Eté 1999 – Epidémie sur New York
Il pleut des oiseaux sur New-York, et sur le Connecticut, des centaines d’oiseaux, bientôt des milliers, dont une bonne partie sont des corbeaux. Nos amis noirs ne croasseront plus.
Au même moment, à l’hôpital Flessing, quelques personnes âgées décèdent d’une d’encéphalite virale, une inflammation du cerveau, non étiquetée. Le premier patient a été hospitalisé début août. Le médecin, Deborah Anis, envoie des prélèvements au laboratoire de New-York, et contacte le CDC d’Atlanta, la Mecque des labos américains. Un peu plus tard, le diagnostic biologique tombe : présence d’anticorps anti virus de l’encéphalite de Saint-Louis. Ce virus est transmis par des piqûres de moustique, et provoque des petites épidémies assez classiques aux Etats-Unis, surtout en été.
L’affaire semble réglée. On asperge d’insecticides les quartiers de NYC concernés, les hélicoptères tournicotent sur la ville dans un grand nuage nauséabond de malathion et autres joyeusetés. En quelques mois, les cas humains graves se font plus rares.
What else ?
Au Zoo du Bronx, Tracey McNamara, la vétérinaire en fonction, est inquiète. Des flamants roses, un faisan, un pygargue à tête blanche, l’emblème des Etats-Unis, y passent. Elle est troublée par la coïncidence avec les cas humains, qui font la une des journaux. Le CDC de Fort Collins, contacté, l’éconduit : ils ne s’occupent que des maladies humaines. Elle envoie donc ses prélèvements au service vétérinaire du département de l’Agriculture, dans l’Iowa. Réponse quelques semaines plus tard : présence d’un virus, très ressemblant au virus de Saint-Louis. Les experts se concertent, envoient les prélèvements au labo du spécialiste Ian Lipkin, en Californie, et au CDC d’Atlanta.
Finalement, le virus West Nile est diagnostiqué chez un des oiseaux le 23 septembre. Et des techniques sophistiquées retrouvent ce virus dans tous les prélèvements humains, mais pas le virus de Saint-Louis.
Comment est-ce possible ?
Cet imbroglio tourmente hautement tout ce petit monde, car nous sommes à la veille de 2001, et on commence déjà à parler d’épisodes terroristes, en pensant surtout à l’Irak.
Car le virus West Nile n’a jamais été détecté sur le territoire américain ! C’est d’ailleurs pour cette raison que le CDC d’Atlanta ne l’avait pas trouvé initialement, puisqu’il ne l’avait pas recherché ! Ils n’avaient testé que des virus répertoriés aux Etats-Unis, déjà bien assez nombreux. Et la présence d’anticorps n’est pas une preuve, c’est la présence d’un virus qui fait le diagnostic de certitude.
Ce qui trouble aussi toutes ces sommités, et de manière très amère, c’est que finalement, c’est l’expertise vétérinaire qui leur a « sauvé la mise ». Ils ont senti « le vent du boulet », ou si vous voulez, « la tempête de la méga boulette » ! De ce jour là naîtra une coopération plus étroite entre les labos de biologie humaine et vétérinaire, entre les experts médecins et vétérinaires. Un « nouveau » concept né à cette occasion va faire le tour du monde, après le fameux « une planète », « un village », « one health », « une santé », histoire de rebondir « positivement ».
Dans un monde surpeuplé, d’hommes et d’animaux, la lutte contre les épidémies devient délicate.
La promiscuité entre hommes, entre animaux, et entre les hommes et les animaux, s’établit à un niveau planétaire, et n’a jamais été aussi importante, ce qui convient à merveille à tout ce petit monde prêt à nuire, virus surtout et bactéries.
