La transition énergétique, une opportunité pour les territoires ruraux ?

1 février 2019 - Posté par Billet invité - ( 6 ) Commentaires

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L’ADEME, dans sa dernière publication, estime à 400 000 le nombre d’emplois créés en France, d’ici 2030, par la nouvelle économie de la transition énergétique. Ces chiffres sont considérables, mais, au-delà du seul aspect de l’emploi, quel sera l’impact réel de la transition énergétique à l’échelle des zones rurales qui occupent plus de la moitié du territoire national ?

Prenons un exemple. Sur le seul sujet de l’énergie solaire, EDF a affiché dans son « plan solaire », sa volonté d’installer 30 GW de photovoltaïque d’ici 2035. Les toitures de hangars, ombrières de parking et terrains délaissés[1] ne suffiront pas à fournir entre 50 et 100 000 hectares de surface nécessaires. Il sera probablement indispensable d’y consacrer des dizaines de milliers d’hectares actuellement à vocation agricole. Déjà, les premiers projets de fermes solaires de grande envergure (jusqu’à 2000 hectares) apparaissent. Outre la problématique foncière, la mobilisation des terres arables bouleversera l’économie agricole locale. Nous constatons en effet qu’une ferme solaire en lieu et place d’une activité d’agriculture traditionnelle peut générer dix fois plus de valeur ajoutée à l’hectare ! Les paysans de demain seront-ils des éleveurs de panneaux ou des rentiers du solaire ?

La transition énergétique dans les territoires, un enjeu global

La trajectoire des territoires ruraux dans la transition énergétique est en réalité un enjeu global car ils sont soumis en parallèle à d’autres phénomènes de transition : changement climatique (sécheresses, inondations), agriculture (bouleversement des marchés, demande sociétale et environnementale), institutions (recomposition des collectivités), démographie (vieillissement et transformation de la société), numérique (objets connectés, intelligence artificielle). Il faut donc impérativement aborder la transition énergétique sur le temps long, en cohérence multifactorielle, multi scalaire. C’est le seul moyen de rendre ces territoires ruraux plus résilients face à l’ensemble des transformations profondes de leur environnement.

Les projets de transition énergétiques territoriaux doivent être adaptés et spécifiques aux territoires dans lesquels ils s’inscrivent.

La transition énergétique ne peut pas être traitée de manière sectorielle, dans une approche jacobine traditionnelle, avec de grands projets exogènes imposés aux territoires. Au contraire, chaque projet doit être construit localement sur le territoire en y intégrant ses particularités, ses contraintes mais surtout ses ressources.

C’était le sujet central d’un colloque que nous avons organisé à Pau début octobre 2018 en  partenariat entre la CACG et le Crédit Agricole Pyrénées Gascogne. En réalité, nos territoires ont d’immenses ressources. Les différents projets présentés lors du colloque en étaient l’illustration.

Ces ressources sont bien-sûr énergétiques (l’eau, le vent, le soleil, la matière organique présente sur le territoire). Ce sont également des ressources culturelles, patrimoniales et économiques qu’il faut savoir identifier et mobiliser. Les territoires ont surtout des ressources humaines, des compétences et des savoirs faire parfois développés sur des générations.

C’est sur ces ressources qu’il nous faut bâtir les projets dans un véritable esprit de co-construction, de coopération[2], laissant ainsi la possibilité aux projets d’évoluer[3], non pas à la marge mais parfois en profondeur et dans une affirmation nouvelle de l’intérêt général, territorialisé[4].

La question de la complémentarité entre agriculture et énergie (agri-énergie) devrait ainsi être traitée à travers cette démarche comme on peut le voir dans les exemples suivants.  

La méthanisation est souvent présentée comme un moyen de « valoriser le déchets agricoles ».

