. Ailleurs, la plupart du temps, le mix est très diversifié (charbon, gaz, hydraulique, nucléaire).

En ce qui concerne les pays les plus pauvres, ceux-ci ont encore un recours important au bois comme source de chauffage et de cuisson, ce qui contribue à la déforestation, nuisible au plan biologique comme au plan climatique. Mais leur consommation est inférieure aux pays développés. Si en Europe nous consommons en moyenne quatre tonnes d’énergie équivalent pétrole (TEP) d’énergie primaire par personne (contre huit tonnes aux Etats-Unis), les pays les moins développés se situent sous la barre d’une TEP.

Quant aux nouvelles énergies (biomasse, éolien, solaire, géothermie, et énergie marine), elles commencent à sortir de la marginalité. Les énergies renouvelables présentent plusieurs avantages décisifs sur la durée : un faible coût d’exploitation (le vent, le soleil nous sont offerts par la nature), une empreinte carbone limitée et de faibles risques industriels. En revanche, elles restent lourdes en termes d’investissement et, pour l’éolien et le photovoltaïque, ne peuvent assurer une continuité d’approvisionnement sur le réseau électrique.

Pourquoi les Etats tardent-ils à faire évoluer leur mix énergétique? Est-ce si compliqué politiquement? Économiquement?

Pour de nombreux Etats, il est très compliqué politiquement de pénaliser l’usage du pétrole, synonyme de mobilité et de liberté. Taxer le pétrole, mettre des normes et des règlements qui en réduiraient la consommation, reste très difficile.

Les subventions au pétrole sont encore très importantes (de l’ordre de 200 milliards de dollars dans le monde par an selon les estimations de l’Agence internationale de l’énergie). Elles sont particulièrement élevées dans les pays producteurs. Même en France, nous avons pu constater la difficulté à faire émerger une taxe carbone, pourtant nécessaire pour réduire l’usage des  énergies fossiles. En ce qui concerne l’utilisation du charbon dans la production d’électricité, ce choix peut sembler avantageux en raison de la faiblesse de son coût. Ainsi, réduire son poids, c’est augmenter à court terme le prix de l’électricité. Une option difficile à défendre au plan politique, même si elle est indispensable à terme. Dans certains pays producteurs comme la Pologne, cette réduction est encore plus complexe. Le charbon y est, de surcroît, un gage d’indépendance nationale et représente des milliers d’emplois.

La marge de manœuvre est donc étroite. Comment, malgré tout, faire évoluer les mix énergétiques?

Il faut d’abord convaincre les populations de l’impact négatif des options actuelles sur le climat et l’environnement. En Chine, par exemple, où les habitants souffrent physiquement de la pollution, l’opinion est sensibilisée et le gouvernement s’active à remplacer ses centrales au charbon les plus polluantesCela a permis aux autorités d’inscrire dans le dernier plan quinquennal chinois des objectifs de décarbonisation ambitieux et inédits. Aux Etats-Unis, les problèmes de cyclones et de gelées permettent d’ores et déjà de faire avancer le débat public. En France, les évolutions sont plus difficiles car nous avons un pays encore « protégé des dieux » en matière climatique. Mais le dernier rapport du GIEC indique bien que l’élévation de la température terrestre relevée depuis le milieu du XXe siècle est bien le fait de l’accumulation des gaz à effet de serre d’origine humaine. D’ici à 2050, un été sur deux sera caniculaire. Cela se traduira par de lourdes pertes de productivité pour l’agriculture. Même la France va devoir continuer à agir. Elle a d’ailleurs pris un engagement de réduction de ses émissions par un facteur 4 à horizon 2050 par rapport à 1990, dans une loi d’orientation de la politique énergétique. La condition sine qua non est que ces changements soient perçus positivement par la population.

L’échelon national est-il le bon étalon pour raisonner sur les mix énergétiques?

Il est vrai que, selon les pays, les ressources disponibles, les choix opérés dans le passé et la sensibilité des populations nationales, les mix sont différents. De plus, l’énergie est un bien particulier et la notion d’indépendance est névralgique pour les Etats. C’est pourquoi, d’ailleurs, l’idée de créer un mix énergétique idéal identique pour chaque pays européen est irréaliste.

De même, penser appliquer les recettes américaines pour le gaz de schiste, en France, est absurde. On ne peut guère raisonner de la même façon en Arkansas et dans le Lubéron. Le nombre d’habitants au kilomètre carré y est sensiblement différent. Les activités au sol également. En France, nous disposons de nombreuses activités « de surface » comme le tourisme et l’agriculture qui subiraient des pertes importantes en cas d’exploitation intensive du gaz de schiste (à supposer qu’on en trouve qui soit exploitable de manière rentable, ce qui n’est pas prouvé).

Concernant l’électricité, la France fait partie d’une plaque européenne qui doit stabiliser en permanence la fréquence du courant (à 50 Hz). Il est donc absolument nécessaire que les gestionnaires de réseaux et les autorités de régulation se coordonnent, ce qui se fait de mieux en mieux. Afin d’éviter les risques de rupture, le poids relatif des énergies renouvelables doit croître de manière progressive et cohérente. Mais surtout il faut revoir en profondeur l’organisation européenne du marché de l’électricité et des dispositifs qui interagissent avec lui.

Plus généralement, les pays européens ont évidemment en commun une faiblesse stratégique : leur forte dépendance au gaz, au pétrole importés, et, bientôt, au charbon. Ils ont donc intérêt à faire front commun face à ce défi, qui peut les conduire vers les plus grandes difficultés, tant notre développement et notre confort dépend de l’énergie. La priorité absolue commune à tous les pays européens est de réduire cette dépendance, en commençant par baisser leur consommation d’énergie.

Les pays européens, qui sont en pointe sur la question, se sont donnés des objectifs ambitieux pour réduire la part des énergies fossiles de plusieurs dizaines de points en deux décennies. Est-ce réaliste?

Avant de faire évoluer le mix, il faut penser aux moyens de réduire massivement notre consommation d’énergie. Mais où sont les marges de manœuvre ? Il faut notamment réaliser des efforts dans le bâtiment, qui représente 40% de la consommation finale et 25% des émissions de gaz à effet de serre. Cela suppose de lancer une politique de rénovation ambitieuse des bâtiments tertiaires et des logements via des incitations fiscales et des mécanismes d’aide au financement. Il faut également travailler sur l’efficacité énergétique dans le transport de marchandises et des personnes ainsi que dans l’industrie et l’équipement des ménages. Enfin, il faut accélérer la sortie de voitures légères et sobres (deux litres aux cent ou moins).

Prenons l’exemple de la France. Même si la part du nucléaire dans la production électrique contribue à une moindre dépendance envers les énergies fossiles, 70% de l’énergie finale consommée reste issue de pétrole et de gaz. Il y a, par exemple, encore trois millions de logements chauffés au pétrole, dont une partie est occupée par des familles en situation de précarité énergétique. Il est possible et souhaitable de faire basculer ce mode de chauffage vers des pompes à chaleur (ou d’autres solutions de chaleur renouvelable) tout en isolant ces logements. Il faut aussi accélérer le passage des camions à la motorisation gaz et favoriser le report modal vers le ferroviaire lorsque c’est envisageable.

