[Voir aussi : Le financement de l’économie française (2)Suite à l’envoi du texte du Gael Giraud sur le projet de loi Moscovici sur la séparation bancaire, qui a été exposé ici (voir. parties 2 à 5…), voici  la réponse qui a été communiquée aux députés. Les arguments exposés sont repris  et réfutés dans les deux derniers billets de Gaël (voir. Les banques et le financement de l’économie française. en deux parties…)

Réponse à votre mail du 25 janvier 2013 :

J’espère que ma réponse vous apportera quelques éclairages. D’après  la  contribution  que  vous  m’avez  fait  parvenir,    les  mesures  de  structure  relatives  aux banques poursuivraient 5 objectifs :

1. éviter  que  la  « création  monétaire  ne  nourrisse  la  spéculation »  (en  l’occurrence empêcher les banques de prêter à des organismes spéculatifs : Hedge funds, private equity funds) ;

2. prévenir l’aléa moral selon lui inhérent à la banque universelle lorsque celle-ci peut « titriser » les crédits qu’elle octroie et donc de se débarrasser de ses mauvais risques ; la séparation permettrait d’empêcher la titrisation par la banque de détail et d’inciter ainsi la banque à produire des crédits de bonne qualité ;

3. réduire l’aléa moral pour les banques « too big to fail » ;

4. protéger les déposants ;

5. réduire les risques de conflits d’intérêts (il cite un exemple dans lequel le fait qu’une banque qui prête à un client ait acheté en même temps des CDS la couvrant contre le risque lié à un défaut de ce client).

 

G. Giraud estime que la loi bancaire française ne répond pas à ces objectifs car elle permet de conserver toutes les activités au sein du groupe ce qui impliquerait selon lui l’incapacité de résoudre les problèmes 2 à 5 (l’auteur applique le même raisonnement à la réforme Vickers). L’auteur juge notamment que le problème d’aléa moral « too big too fail » n’est pas résolu car la filiale ne serait pas assez cantonnée. L’auteur estime également que le régime de résolution bancaire serait trop vague pour être applicable.

 

Sur  ces  bases,  il  plaide  en  faveur  d’une  Glass  steagall  act  (i.e  séparation  radicale  mais  pas  de précision nette sur ce que ca signifie car on comprend que la banque de détail ne serait pas autorisée à titriser, ni à intervenir sur le marché des dérivés pour son compte propre).  Il estime que cela ne poserait  pas  de  problème  pour  le  fonctionnement  de  la  banque  de  détail  car  selon  lui  les « départements commerciaux » n’iraient jamais sur les marchés.

 

Il assume le fait que cela conduirait de fait à une atrophie considérable des activités de la banque de marché mais estime que ce serait souhaitable car celle-ci-ci serait déconnectée de l’économie réelle (« puisque « 90% des contreparties sont déconnectées de l’économie réelle »). Il admet que cela pourrait poser un problème aux grands groupes industriels mais juge que ceux-ci pourront créer leur propre  banque  ce  que  selon lui  certains  feraient  déjà  (il  cite en  exemple PSA et  sa  filiale  PSA Finances).

 

Afin d’objectiver la réponse aux critiques portées au projet du gouvernement pour en rétablir la pertinence, il est nécessaire de repartir du diagnostic de la situation.

 

Il  convient  également  de rétablir des  erreurs  factuelles contenues  dans  le document  de Gaël Giraud, dont les conséquences sont importantes pour la conception et les implications du projet de loi.

On peut citer deux exemples :

 

–      L’article affirme que les « départements commerciaux » (ie la banque de détail) ne font plus appel au marché. Or, les banques françaises ont émis l’an dernier plus de 200Md€ d’obligations  sécurisés  adossées  à  des  crédits  hypothécaires.  Plus  généralement  en France le ratio crédit sur dépôt est structurellement supérieur à un. L’activité de banque de détail est donc bien dépendante des marchés car les banques n’ont pas assez de dépôts pour alimenter son activité de crédit.

 

–      L’article affirme que les grands groupes industriels créent en leur sein leurs propres banques afin de pouvoir accéder aux marchés sans dépendre des banques d’investissement ; il cite l’exemple de PSA. En réalité, PSA Finance, la filiale bancaire de PSA, finance les concessionnaires automobiles et les acheteurs de voitures. L’accès au marché et les besoins de financement et de couverture d’un grand groupe industriel comme PSA ne peuvent être assurés que par de grandes banques capables d’offrir une large gamme de services financiers, ce qu’aucune filiale bancaire « interne » n’est en mesure de faire.

 

Ces erreurs de diagnostic ne sont pas anecdotiques, car elles participent des paramètres qui ont guidé le gouvernement dans ses choix.