C’est beaucoup trop réducteur. La méthanisation doit s’inscrire avant tout comme un élément à part entière d’une filière agricole complète : filière amont de production agricole et filière aval de valorisation des sous-produits. La réussite des projets nécessite donc déjà de stabiliser les filières amonts pour garantir les intrants sur le long terme. Elle est également très dépendante des caractéristiques locales telles, par exemple, que les infrastructures routières pour la circulation des camions d’approvisionnement. Les réussites que nous avons pu examiner[5] intègrent ces aspects, et souvent les complètent par une très large information de la population le plus en amont possible, par un appel systématique à des artisans locaux, et un usage en circuit court par de la réinjection de biogaz sur les réseaux locaux.

L’agrivoltaïsme constitue lui aussi un enjeu majeur pour les territoires.

Pour assurer un développement harmonieux du photovoltaïsme en zone rurale, il faudra savoir l’associer à une production agricole pérennisée. Mais parquer quelques moutons à l’ombre des panneaux, comme on le voit souvent maintenant dans les projets, ne peut se concevoir que dans des zones où la filière ovine est déjà structurée. Y-a-t-il des abattoirs à proximité ? Existe-t-il, comme dans l’Aveyron avec le Roquefort, des races locales et tout un savoir-faire pour produire un fromage à haute valeur ajoutée. Sinon, quelles sont les cultures, les savoirs faire locaux qu’on peut mobiliser ? L’agrivoltaïsme peut-il être l’occasion de redévelopper des filières anciennes, des pratiques agricoles ancrées dans le territoire et abandonnées au profit de la production de masse ? L’autoconsommation énergétique dans les filières déjà existantes, permet-elle de nouvelles évolutions ?

Le développement de serres photovoltaïques est un exemple encore plus criant de ce besoin d’élargissement du champ de vision de l’ambition des projets. Gérer des serres agricoles est un métier de haute technicité. Les couvrir de panneaux crée des contraintes supplémentaires. Il existe aujourd’hui bon nombre d’agriculteurs qui se battent avec acharnement pour développer leurs productions. Cependant faute de mise en commun, de partage des expériences, de structuration du marché pour des productions maraichères spécifiques ou simplement décalées dans le temps, la plupart s’épuisent et abandonnent. On trouve aujourd’hui bien trop souvent des hectares de serres, qui produisent certes de l’énergie électrique mais qui sont de graves échecs agricoles.

Il est donc indispensable d’élargir la réflexion, de profiter de la transition énergétique pour en faire un élément moteur et intégrateur de la recomposition des territoires ruraux. Cette démarche est vitale si nous voulons éviter que le monde rural ne soit plus d’ici 10 à 20 ans qu’un vaste désert avec quelques oasis de richesse abrités à l’ombre de quelques panneaux solaires.

Auteurs

Alain PONCET – Compagnie d’Aménagement des Coteaux de Gascogne (CACG), Directeur Général

Ludovic LHUISSIER – CACG, Directeur de l’innovation.

Notes

[1] Le terme de terrain délaissé est souvent utilisé pour caractériser les friches industrielles, les terres rurales non agricoles et sans intérêt environnemental.
[2] Akrich M., 2013, « Co-construction », dans Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, Paris (GIS Démocratie et Participation)
[3] Mermet L., Dubien I., Emerit A., Laurans Y., 2004, « Les porteurs de projets face à leurs opposants : six critères pour évaluer la concertation en aménagement », Politiques et Management Public, 22, 1, p. 1‑22.
[4] Beuret J.-E., Cadoret A., Rey-Valette H., 2016, « Développement durable en zone côtières : comment territorialiser l’intérêt général environnemental ? Un cadre d’analyse », Développement durable et territoires, 7, 3.
[5], comme celle de Méthagri 32 présentée au colloque.

Répondre à Laurent

6 Responses to “La transition énergétique, une opportunité pour les territoires ruraux ?”

  1. Bonjour,

    vous mettez beaucoup l’accent sur l’utilisation des terres agricoles pour le développement de la production d’électricité photovoltaïque. Mais es-ce bien une nécessité ? Si cela se fait au détriment de la production agricole et donc d’une production alimentaire locale, le gain environnemental n’en sera que plus limité.