Certains pays ont beaucoup investi dans le nucléaire. Faut-il continuer?

L’exemple de la France, là encore, permet de se faire une idée des enjeux. Nous sommes à la veille d’investissements lourds dans nos centrales qui auront en 2025 presque toutes plus de quarante ans, leur durée de vie prévue initialement. D’importantes décisions sont à l’ordre du jour. Faut-il prolonger toutes les centrales ? Le président Hollande s’est engagé à réduire la part du nucléaire dans la production électrique de 75% à 50% en 2025, mais diversifier les sources de production électrique en passant par les énergies renouvelables n’est pas si simple à cet horizon, même si leur coût tend à diminuer. D’autre part, le nucléaire est une technologie de haut niveau qui nécessite un personnel très qualifié. Pour attirer les ingénieurs et conserver une compétence en la matière, il faut un projet clair et ambitieux.

Atteindre l’objectif de réduction de la part du nucléaire à 50% à horizon 2025 suppose la fermeture de réacteurs nucléaires (une vingtaine en ordre de grandeur). Quelques-uns le seront peut-être du fait des travaux de mise en sûreté imposés par l’Autorité de sûreté nucléaire, trop coûteux pour l’exploitant. Aller au-delà suppose d’avoir établi une trajectoire qui tienne compte de nombreux paramètres : impact social et économique des fermetures, capacité industrielle à réaliser les démantèlements qui en suivront, montée en puissance des énergies renouvelables à un rythme adapté en fonction des progrès et de leurs coûts. Il est probable, en fait, que l’objectif de 50% ne sera pas réalisé en 2025 mais lissé dans le temps. Il présente cependant un double intérêt : permettre la progression des renouvelables, faire évoluer les mentalités et finalement déplacer le curseur.

Un pays comme l’Allemagne a beaucoup évolué au cours de la dernière décennie. Le modèle allemand est-il si vertueux alors qu’il utilise beaucoup de charbon et que les surcoûts liés aux renouvelables sont évalués à 23,6 milliards d’euros pour 2014?

Aucun modèle comme on l’a dit plus haut n’est parfait. L’Allemagne partait d’un mix électrique très intense en charbon et a réalisé de gros efforts dans ce domaine au cours des vingt dernières années. En 1991, le charbon y représentait près de 60% de la production d’électricité, ce ratio est passé à environ 45% en 2010, alors que sur la même période la production d’électricité a crû de 10%. Cela a été réalisé grâce à une hausse des renouvelables et du gaz.

L’accroissement récent du recours au charbon s’est fait au détriment du gaz, ce qui est évidemment dommageable pour le climat (pour un kWh produit, la combustion du charbon émet quatre à cinq fois plus de COque celle du gaz). Cette dérive est due à des facteurs qui ne sont pas spécifiques à l’Allemagne : la France, par exemple, a elle aussi fait ce « switch » depuis 2010 (avec des conséquences moindres car elle consomme moins de gaz et de charbon que l’Allemagne). Deux raisons à cela : la baisse mondiale du prix du charbon, devenu plus compétitif que le gaz en Europe et le dysfonctionnement du marché de quotas de CO2 qui aurait dû permettre de compenser ce différentiel de compétitivité. Du fait de la crise économique et de la baisse de la production industrielle en Europe, les tarifs des émissions de CO2 sont tombés à un niveau si faible qu’ils ne jouent plus leur rôle.

Quant aux énergies renouvelables (l’éolien et le photovoltaïque majoritairement pour l’électricité), leur déploiement a été permis par des aides payées par les consommateurs et les entreprises. Des aides surdimensionnées qui ont permis, cependant, à l’Allemagne de structurer des industries et des savoir-faire dans un domaine promis à un bel avenir au plan mondial. Reste l’option controversée de l’abandon du nucléaire. Il s’agit là d’un choix de société. En définitive, l’arbitrage entre des risques d’accidents aux conséquences majeures comme à Fukushima et un surcoût significatif de l’électricité appartient aux peuples et à leurs représentants.

Qu’attendez-vous de la loi de programmation sur la Transition énergétique qui sera discutée prochainement en France?

Il faut  avant tout qu’elle fixe un cap clair afin de permettre à tous les acteurs de comprendre notre politique énergétique. Il faut de la visibilité, de la stabilité et des orientations bien définies et quantifiées, assorties d’étapes. Réduire la part des énergies fossiles dans notre consommation énergétique (-30% à horizon 2030), réduire nos émissions de gaz à effet de serre (-75% à horizon 2050) et réduire notre consommation d’énergie (-50% à horizon 2050) constituent de véritables défis pour notre société. Ils peuvent être stimulants, sources de progrès technologiques et d’innovation, quelque soit la difficulté du contexte économique. La transition énergétique est une formidable opportunité pour enclencher une reprise de l’activité. Elle peut à la fois créer des emplois et réduire notre déficit commercial, enjeu majeur aujourd’hui pour notre pays. Il faut savoir être ambitieux.

 

 

  Libération : «La transition énergétique est une formidable opportunité de sortie de crise» – juin 2014

INTERVIEW

L’économiste Alain Grandjean appelle les pays européens à développer ce gigantesque chantier :

Alain Grandjean est économiste. Membre du Comité stratégique de la Fondation Nicolas Hulot et cofondateur du cabinet de conseil Carbone 4, il a présidé le comité des experts du débat national sur la transition énergétique.

La transition énergétique peut-elle être un grand projet européen fédérateur ?

Non seulement elle le peut, mais elle le doit ! Il y a là un formidable levier de sortie de crise. La déflation [baisse générale des prix menant à un enlisement de l’économie] nous menace, même la Banque centrale Européenne [BCE] le craint. Face à ce risque grave, quelles sont les réactions possibles ? L’austérité ne fait qu’aggraver la crise, et une relance keynésienne traditionnelle ne fonctionnerait pas non plus, puisqu’elle doperait la consommation… de produits largement importés.

Il existe une autre méthode, qui consiste à investir pour réduire la facture extérieure, dans laquelle l’énergie pèse de plus en plus lourd. La facture énergétique de la France a ainsi battu un nouveau record en 2012 : 69 milliards d’euros, trois fois plus qu’il y a dix ans ! Investir dans la transition énergétique permettrait non seulement de réduire nos importations de pétrole et de gaz – et notre dépendance en la matière -, de créer des emplois non délocalisables et d’atteindre nos objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi de nous prémunir du risque de déflation.

Mais les Etats sont très endettés. Comment faire ?

La BCE met à disposition des banques des moyens importants, qui devraient être affectés en priorité à cette économie verte en les incitant à le faire. Mais il faut un moteur. En temps de crise, le plus rapide, c’est la commande publique, indépendante des anticipations des acteurs économiques, bien trop timorés en Europe. Il est techniquement facile d’isoler les investissements d’efficacité énergétique et politiquement possible de les traiter différemment des autres dépenses. La période est idéale pour négocier ce type d’accord au niveau européen. Les dirigeants sont encore secoués par le résultat des élections européennes. Peut-être en déduiront-ils enfin qu’il faut sortir du dogme actuel de l’austérité, suicidaire économiquement et politiquement. Et qu’ils percevront l’opportunité que représente la transition énergétique. C’est le seul sujet qui concilie à la fois l’avenir – à travers des projets dans les bâtiments publics, la rénovation des logements, la mobilité… – et le présent – mise en mouvement des entreprises, création d’emplois, recherche-développement, etc.