Quand les premiers colons débarquèrent dans le nouveau monde, des virus les accompagnaient : la variole, la rougeole se succédèrent pour décimer les Indiens, infiniment plus que les armes à feu. Les autochtones, vis à vis de ces infections, étaient tout à fait vierges d’immunité, naïfs en langage d’immunologiste. Au cours des dizaines d’années qui suivirent, ce fut un cataclysme pour les différentes tribus. Puis, au moment du commerce triangulaire, la fièvre jaune, d’origine virale et sans doute africaine, fut transbordée à son tour. Ou plutôt, c’est un moustique africain, Aedes aegypti, qui fit la traversée, porteur d’un clandestin, le virus amaril (le virus de la fièvre jaune). Le VIH dans les années 1970, né en Afrique également, suivit un long chemin tortueux.
Mais avec la prodigieuse accélération des échanges planétaires, de tous ordres, qui accompagne une démographie galopante, hors contrôle, les possibilités d’éclosion augmentent d’autant. Les retards dans les diagnostics peuvent avoir des conséquences lourdes. « Emerging diseases are usually not »new », just freed from obscurity by acts of man » (Stephen S. Morse, 1990). Autrement dit, les micro-organismes en cause ne sont pratiquement jamais « nouveaux », mais c’est l’homme qui les révèlent par ses multiples actions sur son biotope.
Le 9 octobre, le professeur Ian Lipkin dans le Lancet pense que le virus de NYC est un virus « hybride » entre le West Nile et le Kunjin australien.
Mais Duane Gubler, du CDC, en doute, il contacte de son côté « l’internationale » des arbovirologues, ces spécialistes éparpillés autour de la planète, qui ne s’occupent que des virus transmis par les moustiques. Parmi eux, Vincent Deubel, un pastorien travaillant à Paris : il possède des souches de West Nile totalement identiques à celles de NYC !
Et voici l’histoire : le voyage du virus West Nile d’élevages d’oies en Israël à NYC.
En Israël, l’année précédente, en 1998 donc, des élevages d’oies sont saccagés par le virus West Nile. Mais voilà, à cette époque, Israël est le quatrième pays exportateur de foie gras dans le monde. Les éleveurs ne sont pas pressés d’en parler, histoire de ne pas voir ce nouveau pactole fondre comme foie gras dans la poêle, en une seule annonce maladroite. Et c’est une jeune vétérinaire, dont le nom sera tu, qui prendra l’initiative d’envoyer les souches du virus à l’Institut Pasteur de Paris, que le labo de Vincent Deubel analysera. Israël est sur le lieu de passage d’oiseaux migrateurs venant d’Egypte, qui sont sans doute à l’origine de l’épidémie chez les oies d’élevage. Puis le virus a pris l’avion, grâce à un moustique porteur, ou une personne malade, ou un autre animal. Peut-être un oiseau migrateur contaminé s’est-il arrêté à NYC ? On ne le saura jamais. Un oiseau infecté n’aurait d’ailleurs pas suffi à installer le virus aux Etats-Unis : il lui fallait bien sûr un comité d’accueil, à savoir des espèces de moustiques prêts à le supporter, et à le disséminer, ce qu’on appelle un vecteur. Or des dizaines d’espèces sont capables aux States de s’accommoder du West Nile !
Israël a cessé la production de foie gras en 2003, le bien être animal commençant à y être reconnu. A l’échelle de l’histoire, c’est finalement ballot que le virus West Nile, désormais bien américanisé, doive sa carrière internationale confortée par quelques années d’élevage industriel israélien ! Il est d’ailleurs un peu surprenant que ce virus, si abondant dans certaines régions d’Afrique ait attendu 1999 pour faire le grand saut. Il est très probable que les énormes élevages industriels, où règne une fantastique promiscuité, sont comme des caisses de résonance virales, à l’échelle des continents. Observez comme le Sud-Ouest a du mal à se débarrasser des virus de grippe aviaire.