    Ne serait-il pas plus judicieux d’utiliser, en plus des terrains délaissés, les espaces déjà artificialisés ? Les parkings mais aussi les toits plats existants pourraient ainsi être valorisés.
    Les immenses surfaces artificialisées en France (cf. par exemple https://www.lesechos.fr/13/01/2018/lesechos.fr/0301123997829_quand-la-ville-ensevelit-les-sols.htm ) offrent sans aucun doute un potentiel immense et il me semble que la première étape devrait être de répertorié ceux (parkings, toits plats, …) qui offrent le meilleur potentiel (en terme d’accessibilité, de superficie / coût de l’installation, d’ensoleillement, et éventuellement de potentiel autoconsommation).

    • Et derrière toute nouvelle artifiialisation se cache en outre un affaiblissement potentiel de la biodiversité…

    • Bonjour

      Merci pour cette réaction.

      Il ne s’agit pas de considérer que les terres agricoles sont LA solution pour développer les énergies renouvelables.
      Nous partons cependant du constat qu’elles sont en effet de plus en plus sollicitées pour ce type de projet et que l’enjeu est précisément de faire en sorte que ces gros projets ne perturbent pas négativement les territoires sur lesquels ils souhaitent s’implanter.

      Pour nous, il s’agit de chercher un chemin vertueux au bout duquel pourront cohabiter des activités agricoles porteuses de valeur économique et des activités de production d’énergies renouvelables contribuant également à la richesse du territoire par les activités qui y seront associées (gestion, maintenance…).

      Dans certains cas, il faudra faire le constat que l’équilibre n’est pas garanti et que le projet n’a pas suffisamment de sens en termes de développement territorial : réduction du potentiel agricole, dégradations environnementales, impacts paysagers… Dans ces cas-là, il nous semble qu’il faut savoir ne pas faire.

      Inversement, nous pensons que de tels projets peuvent, dans certains contextes, constituer des leviers pour redynamiser des activités agricoles en difficulté. Cela passe probablement par un accompagnement spécifique pour co-construire localement les conditions d’une réussite partagée. Nous sommes persuadés qu’il est possible de concilier agriculture innovante, préservation de l’environnement, valorisation des ressources locales à des fins énergétiques (soleil, déchets agricoles…), mieux-vivre ensemble, mise en valeur du patrimoine, éducation à l’environnement…

      En conclusion, l’équation ne se résume pas à Agriculture versus Energie. Des alternatives sont possibles.

      Ludovic Lhuissier

  2. Le début de l’article commence très mal : l’Adème estime…. Allez voir le blog Huet sur le site du monde pour se rendre compte que l’Adème dit bcp de choses mais apparemment , sans toute la rigueur nécessaire : elle semble capable de triturer les données pour les faire coller à son discours ( l’article de S.Huet , du 1 fev , est décapant ) . Ensuite : STOP , arrêtons d’artificialiser les sols de nos campagnes : lire http://www.theguardian.com/world/2019/feb/06/the-killing-of-large-species-is-pushing-them-towards-extinction-study-finds pour se rendre compte , entre autre , que la faune a besoin d’espaces vierges pour survivre, sans le super-prédateur que nous sommes ( ce thème n’est absolument pas abordé dans l’article de Mr Poncet ) . Tout ce qui est proposé là est de réduire encore leur espace vital alors qu’il faudrait laisser à cette faune sauvage au contraire un espace bcp plus grand . Exemple : on a mis à bas toutes les haies et après , on entend dire :  » tiens , c’est le printemps et on n’entend pas les oiseaux  » . Je reconnais que concilier toutes les problématiques , c’est la quadrature du cercle . Alors , commençons par le début : on est frugal dans notre consommation d’énergie , ce qui devrait nous être rabaché à longueur de temps

  3. Bonjour,

    Merci pour cet article et sa qualité. Comme d’habitude sur ce blog, bravo !

    Le lien vers le rapport de l’ADEME cité à la première ligne a fonctionné, mais ne fonctionne plus.
    J’ai un doute, ma mémoire me fait défaut, sur le rapport vers lequel il renvoyait : était-ce bien la lettre stratégique n°56 de septembre 2018 intitulée « LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE, UN LEVIER POUR LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET LES EMPLOIS LOCAUX ? »

    Bien à vous.
    Loïc P.

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