Les visions de la transition énergétique divergent : certains citent les gaz de schiste comme «l’énergie de la transition»… L’exemple allemand ne plaît pas en France. Comment se mettre d’accord sur une politique européenne harmonisée, avec un sujet si sensible ?

Il est temps d’abandonner le logiciel qui nous fait réfléchir aux questions énergétiques par le bout de la production. C’est une source de divergences, qu’il s’agisse du nucléaire ou des gaz de schiste. Il faut se mettre à penser d’abord en termes d’usages, de demande et de sa nécessaire maîtrise. L’Europe doit retrouver une communauté de destin. Or ce qui est commun aux pays européens, c’est que nos ressources énergétiques sont très insuffisantes. La meilleure sécurité, c’est d’en consommer moins, et d’abord au moyen de la rénovation énergétique des bâtiments. C’est un chantier qui a du sens et qui est efficace rapidement. Pour les plus précaires, il faudra de l’argent «budgétaire». Nous n’échapperons donc pas à la nécessité de desserrer la contrainte maastrichtienne pour des actions bien définies qui, outre un retour évident au plan économique et social, assouplit notre dépendance énergétique. C’est l’un des buts du projet SFTE [Société de financement de la transition énergétique], qui devrait être présenté à la Conférence bancaire et financière de la transition énergétique.

Pour réussir cette transition, la condition préalable n’est-elle pas de donner un vrai prix au carbone ?

Souhaitons de fortes améliorations du marché européen de quotas d’émissions de CO2, qui concerne la production d’électricité, la grosse industrie [papier, ciment, acier…] et les grandes installations de chauffage. Et une baisse des subventions aux énergies fossiles, ainsi qu’une hausse des «signaux prix» du carbone pour les émissions diffuses [véhicules, petits chauffages gaz et fioul]. La Suède a mis en place une taxe carbone significative – plus de 100 euros la tonne de CO2. Il faudrait généraliser cela à la majorité des Etats membres. Mais ces négociations sont difficiles, tant parce que certains pays recourent fortement au charbon que pour des questions de souveraineté et d’acceptabilité de la hausse de la taxe carbone. Il faut l’accompagner de compensations pour les plus défavorisés et savoir convaincre.

Tout cela prend du temps, alors que la crise économique est pressante. Ce programme d’investissements serait le meilleur moyen de faciliter ces progrès. Les dirigeants des pays européens ont réagi très vite quand la crise bancaire menaçait, ils peuvent faire de même pour la transition énergétique. C’est une question de vision et de courage.

Recueilli par Coralie Schaub

 

  Le Monde : Pour une loi de transition énergétique ambitieuse – Mai 2014

 La loi de transition énergétique doit être finalisée dans les prochains jours.

Il est important de réaffirmer quelques principes forts qui pourraient en faire un élément déterminant de la politique énergétique française des décennies à venir.ponton-transition

Tout d’abord, tous les acteurs ont besoin d’une trajectoire de référence qui oriente leurs décisions. Le « Débat National sur la transition énergétique » en a étudié quatre qui ont permis de peindre un champ des possibles. Il appartient maintenant au gouvernement d’en proposer une, tout en préservant des éléments de flexibilité.

Ensuite, il est impératif pour la France, comme pour l’Europe, de réduire son usage et sa dépendance aux énergies fossiles majoritairement importées. Les enjeux en sont majeurs : réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la facture énergétique (60 milliards pour la France, de l’ordre du déficit commercial), impulsion de projets industriels innovants et exportables, création d’emplois. Cela passe d’abord par une politique volontariste d’efficacité énergétique. Il faut changer d’échelle, accélérer le rythme dans la rénovation énergétique du bâtiment, tout en agissant sur la précarité énergétique. Le fioul doit être remplacé par de la chaleur renouvelable ou de l’électricité bas carbone avec pompe à chaleur.

ÉNERGIES RENOUVELABLES

Troisièmement, les investissements à réaliser dans le domaine de la maîtrise de la demande, dont la vertu est d’économiser des dépenses de fonctionnement doivent faire l’objet de dispositifs de financement spécifiques à taux bas et à durée longue pour être rendus compétitifs. Leurs bénéfices en termes d’émissions de CO2 évitées, de baisse du déficit commercial et de création d’emplois justifient ces dispositifs. La conférence bancaire et financière prévue au mois de juin doit impulser des outils nouveaux de financement et conduire à la mobilisation du secteur bancaire et financier dans la transition énergétique.

Quatrièmement, les énergies renouvelables doivent être soutenues de manière prévisible et adaptée. Certains dispositifs de soutien ont été mal calibrés – comme le tarif de rachat pour l’électricité photovoltaïque dans les années 2008-2010. Ce n’est plus le cas.

Ce serait une erreur d’abandonner ces sources d’énergie proches des territoires et des citoyens : certaines d’entre elles sont proches de la compétitivité et présentent de nombreux atouts dont celui d’avoir des coûts d’exploitation et une complexité d’installation et de démantèlement très faibles.

Pour le photovoltaïque par exemple, le prix des modules a été divisé par cinq depuis 2008, celui des systèmes par trois, et il continue de baisser. Les critiques récurrentes des effets de l’éolien et du solaire sur le marché électrique européen font oublier les deux principaux problèmes actuels du système électrique. Premièrement, la surcapacité : surcapacité du charbon au niveau mondial entraînant la baisse relative de son prix par rapport au gaz, surcapacité des quotas de CO2 et surcapacité de moyens de production électrique de base. Deuxièmement, l’architecture du marché qui permet l’optimisation d’un parc existant mais pas celle de son renouvellement ou de son développement .

Par ailleurs, au plan physique, il est maintenant acquis qu’avec une bonne organisation des réseaux au plan national et européen, ceux-ci pourraient gérer sans difficulté majeure et sans investissement excessif une part d’énergies variables dans le mix électrique d’environ 30% et qu’il est donc possible de faire croître leur part actuelle.

UN CADRE ÉNERGÉTIQUE EUROPÉEN

Enfin, parallèlement, il faut prendre à bras le corps la question de l’évolution du parc nucléaire. Toutes les tranches nucléaires ne seront pas prolongées par l’ASN au-delà de 40 ans et encore moins de 50 ans. Il n’est donc pas raisonnable d’envisager un grand carénage pour tout le parc.

Il ne l’est pas plus d’envisager un démantèlement sur une durée trop courte (quelle qu’en soit la date de démarrage). Tant pour des raisons sociales qu’industrielles et financières, il faut planifier cet effort sur la durée et laisser ainsi le temps aux options alternatives d’arriver à maturité. L’AIE affirme qu’en 2016 les renouvelables produiront dans le monde deux fois plus d’électricité que le nucléaire, et cet écart s’accentuera ensuite.  Pouvons-nous ignorer superbement ce mouvement mondial, ou devons-nous aider nos industries à s’y insérer ?