Voilà donc un expert vétérinaire, puis une jeune professionnelle curieuse, qui ont éclairé l’arrivée fracassante d’un nouveau venu aux States, traditionnelle terre d’accueil des hommes, mais aussi de l’invisible. Le virus mit quatre ans à traverser les Etats-Unis, et provoqua le décès de quelques centaines de personnes pendant cette période, pour la plupart des personnes âgées ou des personnes immunodéprimées. Il décima également un grand nombre d’espèces d’oiseaux. Il y est maintenant solidement implanté, et le réchauffement climatique en cours le favorise grandement en améliorant les conditions de vie des moustiques.
« Une planète, une santé », la redécouverte d’un principe fondamental
Aussi percutant que puisse être ce slogan, il y a bien longtemps qu’un Français l’a formulé, et surtout, mis en pratique : Charles Mérieux, d’une famille de pastoriens, prêchait l’union des médecines humaines et vétérinaires, dès les années 1950. Il est à l’origine d’un grand centre de production de vaccins humains et animaux à Lyon. A cette époque, les médias, bien moins nombreux, n’étaient pas investis par l’univers de la « com ». Seuls les réseaux informels de contact humain prévalaient. C’est en sillonnant la planète, de manière inlassable, que des personnalités comme Charles Mérieux rapprochaient les hommes, et faisaient avancer la médecine à grands pas.
Le concept « une planète, une santé » est actualisé en 2017 : les médecins, les virologues, les biologistes, les vétérinaires, les climatologues, les « mousticologues », les écologues, les bactériologistes, les épidémiologistes, etc., bref tous les scientifiques qui s’occupent de la vie sont appelés à travailler ensemble, main dans la main, pour atténuer les effets désastreux, de ce qu’on peut appeler, « tout compte fait, » un bouleversement écologique sans précédent.
Comment s’occuper des moustiques, vecteurs de maladie ?
Et il va bien falloir s’en occuper, des moustiques.
Déjà le moustique tigré d’origine asiatique, Aedes albopictus, s’est installé en Europe, où il est indéboulonnable. Mais il y en aura d’autres, ils adorent la chaleur, et exultent quand cette chaleur s’allie à l’humidité. Suivez mon regard.
Le sens commun indique qu’il suffit de faire « à l’américaine » : on asperge tout, massivement, le temps qu’il faut, terminé. Comme on avait procédé dans des régions entières, avec le DDT il y a quelques années. La Corse avait été ainsi débarrassée du paludisme après guerre. Mais le DDT fait partie de la bande des redoutables POP, polluants organiques persistants, qui ont très mauvaise presse. Surtout, les entomologistes, c’est à dire les spécialistes des insectes, nous enseignent que l’éradication des moustiques par les pesticides est juste un rêve. D’ailleurs à New York, malgré une intervention rapide, et musclée, il y eut 13 000 personnes touchées par le virus dès 1999.
Tout comme les bactéries, les moustiques s’adaptent, ils deviennent résistants. De même que les antibiotiques doivent être utilisés judicieusement, les insecticides sont aussi à manier avec précaution, par des spécialistes. Et si on ne jure qu’ »insecticides », on se retrouvera finalement :
- toujours sous les nuées de ces insupportables maringouins (qui seront devenus « résistants à tout ») ;
- dans un biotope détruit, les premières indicatrices de mauvaise santé environnementale disparues, à savoir les abeilles.
Dans le Sud de la France, où existe maintenant le risque d’importation de Dengue, Zika, Chikungunya, on désinsectise largement au niveau de l’ère d’habitation du malade, beaucoup trop largement. C’est une erreur. Il faudrait rétablir la notion de quarantaine, c’est à dire demander aux patients de rester enfermés quelque temps, éventuellement désinsectiser de manière très ciblée. Et bien sûr, mener une politique antivectorielle aidée de l’ensemble de la population. Il est déjà très impressionnant d’observer d’immenses champs de lavandes sans aucune abeille. Penser faire survivre la Côte d’Azur sous un immense nuage d’insecticides est atterrant.
Une des solutions au long cours viendra des lâchers de mâles stériles. Des piégeages au niveau individuel. Et d’autres solutions de lutte biologique, déjà expérimentée dans certains pays.
Guy Grandjean