 

 Quels sont les objectifs de cette loi bancaire ? Pourquoi avoir choisi une filialisation des activités pour compte propre plutôt  qu’une séparation  stricte ?

 

Le projet de loi bancaire présenté par Pierre Moscovici – pour sa partie «régulation financière », car il contient également des mesures de protection des consommateurs – rejoint les objectifs majeurs évoqués par Gaël Giraud :

 

–      réduire l’aléa moral créé par la garantie implicite de l’Etat : il n’est pas normal que les pouvoirs publics doivent supporter en premier lieu le coût d’une intervention en faveur d’une   banque   en   difficulté.   Cela   conduit   par   ailleurs   les   acteurs   privés   à   une multiplication des risques – puisqu’ils estiment dans tous les cas être in fine garantis par l’argent public. Le projet de loi doit donc viser à casser cette anomalie qui voit la privatisation des profits et la collectivisation des pertes.

 

–      Protéger les dépôts des épargnants. Il n’est en effet pas acceptable que les banques spéculent pour leur propre compte en prenant des risques avec l’argent de leurs déposants.

 

Le financement des entreprises françaises va évoluer avec une réduction de la part du crédit et un développement des financements apportés par les marchés financiers (pour mémoire, le crédit bancaire assure aujourd’hui près de 2/3 de ce financement en France contre 30% seulement aux Etats-Unis). Dans ce contexte, il convient de s’assurer que nos entreprises (grandes et petites) trouvent toujours les accès aux financements nécessaires à leur activité et à la création d’emploi.

 

Le projet de loi proposé par le gouvernement répond à ces 3 objectifs.

 

  1. La filialisation telle que conçue dans le projet de loi est une filialisation « dure », conçue sur une base dite « déconsolidée ». En cela, et contrairement à l’exposé de Gaël Giraud, le projet de loi isole réellement les risques pris par la filiale. La « déconsolidation » consiste à considérer la filiale comme une entité extérieure à la maison mère, et à lui appliquer séparément les exigences prudentielles de fonds propres. L’exposition maximale de la mère à la filiale est conçue de telle manière qu’en cas de difficulté celle-ci puisse « tomber » sans mettre en difficulté la mère. Ce schéma est renforcé par la 2e partie du projet de loi, qui dote les pouvoirs publics d’une capacité d’intervention efficace en cas de crise et oblige les banques à présenter un « testament » qui indique comment intervenir en cas de difficulté. La deuxième partie du projet de loi prévoit également que si les pouvoirs publics doivent intervenir pour éviter la faillite désordonnée d’un établissement c’est bien sur les actionnaires et sur certains créanciers que les pertes sont imputées en premier lieu. La limitation de l’aléa moral est donc au cœur de la réforme bancaire.

 

Lorsque Gaël Giraud expose que les banques filialisent déjà leurs activités, il s’agit d’une erreur d’appréciation : cette filialisation, quand elle existe – ce qui est loin d’être toujours le cas -, est construite sur une base consolidée. Il s’agit d’une séparation juridique qui ne sépare aucunement les risques. C’est ce « montage » qui était défendu par les acteurs bancaires et que le gouvernement a refusé.

 

De même, la note pose que le régime de résolution (2e partie), central dans le projet de loi et la réduction de l’aléa moral, serait trop vague et trop principiel, donc inopérant. Cette assertion est infondée :  le  projet  de  loi  octroie  à  l’ACPR  des  pouvoirs  très  larges  précisément  définis  qui constituent un outil très puissant d’intervention (y compris de manière préventive pour forcer une banque à faire évoluer sa structure afin de faciliter l’intervention des pouvoirs publics en cas de problème ou pour lui interdire d’acheter ou de commercialiser un instrument financier jugé trop risqué).

 

2. Au-delà, le projet de loi prévoit la montée en puissance du Fonds de garantie des dépôts, qui devient le « Fonds de garantie des dépôts et de résolution ». Ce fonds, entièrement financé par les banques, joue un rôle d’assurance pour protéger les épargnants. Il pourra également désormais intervenir pour appuyer l’intervention des pouvoirs publics dans une banque en difficulté. Il est actuellement de 2Md€. L’objectif fixé au niveau européen est d’atteindre environ 1% des dépôts à l’horizon 2020 soit, pour la France, un montant cible de 10Md€.

 

3. A l’inverse, la séparation stricte des activités de marché, sans résoudre la question de l’aléa moral du « too big to fail », fait courir des risques importants aux entreprise

 

Auteur :  Gael Giraud (CNRS, Centre d’Economie de la Sorbonne, Ecole d’Economie de Paris, Labex REFI (Régulation Financière))