Faut-il « Casser l’Euro pour sauver l’Europe » ?

2 mai 2014 - Posté par Alain Grandjean - ( 1 ) Commentaires

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C’est le titre d’un livre passionnant de Franck Dedieu, Benjamin Masse-Stamberger, Béatrice Mathieu et Laura Raim, tous quatre journalistes et qui vient de sortir aux éditions Les Liens qui Libèrent.

Alors que les élections européennes arrivent, ce débat est toujours tabou. Comme lors du référendum sur le Traité de Maastricht en 1992 (où le oui l’a emporté) puis sur le traité constitutionnel en 2005 (où c’est le non qui l’a emporté), il est toujours majoritairement acquis qu’être contre l’Euro c’est être contre l’Europe. Ce livre fait donc œuvre utile en distinguant bien les deux questions[1], en montrant comme leur confusion a été organisée délibérément et que contrairement à l’idée reçue, le sauvetage de l’Europe pourrait se faire en cassant l’Euro. Je ne reviendrai pas ici sur les critiques faites à la  construction de l’Euro inspirée des dogmes  que j’ai dénoncés et je laisse au lecteur le plaisir de la lecture du livre cité.

La question qui vient juste après est bien entendu celle de la faisabilité de cette sortie de l’Euro. Les auteurs poussent l’idée d’un Euro monnaie commune (proposée notamment par l’association chômage et monnaie (Gaël Giraud[2], Frédéric Lordon, Jacques Mazier(dans le dernier livre des économistes atterrés[3]). L’euro servirait aux échanges internationaux de la zone Euro ; chaque pays aurait sa monnaie, (pour la France l’euro-franc), dont la parité avec l’Euro (au départ un pour un) serait fixe mais révisable. Ces monnaies nationales ne seraient pas exposées aux marchés financiers et échapperaient donc à la spéculation. Nos auteurs analysent les difficultés qui ne sont pas minces et montrent de manière convaincante que c’est faisable. 

Reste la question de fond, de nature politique : cette décision a-t-elle la moindre chance d’être prise à froid ? C’est-à-dire autrement que provoquée par une  crise majeure ?L’économiste Jean Gadrey dans une série de trois posts très bien faits , que je ne résume pas ici, soutient plusieurs idées dont les trois suivantes (sauf erreur de compréhension de ma part) :

  • c’est la crise financière de 2008 qui est à l’origine des problèmes actuels et notamment des divergences entre économies de la zone Euro
  • la monnaie ne doit pas être « fétichisée » et prise comme cause ; ce qui compte vraiment ce sont les rapports de force sociaux qui sont en jeu et les idées qui les idées qui les sous-tendent. De ce point de vue,  l’échelon national n’est pas plus orienté dans le bon sens que l’échelon européen.
  • il est possible de faire progresser la gouvernance européenne sans casser l’Euro, et ce sera déjà difficile politiquement. 

Suite à ses lectures, il m’est apparu trois conclusions que je livre à votre sagacité :

1 – il faut finir d’instruire le débat sur les causes de la situation actuelle

Les divergences entre les économies de la zone euro sont-elles liées au choc de 2008-2009 (thèse  de Jean Gadrey ) ou antérieures ; le cas de l’inflation, illustré par le graphique ci-après[4] est parmi d’autres un élément qui plaide  pour la deuxième branche de l’alternative. Jean Gadrey cite d’autres indicateurs qui n’ont divergé qu’à partir de 2009 (il cite le taux de chômage, le PIB par habitant, les gains de productivité du travail, les ratios de dette publique).

graph 

2 – il faut également statuer sur les conséquences de la crise de  2008.
Le fait que la zone Euro ait mal résisté au  choc de 2008-2009 est évidemment à mettre au débit de la construction de l’Euro (et avait été anticipé, en théorie, par ses critiques, précisément sur l’idée démontrée qu’une zone monétaire « non-optimale » ne sait pas résister  à un choc exogène) ; pour autant dans le cadre même de la monnaie unique, pouvait-on réagir plus efficacement ?

3 – enfin, il est important de savoir si des alternatives à la sortie de l’Euro peuvent suffisamment corriger le tir pour se passer de la dite sortie ? Et si elles sont plus réalistes !

De mon côté je ne cesse de plaider, avec d’autres, pour qu’on finance à très bas taux et avec des prêts très longs un grand plan de transition énergétique et écologique. Cette « solution » nerésoud pas le problème posé par les différentiels de compétitivité entre pays de la zone qui ne cessent de se creuser et sont l’une des causes  des problèmes sociaux des pays du sud et de la contre-réaction par une politique d’austérité et de déflation par la baisse des salaires, suicidaire pour la zone. Mais elle pourrait donner de l’oxygène et du temps de négociation, en redonnant du travail et en contribuant à la réduction des dettes publiques (moins d’achat de gaz et de pétrole c’est moins de déficit extérieur mais aussi moins de dette publique, moins de chômage c’est aussi moins de déficit public).