La loi de transition énergétique peut nous donner un nouveau cap et mobiliser nos concitoyens sur un projet positif et porteur. Elle doit s’insérer dans un cadre énergétique européen à revoir en profondeur. L’architecture actuelle manque de cohérence et privilégie le jeu de la concurrence sur la programmation des investissements, les logiques industrielles et la coordination des politiques nationales. Elle est source de dysfonctionnements majeurs et de surcoûts incompréhensibles, bien identifiés par les observateurs, et dont certains ont été évoqués ci-dessus.

Il est en particulier urgent de faire émerger un prix du CO2 suffisant et de revoir l’architecture du marché de l’électricité. L’ensemble des réformes à faire est l’un des enjeux clefs de notre politique énergétique, elle-même déterminante pour notre économie et tout simplement notre mode de vie.

 Les signataires

 Les auteurs de cette tribunes sont: Patrick Criqui (CNRS), Gilles Darmois (consultant indépendant), Alain Grandjean (Carbone 4), Nicolas Hulot (Fondation Nicolas Hulot), Nicolas Ott et Christophe Schramm (anciens conseillers du ministre de l’énergie) et Corentin Sivy (expert énergie).

 Voir l’article

  La jaune et la rouge : Réconcilier les enjeux économiques, sociaux et écologiques – Nov 2013

Le récent Débat national sur la transition énergétique a reconnu la nécessité d’une réduction significative de la consommation d’énergie. Il a fait émerger des propositions concrètes qui devraient conduire à une loi de programmation en 2016 et impliquer des investissements considérables dans le domaine de la production et la distribution d’électricité mais aussi des transports et du logement, en conciliant enjeux économiques, sociaux et écologiques.

En France, soixante-dix pour cent de l’énergie finale consommée est issue de sources fossiles, pétrole et gaz principalement. Notre facture extérieure est élevée (70 milliards d’euros en 2012). La combustion de ces sources d’énergie émet du CO2 alors que nous avons pris des objectifs ambitieux de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre (GES).

Nos concitoyens en situation de précarité énergétique sont de plus en plus nombreux et nos entreprises sont soumises à une concurrence internationale rude dans laquelle le prix de l’énergie est un facteur de compétitivité.

La majorité des acteurs du Débat national sur la transition énergétique propose une réduction significative de nos consommations d’énergie.

REPÈRES
Le Débat national sur la transition énergétique, qui s’est tenu au premier semestre de l’année 2013, a mené ses réflexions d’une manière aussi élargie que possible avec des débats territoriaux, une journée citoyenne et un Conseil national. Près de 1 000 débats ont rassemblé 170 000 personnes avec 36 cahiers d’acteurs, 1 200 contributions citoyennes sur Internet, une journée citoyenne impliquant 1 115 citoyens dans 14 régions

Un enjeu industriel

Une grande priorité est à donner au secteur du bâtiment et du logement (40% de la consommation finale d’énergie et 25 % des émissions de GES), principalement à la rénovation de l’existant. Le consensus est large sur la nécessité d’un dispositif complet incluant des incitations, des réglementations et des mécanismes de financement adaptés.

L’efficacité énergétique est également un enjeu industriel dans plusieurs secteurs : le BTP bien sûr et les services associés, mais aussi l’automobile et le ferroviaire, le secteur des nouveaux services de mobilité (autopartage, covoiturage, etc.), le numérique qui est un auxiliaire souvent indispensable, tant la bonne gestion et la communication de l’information sont souvent décisives dans la maîtrise de l’énergie.

Des mesures possibles

Passer au taux de remplissage de deux personnes par voiture

Les mesures et dispositifs sont nombreux pour accompagner ce mouvement. Retenons tout ce qui concerne la rénovation thermique du bâti (avec un gros enjeu autour de l’obligation progressive de rénovation) et, dans le domaine de la mobilité, les projets de « voitures à deux litres» et de «deux personnes par voiture».

Passer d’un taux de remplissage de 1,3 par véhicule (moyenne française actuelle) à 2, c’est en effet faire un gain en consommation énergétique de 54%.

Enfin le fret ferroviaire, encore très en retard en France, devrait bénéficier d’investissements significatifs en nouvelles infrastructures.

Diversifier les sources d’énergie

En ce qui concerne le mix énergétique et son évolution future, le débat a été âpre autour du nucléaire, avec des enjeux lourds en termes d’investissements (sûreté, prolongation, démantèlement), d’emplois et de compétence industrielle, d’environnement et de sûreté.

La nécessaire diversification des sources de production électrique pour ne pas dépendre d’une technologie ne pouvant exclure un accident majeur ni des défauts génériques est évidemment à gérer avec soin, tant pour des raisons économiques qu’à l’égard de la maîtrise des émissions de GES et de la gestion de la part croissante d’énergies renouvelables (ER) variables. Il appartiendra au gouvernement de prendre ses responsabilités dans un domaine évidemment non consensuel.

Le renouvelable devient crédible

Les aides publiques ou assimilées doivent être plus efficaces

Les énergies renouvelables (ER) sortent, elles, de la marginalité. Les ER électriques (dont l’hydraulique) produiront dans le monde en 2016 plus que le gaz et deux fois plus que le nucléaire. Globalement, leurs coûts diminuent. Ceux du solaire photovoltaïque suivent une courbe d’expérience remarquable au niveau mondial (prix divisé par vingt en vingt ans).

Du côté de la biomasse, dont le potentiel est mieux cerné, on commence à voir émerger d’intéressants débats sur le choix des meilleures sources (déchets, agriculture, forêt) et des meilleurs vecteurs (liquide, chaleur, gaz, électricité).

Une demande unanime émerge du débat : celle d’un cadre lisible et aussi simple que possible en matière de développement des ER.

Des aides plus efficaces

La nécessité d’un signal-prix carbone a été réaffirmée par plusieurs acteurs : il est bien connu qu’il est indispensable pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. La commission sur la fiscalité écologique, en parallèle du Débat, a fait des propositions soumises au gouvernement fin juillet. Ce n’est cependant pas de cette fiscalité qu’il faut attendre des recettes significatives pour financer la transition énergétique.

Le risque de défaut générique

L’Agence de sécurité nucléaire (ASN) souligne que «l’expérience a montré que la standardisation comporte aussi le risque qu’un défaut grave, que l’on ne peut exclure a priori, soit générique et affecte plusieurs réacteurs. Dans une telle situation, l’ASN pourrait juger nécessaire, au regard des exigences de sûreté, de suspendre sans délai le fonctionnement de ces réacteurs. L’arrêt rapide d’une part significative des moyens de production électrique provoquerait, en l’absence de marges, une pénurie d’électricité avec des conséquences sociales et économiques considérables.»

En effet, elle ne sera acceptable que si elle se fait à prélèvements obligatoires constants. D’autre part, son affectation pose toujours de redoutables problèmes. Les aides publiques ou assimilées doivent être rendues plus efficaces, mais les contraintes budgétaires et fiscales sont telles qu’il n’est pas possible de les faire croître significativement.

Du côté de la production énergétique, les investissements doivent être majoritairement financés par le prix des énergies et, pour l’électricité, par la contribution de service public de l’énergie1, sous sa forme actuelle ou sous une autre.

