RIO + 20. Les pauvres sont-ils responsables du changement climatique ?
Par Alain Grandjean, économiste
Le sommet sur le développement durable s’est ouvert le 20 juin au Brésil. Selon le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, « Rio + 20 nous donne une chance unique de corriger les choses ». Reste à savoir comment. Pour Alain Grandjean, de la Fondation Nicolas Hulot, la réduction de la natalité n’est pas une réponse aux défis écologiques.
L’impact de l’humanité sur la planète est évidemment fonction de la démographie de notre espèce. Nous étions moins de 10 millions au début de la sédentarisation, il y a une dizaine de milliers d’années. Nous sommes aujourd’hui 7 milliards, soit environ 1000 fois plus. Et nous filons vers les 8,5 à 9,5 milliards en 2050. La maîtrise de la démographie semble donc clairement la priorité des actions pour réduire cet impact. Elle s’impose, pour des raisons humaines, sociales et écologiques, dans les régions où ce n’est pas le cas. Les plus pauvres sont les victimes du changement climatique et, plus généralement, des crises environnementales qui vont se multiplier et s’aggraver. Ce sont eux qui ont le moins de capacité d’adaptations au changement climatique en cours.
Rappelons que, pour limiter la hausse de la température moyenne planétaire à moins de 2 degrés par rapport à ce qu’elle était au milieu du siècle dernier, objectif négocié dans les conventions internationales sur le climat, il faut que nos émissions de gaz à effet de serre baissent de 50 milliards de tonnes actuellement à environ 20 d’ici 2050. Le défi auquel l’humanité est confrontée se joue dans le demi-siècle qui vient. Nous allons voir qu’il ne faut rien attendre de significatif de la démographie pour limiter la dérive climatique face à de défi, et ce pour trois raisons principales.
Une natalité plus basse, c’est plus d’émissions de gaz carbonique
D’une part, la démographie humaine est un processus à forte inertie. Seules des dictatures (comme la Chine ou l’Iran) ont imposé des méthodes – comme celle de l’enfant unique – qui accélèrent la réduction de la natalité. Mais elles ne seront pas mises en œuvre dans les démocraties qui couvrent maintenant la grande majorité de la planète. Les actions indispensables en matière de démographie auront un effet déterminant pour la deuxième partie de ce siècle mais très limité dans les décennies à venir.
Il est d’autre part bien établi que la réduction du taux de fécondité passe, pour un pays pauvre, par la croissance économique. Ce n’est qu’à partir d’un certain stade de développement que la fécondité baisse. Mais, dans la période de décollage, la croissance nécessaire suppose pour encore quelques décennies l’utilisation des énergies fossiles. Une natalité plus basse, c’est plus d’émissions de gaz carbonique (CO2émis quand les énergies fossiles sont brûlées) par personne, mais aussi, l’expérience le montre, pour l’ensemble de la population !
Les plus riches sont les plus gros pollueurs
Enfin et surtout, la pression de l’espèce humaine sur le climat est principalement le fait des riches (de tous les pays) alors que l’accroissement démographique est le fait des pauvres. Un calcul[1] relatif au CO2 – qui représente 60% des gaz à effet de serre, en ordre de grandeur – montre que 75% des émissions de CO2 sont le fait de 25% des habitants de la planète, ceux qui émettent 5 à 50 tonnes de CO2 chacun. Ces gros pollueurs sont les plus riches de tous les pays du monde. La moitié des êtres humains, les plus pauvres, émettent, quant à eux, moins d’une tonne chacun. Pour mémoire, les émissions engendrées par un Français moyen (y compris celles générées par ses importations) sont de l’ordre de 10 tonnes de CO2.
L’accroissement de 7 à 9 milliards d’habitants anticipés d’ici 2050 se fera en Afrique et en Asie, dans les pays les plus pauvres, avec des émissions individuelles actuellement inférieures à une tonne par habitant. L’empreinte carbone de ces futurs habitants est donc de l’ordre de 2 milliards de tonnes. Ce ne serait évidemment pas négligeable, s’il était concevable de la supprimer, ce qui n’est pas le cas. Mais en tout état de cause, le défi qui est devant nous est d’une autre ampleur : il s’agit (pour le CO2) de réduire nos émissions de 20 milliards de tonnes d’ici 2050, un chiffre dix fois supérieur à la contribution des pauvres qui vont venir habiter sur cette planète.
Émissions de CO2, ne nous exonérons pas de nos responsabilités
La réduction de la natalité de l’espèce humaine est, comme on l’a dit, un objectif-clef sur tous les plans, y compris climatiques, mais sur le siècle à venir. Pour l’horizon qui doit être le nôtre, celui des deux générations qui viennent, la solution à la dérive climatique doit donc être recherchée ailleurs. Les chiffres évoqués ci-dessus le montrent sans équivoque. C’est aux plus riches habitants de notre planète – à savoir les classes moyennes et riches des pays développés et émergents – de réduire substantiellement leurs émissions. La France, rappelons-le, a voté en 2005, une loi d’orientation de sa politique énergétique, l’engageant à réduire nos émissions d’un facteur 4 par rapport à leur niveau de 1990.
Comment allons-nous faire ? Massimo Tavoni et ses coauteurs proposent que les émissions des plus riches soient plafonnées, par des quotas, à environ dix tonnes par personne à l’horizon 2030. Depuis le protocole de Kyoto, des expériences et des études ont été conduites pour déterminer les meilleures manières de faire. Le travail est immense. Mais ne croyons surtout pas que nous pouvons nous exonérer de notre responsabilité, celle qui incombe à ceux qui peuvent profiter des bienfaits de notre planète. Notre planète est finie, il va nous falloir apprendre à partager. Est-ce vraiment si grave ? Est-ce vraiment inconcevable ?