Tim Jackson signe là un livre remarquable, qui affronte les enjeux les plus lourds du développement durable en sortant des schémas idéologiques. Il le fait dans une démarche interdisciplinaire (pychologie sociale, physique, économie) bien documentée. Il propose des axes de solution tant en termes de gouvernance que plan d’investissement que de réforme fiscale.
Sa question centrale est portée dans le titre : les données physiques montrent que la croissance des flux de matière et d’énergie n’est pas durable. Or notre modèle repose sur la croissance de la consommation matérielle (le consumérisme) encouragée tant au niveau des entreprises que des gouvernements par des sollicitations de toutes sortes : publicité, incitation à l’endettement voire au surendettement. Cette frénésie conduit à une véritable razzia1 planétaire. Et maintenant à l’éclatement de la bulle financière qu’elle a engendrée.
Au sein des pays « développés » il est cependant démontré que le « plus de revenu » (déclinaison individuelle du plus de PIB) n’entraîne pas de « plus de satisfaction». Cette décorrélation commence à partir de 15 000 dollars de revenu par habitant2. Ceci est contraire à l’hypothèse centrale des économistes « néoclassiques » selon laquelle les augmentations de revenu sont souhaitées (donc souhaitables) parce qu’elles permettent d’acheter plus de biens et de services auxquels nous accordons de la valeur, et qui sont donc source de satisfaction … On voit dans le livre se dessiner une voie qui sort de cette contradiction et recommande aux Etats d’abandonner les politiques consuméristes suicidaires au plan écologique, si ce n’est éthique et social, les inégalités s’étant accrues considérablement dans les 30 dernières années.
EDIT : Voici le diagramme de corrélation entre bonheur et PIB. Merci à La Revue Durable de nous l’avoir communiqué.
Si la croissance du PIB est encore l’alpha et l’omega de la politique économique c’est aussi pour des raisons macroéconomiques : plus de croissance c’est plus de chômage, moins de recettes publiques et le risque de voir les Etats sombrer de leur dette colossale. En un mot c’est la croissance ou le chaos3. Un peu de lucidité montre donc que le chaos serait inévitable ; soit par la croissance qui détruit les conditions de sa propre réalisation, soit par la décroissance qui conduit au chaos politique, social puis démocratique…Pour sortir de cette impasse Tim Jackson recommande une politique d’investissements écologiques, du temps de travail, et de sortie du productivisme (la croissance de la productivité du travail détruit des emplois).
Enfin il aborde –certes rapidement- la question des modèles macroéconomiques (comment leur faire intégrer des stocks de ressources naturelles ?), des politiques monétaires (ne faut-il pas limiter les excès des marchés en limitant la « planche à billets privée » et celle de la stabilisation des marchés financiers (taxe Tobin, réserves prudentielles).
Mon seul regret : si l’ approche est globale, il lui manque une dimension. La remise en cause de la compétition économique et financière internationale comme premier pilier de notre système économique. Or, sans la remise en cause du libre-échangisme, qui pousse à l’absence de coordination internationale, j’ai bien peur que les meilleures intentions du monde restent lettre morte.
Mais cela n’enlève rien de ses mérites à ce livre qui est à mes yeux une excellente lecture, recommandée chaudement (c’est le moment !) par la Revue Durable il y a quelques mois, à sa sortie. Espérons que ce livre inspire également la réflexion de nos partis politiques et imprègne leurs programmes politiques pour 2012…
Alain Grandjean
1 Voir Fiscalité écologique et razzia planétaire Article publié le 06 Avril 2010, par Dominique Bourg et Nicolas Hulot dans le journal le monde
2 Ce qui pose quand même un vrai problème : à 7 milliards d’habitants un PIB à 15 000 dollars par habitant est forcément supérieur à 105 000 milliards de dollars soit en gros le double de l’actuel. Toutes choses égales par ailleurs cela conduit à doubler les émissions de GES….Ce n’est donc pas possible avec les modes de production et de consommation actuels.
3 Titre d’un livre de Christian Blanc
12 réponses à “Prospérité sans croissance : La transition vers une économie durable”
Félicitations pour votre site, je vous remercie pour ces idées et notez dans un premier temps que je « plussoie » moi aussi ce point de vue. J’insiste, oui votre travail est vraiment bien bon, je suis sincèrement heureux d’avoir atterrir sur votre site… D’habitude je ne réagis jamais sur les blogs, et ce même si leur contenu est de bonne qualité, mais là le vôtre méritait pleinement mes félicitations !