Du côté des transports, du bâtiment et du logement, des mécanismes adaptés doivent être mis en place : mobilisation du Plan d’investissement d’avenir, fléchage de l’épargne nationale (livret A ou Livret développement durable), circuits simplifiés pour le financement par l’épargne locale des projets territoriaux, mobilisation des fonds de la BPI pour les entreprises oeuvrant pour la transition.

Signalons deux propositions innovantes. L’une, émise par CDC Climat2, vise à constituer un circuit spécialisé de financement de la rénovation énergétique des logements. L’autre, faite par Gaël Giraud, directeur de recherche au CNRS, envisage une société de financement de la transition énergétique, ciblant les bâtiments publics et conçue sur le modèle de la SFEF, inventée en 2008 pour venir en soutien aux banques au bord de la faillite.

Ce montage permettrait de libérer 10 milliards d’investissements par an pendant dix ans sans grever la dette publique.

En définitive, ce Débat a indiscutablement fait émerger des propositions assez concrètes et de nature à réconcilier les enjeux économiques, sociaux et écologiques. Espérons que la loi de programmation qui en résultera et sera discutée au Parlement au premier semestre 2016 sera à la mesure de l’attente qu’il a suscitée.

(Voir l’article en ligne)

___________________________________
1. Contribution de service public de l’énergie qui pèse, en 2013, 13,5 euros le mégawattheure soit 10% environ du prix final TTC de l’électricité (tarif réglementé aux particuliers).
2. Missionnée par la ministre de l’Égalité des territoires et du Logement et la ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, le 17 avril 2013.

 

  Le Nouvel Obs : Transition énergétique : le gouvernement doit tracer un cap ambitieux et clair – juillet 2013

Par Alain Grandjean, économiste

Sous la pression du Medef, c’est finalement une « synthèse des travaux » (et non des « recommandations ») qui a été remise au gouvernement pour nourrir la future loi de programmation énergétique. Le débat national sur la transition énergétique (DNTE) peut-il pour autant être qualifié d’échec ? Pas selon l’économiste Alain Grandjean, président du comité d’experts du DNTE.

Le débat national sur la transition énergétique s'est terminé le 18 juillet 2013 (capture d'écran)

Le débat national sur la transition énergétique s’est terminé le 18 juillet 2013 (capture d’écran)

Le débat national sur la transition énergétique (DNTE) se termine avec plus de 150 propositions d’actions, dont une dizaine ne font pas consensus. Certes, ce ne sont pas les moins importantes. Mais en déduire que ce débat est un échec, comme le titrent certains médias, est une contre-vérité, blessante pour tous ceux qui sont engagés ensemble pour réfléchir à l’avenir de la France.

Divergences et mesures claires

Sur la forme, rappelons d’abord que la synthèse produite le 18 juillet a bien été signée par tous les acteurs(regroupés dans sept collèges), à l’exception du syndicat FO, qui avait pris cette décision de principe depuis fort longtemps. Ensuite, pourquoi mettre l’expression de divergences, formulées précisément, au débit d’un débat démocratique ? Nous ne sommes ni au pays des bisounours ni dans un pays totalitaire. C’est donc au contraire une preuve de sérieux et de maturité. Les parties prenantes ne se sont pas voilé la face.

Sur le fond, les grands enjeux de la transition énergétique ont tous été abordés, de manière sérieuse et documentée – il suffit pour s’en convaincre de lire les centaines de pages des annexes du rapport de synthèse et des études fournies par les experts. Les investissements à réaliser et les économies d’énergies fossiles qui en résultent ont été chiffrés en ordre de grandeur ainsi que les emplois générés.

Comment maîtriser la facture d’énergie (par une baisse de la consommation), comment développer les énergies renouvelables, comment décentraliser notre politique énergétique alors qu’elle s’inscrit dans un cadre européen ? Sur ces trois sujets, quels financements mettre en place ? Les orientations fournies par le débat et les mesures proposées sont claires, même si elles restent à préciser dans certains cas.

Réduire la consommation d’énergie, un défi

La divergence principale est relative à l’ambition à 2050 en matière de consommation d’énergie. Certes, diviser par deux la consommation à cet horizon (c’est-à-dire réduire notre consommation de 2% par an en moyenne) est un défi, qui ne convient sans doute pas aux énergéticiens (plus précisément, à ceux qui vendent de l’énergie : tout le secteur des services à l’énergie est intéressé à une ambition forte en matière d’efficacité énergétique), dont l’intérêt est globalement inverse. 

Mais les gains de productivité réalisés par l’industrie ou l’agriculture depuis les années 1950 sont de cet ordre de grandeur, ou supérieurs. Pourquoi refuser a priori que ce soit impossible au plan de l’efficacité énergétique ?

Quand le président du comité énergie du Medef (également président de l’Union française des industries pétrolières) déclare « cet objectif nous semble totalement utopique » et qu’il lui « paraît impossible de concilier une telle baisse de la consommation d’énergie avec le développement de l’économie et de l’emploi en France », ne manque-t-il pas d’ambition et de confiance en l’avenir ?

Le gouvernement, garant de l’intérêt général

Quoi qu’il en soit, ce « facteur 2 » est simplement apparu comme nécessaire pour diviser par 4 nos émissions de gaz à effet de serre à cet horizon, suite à l’analyse objective des 15 scénarios énergétiques dont nous disposons. Cet objectif n’a pas été remis en cause formellement dans le débat. Cela étant, les discussions vraiment difficiles sur la fiscalité écologique et la taxe carbone montrent là aussi qu’il faut que le gouvernement assume son rôle de garant de l’intérêt général…

 Précisons toutefois la formulation nuancée qui a été proposée par le Medef dans le document final :

« Ils proposent ainsi de le ramener à un rythme moins élevé, avec une réduction minimale de -20% à 2050, en recourant dès que possible, quand elles seront commercialement disponibles, aux nouvelles technologies nécessaires, notamment aux techniques de capture et de stockage de CO2. »

Pour finir sur ce point, le DNTE a recommandé de faire un bouclage macroéconomique des quatre différentes trajectoires en comparant les résultats de plusieurs modèles. Cet exercice est souhaitable pour éclairer le gouvernement et le Parlement sur la question de la faisabilité économique de telle ou telle trajectoire.

Crainte d’un effet d’éviction dans le bâtiment 

Dans la cinquantaine de mesures proposées pour réduire la consommation d’énergie, celle qui a polarisé les divergences est l’obligation de travaux dans le logement – pour le sectaire tertiaire, l’obligation de travaux est « dans les tuyaux », encore un peu bouchés à ce jour ; le DNTE demande à raison de publier au plus vite le décret d’application de l’obligation de rénovation des bâtiments tertiaires publics et privés.

La  formulation retenue est prudente :

 « Ces conditions, si elles sont réunies, doivent permettre d’envisager progressivement l’introduction d’obligations de travaux aux grands moments de la vie des bâtiments (par exemple travaux de gros œuvre), en particulier collectifs. »

Pourtant, « certains acteurs économiques sont opposés à cette obligation ». Quelle n’a pas été la surprise de la majorité des présents de constater que les fédérations d’entreprises concernées (la FFB et la CAPEB pour ne pas les nommer) ont fait un blocage de principe sur une mesure dont on pourrait penser qu’elles vont en bénéficier massivement ? L’analyse de leur blocage révèle l’une des clefs de ce débat.

