J’ai hésité avant d’acheter ce livre1 au titre racoleur (j’avais quand même apprécié le film du même titre…), mais je ne regrette pas sa lecture. En résumé l’auteur (vice-président d’un tribunal de grande instance et enseignant à Sciences-Po) démontre en partant d’une analyse très concrète des événements, instructive par elle-même pour comprendre les techniques utilisées, que la crise financière a révélé la généralisation de comportements assimilables à de la fraude sans l’être toujours au sens strict.
Et sur un plan plus théorique, elle montre l’inanité de l’hypothèse des économistes néo-classiques qui continuent à penser que l’organisation spontanée du marché permet au « bien public » de résulter de la somme des intérêts individuels.
La généralisation de comportements « ligne jaune » permet de prendre un peu de recul par rapport à la mise en accusation exclusive des gros bonnets de la finance. On se rend compte à la lecture que l’explosion des subprimes aux USA n’a été possible qu’avec l’accord ou la complicité de nombreux acteurs (des « appraisers » chargés d’expertiser la valeur des logements aux bénéficiaires des prêts déclarant des revenus très supérieurs à la réalité ou en passant sous silence leurs autres prêts par les courtiers et bien sûr les banquiers). Au total ce que met en cause notre auteur c’est bien le démantèlement des mesures réglementaires et de contrôle du système mis en œuvre par Reagan et qui crée des fraudes importantes dès la crise des caisses d’épargne 2.
La critique de la vision des économistes néoclassiques est originale. Elle nous ramène à Mandeville et à l’apologue des abeilles. Les vices individuels peuvent-ils conduire à un « bien » collectif ? La crise financière montre bien que non, en montrant que :
- les vices individuels peuvent aller jusqu’à la généralisation de montages financiers plus ou moins complexes qui reposent sur des malversations mineures (une sous-déclaration de valeur d’un bien par un expert immobilier) ou majeures (les comptes totalement faux d’Enron).
- cette pyramide à la Ponzi peut s’effondrer en obligeant les Etats à réinjecter des centaines de milliard de dollars dans le système bancaire.
Au total « L’arnaque » donne un argument assez solide de plus à la nécessité de revenir au bon sens en procédant à des mesures de cloisonnement, réglementation et régulation qui, outre leurs intérêts économiques et sociaux, limitent les risques de fraude et de détournement.
Alain Grandjean
1 « L’arnaque », Jean de Maillard, Gallimard, Collection le débat, 2010
2 Qui a conduit à des depôts de bilan en masse (1600 caisses sur un peu plus de 4500) et a coûté au total 500 milliards de dollars dont 120 aux contribuables américains, le reste étant la perte des investisseurs et épargnants spoliés.