La flambée du coût du pétrole (donc de l’essence, entre autres) et bientôt celle de l’électricité exigent une refondation de notre stratégie énergétique. L’économiste Alain Grandjean passe en revue les questions incontournables qu’il faudra bien trancher après les élections présidentielle et législatives.
La politique énergétique de la France va évoluer fortement dans les prochaines années, que nous le voulions ou non. Nous vivons une transition énergétique mondiale : notre monde est fini, nos ressources limitées, tout comme la capacité de la biosphère à absorber le CO2 d’origine humaine. La dérive climatique est un péril mortel pour nos civilisations.
En finir avec les affrontements sur les questions périphériques
L’ampleur des enjeux économiques, écologiques, sociaux et sanitaires ainsi que les risques et opportunités associés légitiment l’organisation d’un débat national. Les pièges en sont nombreux qui pourraient rendre l’expérience douloureuse et/ou inutile. La première priorité est de bien cibler les enjeux pour éviter les enlisements ou les affrontements dans des questions périphériques. Je me permettrai ici de proposer une structuration de ce sujet complexe.
1- Nous sommes toujours très dépendants du fossile
Tout d’abord, il faut bien poser la problématique dans son ensemble (en énergie finale, l’électricité représente 400 TWh, un peu plus de 20% de l’énergie consommée par les Français) et ne pas se limiter à la question du nucléaire. Nous consommons beaucoup de pétrole (le tiers de notre énergie finale) dans les transports de personnes et de marchandises, mais aussi dans le chauffage (3 millions de logements sont encore chauffés au fioul).
Les tensions sur le prix, le possible rationnement dans nos pays de ce précieux liquide lié au plafonnement de la production, aux tensions géostratégiques au Moyen-Orient, sont un enjeu déterminant pour les ménages, les entreprises et… la balance commerciale française.
2- Comment faire face au fléau grandissant de la précarité énergétique
Trois questions se posent ensuite : comment gérer la croissance future du prix des énergies (y compris l’électricité), la nécessaire maîtrise de la demande pour en limiter le coût et améliorer la situation et la santé des millions de ménages en situation de précarité énergétique ?
Ne faut-il pas installer une contribution climat-énergie qui oriente la production et la consommation vers les sources d’’énergie les moins impactantes sur l’environnement ? Comment affecter les sommes prélevées ? En baisse de charges sociales ? En aide aux plus défavorisés ?
3- Les économies d’énergie : une nécessité qui exige des investissements lourds
Certes la plus propre et la moins coûteuse des énergies est celle qu’on ne consomme pas. Encore faut-il investir pour cela et malheureusement ces investissements ne sont pas à ce jour d’une rentabilité suffisante.
Le lancement d’un grand programme d’investissement et de financement de la maîtrise de la demande s’impose dont le volet social est essentiel. Peut-on le financer ? Ne doit-on pas mobiliser des prêts à taux très faible de la BCE ?
4- Les atouts et les incertitudes du nucléaire
Comment faire évoluer notre mix énergétique ? Le nucléaire contribue à la résolution du problème climatique, a un avantage micro-économique (c’est la plus compétitive des sources d’énergie) et pose plusieurs problèmes : le risque d’accident, la pertinence de l’utilisation du MOX, très radioactif et radiotoxique, l’intérêt commercial et économique de la filière EPR et la limitation des réserves mondiales d’uranium (à ce stade elles représentent en équivalent énergie finale fournie 50 GTep, soit 6 ans de consommation mondiale actuelle toutes énergies confondues, alors que les ressources mondiales d’énergie fossile – essentiellement le charbon – sont de l’ordre de 3 à 4000 GTep).
Installation nucléaire de Pierrelatte, le 25 novembre 2011 (WITT/SIPA)
Dès lors son développement passe à terme par celui de la 4ème génération. Saura-t-on faire un surgénérateur qui garantisse l’absence de risque de criticité ?
5- Gaz : l’avenir radieux d’une… dépendance
Le gaz, (dont la combustion émet du CO2 même si c’est la moins intense en carbone des énergies fossiles), semble appeler à un avenir radieux tant pour le chauffage domestique que pour la production d’électricité.
Quel problème géostratégique pose-t-il ? Peut-on limiter notre dépendance à la Russie et à l’Iran ? Pour ce qui concerne le gaz de schiste, s’agit-il d’une solution ou d’une fuite en avant ? Quel est son potentiel en Europe ? Sa production n’est-elle pas une source significative d’émissions de méthane dans l’atmosphère ? Le charbon en France est éliminé progressivement de la production électrique et ne pose donc aucun problème chez nous.
6- Rendre obligatoire le captage de CO2
La seule vraie question est… mondiale : il faut imposer des règlements qui rendent obligatoire le captage et stockage du CO2. Nos champions industriels y ont intérêt.
Les énergies renouvelables posent toutes des problèmes bien identifiés (de volume atteignable, d’intermittences pour les électriques, de coût, de filières industrielles) dont on sait que certains d’entre eux vont se résoudre dans les prochaines décennies. La question essentielle reste bien sûr celle de l’adaptation des réseaux, du stockage de l’électricité (dans des stations de pompage) et de la tarification horo-saisonnière qui nécessite des compteurs communicants.
7- D’abord ne pas créer d’irréversibilités majeures
Dans ce contexte, la stratégie la plus rationnelle est celle qui nous ouvre des espaces de liberté, tout en limitant les risques humains. N’est-il pas clair qu’il faut avancer étape par étape et lever les incertitudes qui restent à lever avant de créer des irréversibilités majeures ?
Profitons du coût du nucléaire actuel, que la Cour des Comptes a permis de bien évaluer, pour investir dans un bouquet d‘investissements : la maîtrise de la demande, les ENR, la levée des incertitudes sur les énergies d’avenir. Assurons-nous d’une optimisation du dispositif pour y arriver.
8- Refonder la gouvernance énergétique
La question centrale est donc bien celle de la gouvernance. Dans le secteur électrique, l’architecture actuelle issue d’un compromis entre la défense du service public « à la française » et les impératifs de dérégulation « à l’européenne » est pour le moins inefficace et incompréhensible pour les citoyens.
La loi Nome est loin d’avoir réglé tous les problèmes. Du côté de la maîtrise de la demande, ni les tarifs, ni la fiscalité, ni l’organisation institutionnelle ne permettent de croire à une avancée significative dans les prochaines années. Il est temps de mettre ce chantier stratégique sur le métier.
A retrouver dans le magazine « Le Nouvel Observateur » du 5 avril 2012.