 Dans une économie en stagnation, les entreprises du bâtiment craignent un « effet d’éviction ». Si on rend obligatoires certains types de travaux, ce sera, à leurs yeux, au détriment d’autres travaux. La solution à ce dilemme a été proposée et nécessite des innovations, comme la création de la Société de financement de la transition énergétique, qui permettent de développer des crédits privés avec garanties publiques partielles – légitimes, car il s’agit d’opérations d’intérêt général – vers les actions de rénovation thermique des bâtiments. Gageons que sa mise en œuvre lèvera bien des réticences !

Dissensus ordinaire sur le nucléaire

Concernant le nucléaire, qu’un débat participatif ne conduise pas à un consensus en France, ce n’est quand même pas une surprise. La nécessaire diversification des sources de production électrique est plutôt consensuelle en France. Il est raisonnable de ne pas dépendre d’une technologie ne pouvant exclure un accident majeur ni  des défauts génériques (position de l’Autorité de Sûreté Nucléaire [1]

Cela étant, comment réconcilier les intérêts économiques et industriels d’EDF et d’Areva, les intérêts scientifiques et technologiques du CEA, ceux de la défense des emplois existants par les syndicats, avec la demande exprimée clairement des ONG de sortir du nucléaire, selon un calendrier plus ou moins rapide, et celle des citoyens de « diversifier nos moyens de production » ? Sachant qu’il s’agit de résoudre cette équation tout en réduisant nos émissions de gaz à effet de serre…

Il appartient maintenant au gouvernement d’indiquer sa feuille de route, qui permettra de définir aussi l’objectif (non consensuel à ce jour) sur les énergies renouvelables électriques (y compris hydraulique). En produire 130 TWh en 2030 est accessible techniquement, mais est-ce utile si la production nucléaire est maintenue au niveau actuel  et la consommation stabilisée (du fait d’une diminution de la demande sur les usages actuels compensée par des reports d’usage) ? Soulignons cependant que, sur la biomasse, un objectif ambitieux de 20 MTep (équivalent à  230 TWh) a été fixé de manière consensuelle. 

Proposition de loi charpentée

Quant aux gaz de schiste, objets de dissensus, le gouvernement a pris une position assez ferme mais contraire aux intérêts de certains acteurs. La fièvre liée à son développement aux USA fait espérer que son exploitation en Europe pourrait permettre de réduire la dépendance énergétique européenne. Avant de lancer la moindre exploration (séparer l’exploration de l’exploitation est artificiel : quel acteur privé pourrait envisager d’explorer sans bénéficier des droits à exploiter si l’exploration s’avère positive ?) et de prendre des risques de jacquerie, il est raisonnable de faire une étude d’impacts sociaux, écologiques (dont climatiques) et économiques pour avoir une meilleure estimation des enjeux réels de l’exploration en France de cette source d’énergie. C’est précisément l’une des recommandations issues du débat… 

Pour conclure, la synthèse du débat est consistante. La vraie question maintenant, c’est ce que va faire le gouvernement de l’ensemble de ces recommandations. Il doit lancer plusieurs approfondissements ou concertations complémentaires (il lui est recommandé par exemple d’organiser une conférence bancaire et financière de la transition énergétique et Instaurer un groupe de travail partenarial ad hoc pour définir la feuille de route « mobilité des personnes et des marchandises »). 

L’essentiel, c’est qu’il fasse une proposition de loi charpentée sur la transition énergétique, après avoir affirmé un cap convaincant. Voilà qui serait à son honneur et lui permettrait sans doute de redonner du sens à son action politique, qui en a bien besoin.

 

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[1] « L’expérience a montré que la standardisation comporte aussi le risque qu’un défaut grave, que l’on ne peut exclure a priori, soit générique et affecte plusieurs réacteurs. Dans une telle situation, l’ASN pourrait juger nécessaire, au regard des exigences de sûreté, de suspendre sans délai le fonctionnement de ces réacteurs. L’arrêt rapide d’une part significative des moyens de production électrique provoquerait, en l’absence de marges, une pénurie d’électricité avec des conséquences sociales et économiques considérables. » Pierre-Franck Chevet, président de l’ASN. Contribution au débat national sur la transition énergétique, le 16 mai 2013. Retour au texte.

 

 

  Le Nouvel Obs : Bercy : des comptables qui ne savent pas compter, la preuve en 4 exemples – juillet 2013

 Par Alain Grandjean, économiste

LE PLUS. Alors que le débat sur la transition énergétique s’achève ce vendredi, Alain Grandjean, économiste, fait le point sur les orientations prises par le gouvernement dans ce domaine et dans d’autres. Pour lui, un constat s’impose : nos comptables ne savent pas compter. Explications.

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Ministère de l’Économie et des finances à Bercy, Paris (GELEBART/20 MINUTES/SIPA)

Le pouvoir de Bercy est de notoriété publique : le grand jeu de ces hauts fonctionnaires est de savoir combien de temps il leur faudra pour mettre au pas le ministre de l’Économie et des finances… 

Concernant l’actuel, Pierre Moscovici, le jeu n’aura pas duré très longtemps. Il a rapidement compris qu’il ne fallait pas se compliquer la vie. Son projet de loi sur la séparation bancaire, préparée avec les banques et la direction du Trésor, en est une preuve suffisante [1].

Les fonctionnaires de Bercy ont le pouvoir [2]. Dont acte. Leur job c’est de compter. Dont acte. Ce sont donc les comptables qui nous dirigent. Dont acte. Mais savent-ils compter ? Rien n’est moins sûr. Il se trouve qu’une nation n’est pas une entreprise et que l’application de préceptes microéconomiques à la macroéconomie, la doctrine actuelle des néoclassiques qui règnent à Bercy, ne marche tout simplement pas. Exemples.

1- Les  3% : une marotte sans fondement, stupide et anti-sociale

 Qu’il faille gérer avec soin l’usage de nos impôts, éviter des dépenses clientélistes ou simplement inutiles, aucune personne sensée ne le conteste. Que le bon objectif de déficit public soit 3% au plus du PIB, il est de notoriété publique que c’est sans fondement [3].

Qu’il faille réduire les dépenses publiques dans la période actuelle pour viser un objectif de 3% de déficit public, c’est en plus stupide. La démonstration complète se trouve dans ce bon papier de Guillaume Duval. Tout tient dans l’effet multiplicateur des dépenses publiques (qui a fait couler un peu d’encre quand le FMI a reconnu son erreur à ce sujet). Autrement dit 1 point de PIB de restriction budgétaire entraîne probablement une perte de l’ordre de 1,5 point de PIB d’activité économique [4] et des pertes de rentrées fiscales. Du coup le ratio qu’on cherche à améliorer (déficit/PIB) se détériore !