Merci beaucoup de ce message.
Alain Grandjean
Bonjour,
C’est la 1° fois sur votre blog, je connaissais assez bien les écrits et activités de JMJ , mais vous êtes plus un peu plus discret.
Je viens de terminer cet ouvrage de Tim Jackson que je trouve effectivement remarquable, il complète fort bien votre propre livre écrit avec JMJ \C’est maintenant,….\.
Etant très impliqué dans l’industrie et dans le domaine concurrentiel au niveau international, je me pose aussi beaucoup de questions sur votre \regret\ (qui revient à souhaiter une transformation assez radicale de notre modèle économique et culturel ), et j’arrive plus ou moins à une conclusion identique à la vôtre.
Les questions du \comment arriver à cette transformation ?, comment co-opérer au lieu de se concurrencer à une échelle significative ?, comment garder le bénéfice d’une certaine dose de compétition ? \ restent entières.
Dans votre ouvrage \c’est maintenant\, il y a une certaine radicalité dans le ton, (je ne sais si ça vient de vous ou de JMJ, ou de l’X), mais j’ai senti un souhait de voir la puissance publique (re)prendre les choses en main au risque d’une possible impopularité (en exagérant un peu, si il faut raser tous les pavillons de banlieue pour construire des tours en ville, ça risque de pas être très populaire) .
Chez Tim Jackson, qui à travaillé au départ sur demande de la puissance publique, on sent qu’il a, vis à vis de cette dernière, un certain désabusement et qu’il compte plus sur la société civile (France versus GB ??).
Il est clair qu’il faudra des 2 mais à quel rythme et comment?
Je reviendrai sur votre blog
Cordialement
NB: Le blog de Paul Jorion http://www.pauljorion.com/blog/ m’apporte quelques éléments de réponse sur la transformation nécessaire de notre société du point de vue financier et économique.
Merci de vos encouragements! J’approfondirai cette question internationale dans les prochains posts.
Bien à vous.
Alain Grandjean
@hema Bonjour hema, merci de votre message. Désolé pour la perte de votre temps en essayant de poster plusieurs fois, il est vrai qu’il n’est nul part mentionné que les commentaires sont modérés « à priori » pour cause de contraintes de temps.
Je modifierai le module de commentaire pour rajouter l’information dès que possible.
Cordialement,
Pablo Grandjean, webmaster
[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par Emaux. Emaux a dit: RT @alaingrandjean: Revue de l'excellent livre : Prospérité sans croissance : La transition vers une économie durable. A lire, faire lire http://bit.ly/cLlXsq […]
Encore une idée vraiment primordiale. Mais certainement l’une des plus dures à mettre en place (tout simplement parce que c’est la fin de toutes les technologies à prix décroissant), encore plus dur à mon avis que le changement de mix énergétique …
Bonsoir Philippe.
Il me semble que c’est le problème de fond auquel nous allons être confrontés, qui remet en cause très fortement nos habitudes et nos croyances. Ce n’est pas gagné,et on peut effectivement être très sceptique sur le fait d’y arriver
Amiclt
AG
J’ai du mal à croire ce graphique… que 80% à 90% de la population en Europe et aux USA se déclare « satisfaite de sa vie » … hum 🙂
Bonsoir André-jacques
Ce qui compte dans le raisonnement c’est le fait qu’une hausse du revenu, à partir d’un certain seuil n’augmente pas le niveau de satisfaction. Ce qui est indépendant du pourcentage de personnes se disant satisfaites. Cela étant je ne suis pas un spécialiste de ce type d’enquêtes. Toutes celles dont j’ai lu les résultats disent la même chose, qui est fortement contradictoire avec le raisonnement des économistes qui confondent croissance du PIB et bonheur. j’ai entendu exactement ce propos en public dans la bouche de Jean-Hervé Lorenzi, président du cercles des économistes.
Je pense que cela vaut le coup de creuser comment sont faites ses enquêtes…
amiclt
alain
Chez Tim Jackson, qui à travaillé au départ sur demande de la puissance publique, on sent qu’il a, vis à vis de cette dernière, un certain désabusement et qu’il compte plus sur la société civile
[…] Tim Jackson[2] plaide quant à lui pour une « prospérité sans croissance », nous y reviendrons plus […]