« Nouvelle donne » plaide de son côté pour l’injection en France d’une monnaie complémentaire à l’euro, un euro-franc, via la Banque de France.

Mon expérience personnelle c’est qu’on bute néanmoins, même pour ces solutions de « second rang », sur les mêmes dogmes, ceux qui sont à l’origine de la création de l’Euro. La construction « Maastrichtienne » est bien verrouillée idéologiquement. Elle l’est aussi juridiquement. La longue étude que nous avons entreprise dans le cadre du projet SFTE (Société de Financement de la Transition Energétique, nous a permis d’identifier plusieurs verrous qui peuvent être levés mais pas si aisément que cela et certainement pas si la volonté de le faire, en France, n’est pas là. Concernant l’ensemble des propositions « alternatives », y compris celle évoquée ci-dessus elles vont buter sur le même problème. Ce n ‘est en rien une raison pour baisser les bras ; au contraire il est très utile de montrer  à tous de manière concrète et précise, l’ampleur et la force du verrouillage du carcan dans lequel nous sommes enfermés !

En conclusion l’ami Jean Gadrey a sans doute raison sur un point clef: la question n’est pas d ‘abord tant l’Euro monnaie unique, que les théories et représentations qui sont à sa base. La chasse aux dogmes – à laquelle j’essaie d’apporter ma modeste contribution-  est  donc dans tous les cas un point de passage obligé et prioritaire. De ce seul point de vue, nous ne pouvons que féliciter nos quatre mousquetaires auteurs du livre dont le titre est celui de ce post !

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[1] Pour la chronique de la création de l’Euro, il est aussi utile de lire le livre très documenté de Robert Salais « Le viol d’Europe : enquête  sur la disparition d’une idée » paru aux PUF en 2013.

[2] Voir son dernier livre « Illusion financière » paru aux éditions de l’atelier

[3] Voir J.Mazier, « Le futur de l’euro » dans les Economistes atterrés, Changer l’Europe !, Les liens qui libèrent, 2013, P.330

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One Response to “Faut-il « Casser l’Euro pour sauver l’Europe » ?”

  1. Le peuple français est en train de basculer.

    Malgré la propagande des médias français, le peuple commence à comprendre que la construction européenne n’est pas du tout ce qu’on lui raconte.

    Les sondages de mai 2014 sont très intéressants : l’opinion publique est en train de se retourner.

    Le vent tourne.

    Vendredi 9 mai 2014 :

    SONDAGE. Quatre Français sur cinq n’ont plus confiance en l’Europe.

    A l’occasion de la journée de l’Europe, retrouvez ce vendredi dans vos éditions Nice-Matin, Var-matin et Corse-Matin, un sondage sur la perception qu’ont les Français de l’Union Européenne.

    Les eurosceptiques sont de plus en plus nombreux.

    L’étude, menée par l’institut CSA pour Nice-Matin et BFMTV, montre l’accroissement de la défiance des Français à l’égard de l’Europe.

    A la question : « Diriez-vous que l’appartenance de la France à l’Union Européenne est une bonne ou une mauvaise chose? », 38% des sondés y voient une mauvaise chose (dont 10% une très mauvaise chose). 51% des sondés y voient une bonne chose (dont 9% une très bonne chose).

    Dix ans plus tôt, on comptait seulement 25% d’eurosceptiques.

    Parmi les grandes inquiétudes des sondés : l’augmentation du chômage, la diminution de la protection sociale, l’augmentation du nombre d’immigrés due à l’espace Schengen, ou encore la perte de leur identité nationale ou leur culture.

    Ils sont 47% à préférer un renforcement des pouvoirs de décision des Etats membres, quitte à limiter ceux de l’Union Européenne.

    Une Union Européenne qu’ils jugent, en grande majorité, trop éloignée de leurs préoccupations quotidiennes (78%) et trop occupée « à faire des règlements tatillons sans raison » (72%).

    A l’occasion du 69e anniversaire de la victoire des alliés sur l’Allemagne nazie ce jeudi, François Hollande a lancé un véritable plaidoyer en faveur d’une Union « du progrès ». Dans une tribune publiée par Le Monde, le chef de l’Etat met en garde les Français contre la tentation de sortir de l’Europe, qui selon lui serait synonyme de « sortir de l’Histoire ».

    http://www.nicematin.com/derniere-minute/sondage-quatre-francais-sur-cinq-nont-plus-confiance-en-leurope.1728611.html

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