Rappelons que la Cour des Comptes anticipe un déficit de 4% du PIB pour 2013 (après un déficit de 5,3% en 2012). Si l’obsession maladive du 3% n’avait pas été au pouvoir, et si par exemple avait été visé un déficit de 3,7 (soit 16 milliards d’euros de restriction budgétaire au lieu des 30 milliards qui ont été engagés) nous aurions probablement eu 1 point de PIB d’activité en plus cette année. Et l’objectif aurait été atteint…L’agence de notation Fitch aurait peut-être gardé le triple A. Et nous aurions eu 300.000 chômeurs de moins. Cette obsession (partagée pour des raisons inexplicables par nos dirigeants) est donc non seulement stupide mais anti-sociale.

Gageons pourtant que nos « comptables ne sachant pas compter », mais également sourds et aveugles, vont poursuivre leur sinistre besogne. Ils vont demander des efforts supplémentaires pour 2014. Le résultat est prévisible [5] : plus de chômage et de détresse sociale, un vote de l’extrême-droite croissant et, cerise sur le gâteau, la perte du « doubleA+ » ; les agences de notation constatant que le pays n’est toujours pas sur la voie du redressement…

2- Infrastructures, climat social et compétitivité

Dans cette bien trop longue période de récession et face à l’augmentation des impôts, le MEDEF demande, c’est son rôle, des baisses des charges pesant sur les entreprises. La priorité pour eux c’est la compétitivité de nos entreprises, créatrices de richesses et d’emploi.

S’il est assez clair au plan économique qu’il est de bonne guerre économique de ne pas surcharger les entreprises soumises à la concurrence internationale, il faut faire bien attention à la notion de compétitivité d’un pays. Cette notion n’a rien d’évident. On se rappelle même que pour les économistes classiques comme Ricardo, elle n’avait pas de sens. Ce qui comptait à ses yeux c’était l’avantage comparatif : si le Portugal est relativement plus efficace que l’Angleterre dans le vin par rapport au textile, il faut qu’il se spécialise dans le vin. Peu importe qu’il soit, dans l’absolu, moins compétitif.

 Les raisonnements économiques se sont complexifiés depuis mais il n’en reste pas moins que ce qui fait qu’une nation est « compétitive », ce n’est pas le niveau de ses prélèvements obligatoires, dans l’absolu.

 En particulier, la qualité de ces infrastructures est un élément déterminant de son attractivité. Investir insuffisamment, au motif qu’il n’y a plus de sous dans les caisses, dit autrement au motif qu’on est obsédé par le chiffre fétiche des 3%, est donc de nature à réduire notre compétitivité.

De la même manière un climat social délétère, un manque d’espoir, un manque de débouché pour les jeunes, aucune perspective d’avenir (ce dont nos « comptables qui ne savent pas compter » se moquent, car ils seront souvent recasés chez leurs amis banquiers) c’est évidemment très mauvais pour la compétitivité de notre pays. Une nouvelle erreur de raisonnement ? 

3- Privatisations et recettes futures

 Pris à la gorge (les fameux 3%) notre gouvernement envisage pour financer sa rallonge au Programme d’Investissement d’Avenir de vendre quelques titres d’entreprises. Les privatisations partielles ne sont pas nées aujourd’hui. Sont-elles pour autant une bonne affaire économique ?

On peut vraiment en douter au plan strictement financier (nous ne rentrerons pas ici dans le vaste débat sur l’intérêt géostratégique ou politique [6] de conserver le contrôle de telle ou telle entreprise publique). Supposons qu’il ne s’agisse que de titres d’entreprises cotées.

1. Il n’y aucune raison que la vente se fasse au bon moment. Tout le monde sait qu’à la Bourse il ne faut pas être pressé. Dans un cas précis (celui d’EDF) l’Etat a la possibilité de manipuler le cours (en annonçant des hausses de tarifs pour faire monter le cours). Mais ce n’est pas le cas général. Donc la vente ne se fera pas nécessairement au bon moment. Il est probable que vendre en période de récession n’est pas un excellent calcul…

2. L’Etat se prive donc de recettes futures (les dividendes attachés aux titres vendus) dont on se rendra compte plus tard qu’elles manquent…et obligent à plus de rigueur. Le bilan actualisé sera alors fait, mais un peu trop tard. On se rendra souvent compte que les pertes de rentrée ne compensent pas le gain initial.

3. L’Etat a un autre moyen de valoriser ses actifs ; c’est tout simplement d’accroître les garanties qu’ils donnent. Il existe plusieurs montages qui permettent de générer du cash (certes avec un petit coût lié au mécanisme attaché à la transformation de la garantie en espèces sonnantes et trébuchantes). Pourquoi se séparer de ses bijoux de famille quand on connaît une passe difficile et ne pas se limiter à les mettre en garantie ? Ah, dogmatisme, quand tu nous tiens…. 

4- Développement des énergies renouvelables et CSPE

Nos comptables n’aiment pas la contribution au service public de l’électricité (CSPE). Pourquoi financer les énergies renouvelables quand on a un parc nucléaire qui peut produire encore longtemps une électricité bon marché ? Et regardez l’Allemagne ou l’Espagne, ils en reviennent car les énergies renouvelables (ENR) leur coûtent un bras. Laissons nos citoyens s’exprimer, dans le cadre du débat national sur la transition énergétique, de toutes façons au moment de l’addition ils refuseront de passer à la casserole, et nous, les « comptables ne sachant pas compter », nous les protégeront de ses doux rêveurs que sont les « anti-nucléaires [11]« . 

La réalité économique est largement plus complexe, comme l’a précisément montré le débat. Les ENR, notamment le solaire photovoltaïque, voient leur coût de revient baisser selon une belle courbe d’expérience.electricite 

Si la CSPE croît encore de manière significative, c’est au titre des engagements passés [8] sur lesquels même nos comptables ne peuvent revenir.

De l’autre côté, les coûts du nucléaire ne cessent de croître. Rappelons que l’AIE annonce qu’en 2016 au niveau mondial les ER électriques (dont l’hydraulique) produiront plus que le gaz et deux fois plus que le nucléaire. C’est donc le moment de relancer progressivement le solaire en France, pour ne pas rater une nouvelle révolution technologique mondiale. Cela peut se faire avec un impact modéré sur la CSPE (sous réserve que les prix de marche de l’électricité en Europe ne s’effondrent pas, mais c’est un autre problème. Encore faut-il donc pouvoir en parler et passer par dessus les oukazes de nos « comptables ne sachant pas compter ».

 En finir avec la doxa ?

On pourrait multiplier les exemples ; comme celui des cadeaux extraordinaires faits aux banques sans véritable contrepartie. 

Mais ces quatre premiers me semblent suffisants. En résumé, nos comptables sont les gardiens du temple, du dogme. Raisonnant à courte vue, ils assimilent la gestion de la France à celle d’une entreprise dont le cours serait coté en bourse et qui devrait donc rendre des comptes tous les trimestres. En faisant ainsi, ils finiront par mettre le pays à feu et à sang

Une conclusion toute bête mais opérationnelle pour le débat national sur la transition énergétique : les évaluations macroéconomiques qui seront faites par « nos comptables ne sachant pas compter » ne doivent tout simplement pas être prises au  sérieux. On ne saura jamais comment leur beau modèle (Mésange, pour les intimes) aura été paramétré mais on ne saura que trop que, dans tous les cas, ce sera pour démontrer qu’en dehors de leur vision comptable, point de salut !


[1] Voir notre série de posts sur le sujet http://alaingrandjean.fr/2012/12/26/separation-bancaire-un-projet-a-lemporte-piece-quil-est-encore-temps-darreter/ et suivants

[2] Certains diront que le pouvoir est à Bruxelles ; si c’est vrai leurs fondés de pouvoir sont à Bercy, ce qui revient au même pour la présente note.

[3] Voir par exemple http://www.leparisien.fr/economie/3-de-deficit-le-chiffre-est-ne-sur-un-coin-de-table-28-09-2012-2186743.php

[4]Le  consensus est quand même assez large chez large chez les économistes pour estimer que le « multiplicateur » comme on dit est supérieur à 1, surtout lorsqu’on se trouve déjà en phase de ralentissement économique et que les principaux partenaires commerciaux du pays mènent eux aussi des politiques d’austérité.

[5] Voir également la note de Gael Giraud http://alaingrandjean.fr/2013/05/09/la-dette-publique-francaise-justifie-t-elle-lausterite-budgetaire/

[6] Ni dans celui très pittoresque de l’intérêt pour l’Etat de réduire sa participation dans EDF au moment où il veut s’affirmer comme un Etat stratège, qui définit la politique énergétique de la Nation…

[7] Que le monde ne soit pas manichéen et qu’il soit possible en France de prôner la diversification croissante du mix électrique sans être antinucléaire échappe en général à nos bons comptables

[8] Voir http://www.carbone4.com/fr/l_actu_de_carbone_4/pourquoi-le-photovolta%C3%AFque-est-l%E2%80%99%C3%A9nergie-renouvelable-qui-profite-le-plus-de-la. En 2020 les raccordements antérieurs à 2012 représenteront 40% de la puissance installée mais 60% de la part de la CSPE liée au solaire.

 

 

  Le Nouvel Obs : Tarifs d’EDF : 2 pistes pour gérer la hausse (inévitable) des prix de l’électricité – juin 2013

Par Alain Grandjean, économiste.

 

Alors que la Commission de régulation de l’énergie (CRE) recommande une augmentation de 6.8 à 9.6% des tarifs d’électricité, la ministre Delphine Batho a aussitôt indiqué qu’il n’était pas question d’opérer la moindre hausse. Quelles sont les marges de manœuvre du gouvernement alors que la hausse des prix semble pourtant inévitable ces prochaines années ?

Pylônes électriques de lignes à haute tension à Meyzieu, le 1er octobre 2012 (P.FAYOLLE/SIPA).

Pylônes électriques de lignes à haute tension à Meyzieu, le 1er octobre 2012 (P.FAYOLLE/SIPA).

La Commission de régulation de l’énergie vient de proposer que la hausse des tarifs réglementés de l’électricité prévue cet été pour 27 millions de clients résidentiels (93 % du marché) s’établisse entre 6,8% et 9,6%.

En effet, la loi indique que les tarifs réglementés doivent couvrir les coûts de production, commercialisation et acheminement. Or ces coûts augmentent pour de multiples raisons : la maintenance du parc nucléaire vieillissant, les mesures de sécurité post-Fukushima, le renchérissement du prix des combustibles, la hausse des coûts commerciaux, le financement de l’efficacité énergétique (les certificats d’économie d’énergie). 

Selon les calculs de la CRE, il faudrait en plus un rattrapage temporaire de 7,6% pour compenser la hausse nettement insuffisante de ce même tarif l’an dernier. Rien de nouveau sous le soleil : la CRE avait déjà estimé en mai 2010 que les tarifs pour les particuliers devraient être augmentés de 25 à 30% de 2010 à 2015.

Réduire notre consommation d’énergie

Le gouvernement a réagi immédiatement en déclarant qu’il n’était pas question d’accepter de telles hausses de tarif. On peut le comprendre. Même si, en moyenne, les ménages ne dépensent annuellement que 400 euros d’électricité spécifique et, pour certains, 900 euros de chauffage et eau chaude, ils n’ont pas envie de ces hausses. Ils se souviennent que le marché de l’électricité a été libéralisé. Ils en attendaient des baisses de prix et une gestion d’EDF plus serrée.

Le gouvernement a raison, d’ailleurs, de demander des efforts à EDF, la répercussion de certaines de ses charges dans le prix de l’électricité n’étant pas facile à faire accepter dans un contexte de rigueur généralisée. Mais cette annonce de la CRE est porteuse de leçons importantes si on prend un peu de recul.

Le prix de l’électricité va augmenter significativement dans les prochaines années. Outre les facteurs sus mentionnés, il faudra en plus continuer à développer et sécuriser nos réseaux et les rendre plus communicants. Et le coût des autres vecteurs et sources d’énergie va aussi augmenter. 

Il est plus que jamais impératif de réduire notre consommation d’énergie : c’est seulement ainsi que, pour chacun d’entre nous, la facture finale sera maîtrisée et notre pouvoir d’achat sauvegardé, la baisse des volumes compensant la hausse des prix unitaires. Nous pourrons ainsi réduire nos émissions de gaz à effet de serre et faire notre part dans la lutte contre le changement climatique.

 Une attention particulière est bien sûr à donner aux ménages en situation de précarité et aux entreprises électro-intensives mais ces situations spécifiques ne peuvent justifier l’immobilisme.

Poursuivre nos efforts sur le plan des énergies renouvelables 

Les énergies renouvelables, dont les coûts ont fortement baissé (surtout pour le photovoltaïque) deviennent du coup plus compétitives. Quelques chiffres : le cout du MWh produit par l’EPR (nucléaire de troisième génération) en Grande-Bretagne sera de 110 euros, l’éolien terrestre ressort à 80 euros, le solaire PV de 100 à 200 euros selon la taille des installations. Seul l’éolien maritime, entre 170 et 200 euros le MWh, semble durablement un peu cher. 

Installer 60 GW d’énergies renouvelables à l’horizon 2030 n’aura donc pas un impact majeur sur les coûts. Ces dernières années, nous avons installé 4 GW de solaire ; le surcoût, par rapport aux prix de marché de l’électricité, d’en installer 16 GW de plus, sera moitié moindre que celui que nous avons déjà accepté de payer. Ce n’est pas le moment de reculer, alors que nous sommes si près de disposer d’une énergie inépuisable et enfin compétitive !

Ce sera en outre un investissement pour relancer l’activité dans un secteur d’avenir dont l’expansion est mondiale. D’ici à trois à quatre ans, les renouvelables, hydroélectricité incluse, produiront dans le monde deux fois plus d’électricité que l’énergie nucléaire.

Réduire notre consommation d’énergie, diversifier notre mix électrique ne sont pas un luxe ni une lubie. Ce sont des impératifs. D’une part pour améliorer la résilience de nos systèmes de production face à de multiples incertitudes et risques potentiels. D’autre part pour nous aider à maîtriser notre facture sur la durée en suscitant une concurrence saine entre diverses solutions et divers opérateurs. 

La hausse des tarifs de l’électricité peut donc être une opportunité. Allons-y bien sûr de manière progressive. Mais ne renâclons pas devant l’obstacle. La repousser une fois de plus ne peut que nous promettre un réveil douloureux.

  Cahier français : Faut-il autoriser l’exploration du gaz de schiste ? – avril 2013
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