Que l’Union Européenne ait adopté le principe de libre circulation des capitaux au sein de l’Union, peut se comprendre, même si ça se discute (ce principe ne peut pas être respecté par exemple en cas de crise bancaire, comme lors de la crise Chypriote). Mais que ce principe soit mis en place et revendiqué avec les pays tiers reste un grand objet d’étonnement. Pierre Mendès-France[1] l’explique de manière limpide :
« Nos partenaires (européens) veulent conserver l’avantage commercial qu’ils ont sur nous du fait de leur retard en matière sociale. Notre politique doit continuer à résister coûte que coûte, à ne pas construire l’Europe dans la régression au détriment de la classe ouvrière (…)
Il est prévu que le Marché commun comporte la libre circulation des capitaux. Or si l’harmonisation des conditions concurrentielles n’est pas réalisée et si, comme actuellement, il est plus avantageux d’installer une usine ou de monter une fabrication donnée dans d’autres pays, cette liberté de circulation des capitaux conduira à un exode des capitaux français (…)
Les capitaux ont tendance à quitter les pays socialisants et leur départ exerce une pression dans le sens de l’abandon d’une politique sociale avancée. On a vu des cas récents où des gouvernements étrangers ont combattu des projets de lois sociales en insistant sur le fait que leur adoption provoquerait des évasions de capitaux (…)
L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement “une politique”, au sens le plus large du mot, nationale et internationale ».
Mais ce qui est encore plus sidérant c’est le rôle des socialistes dans cette décision et en particulier de Pascal Lamy, ancien directeur général de l’Organisation Mondiale du Commerce et dont on sait l’influence actuelle.
Un petit résumé du parcours de Pascal LamyMembre du comité directeur du PS de 1985 à 1994, il fut conseiller du ministre de l’Économie et des Finances Jacques Delors (avril1981-juillet1984) et directeur adjoint du cabinet du Premier ministre Pierre Mauroy (1983-1984). Il a exercé de 1983 à 1994 les fonctions de directeur de cabinet du président de la Commission européenne Jacques Delors, dont il fut par ailleurs le collaborateur au G7. Il est ensuite directeur général du Crédit lyonnais jusqu’en 1999. Il occupe le poste de commissaire européen au Commerce sous la présidence de Romano Prodi. Il est élu en 2005directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et quitte le poste fin 2013.
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Tout s’est en effet joué sous Mitterrand dans les années 80[2]. Le principe de la libre circulation des capitaux étaitinscrit dès 1957 par le traité de Rome (art. 56 du Traité instituant la Communauté Européenne ou T.C.E.), mais il n’était pas effectif. L’idée de constituer un grand marché européen fut relancée lors du sommet de Fontainebleau en 1984 organisé par François Mitterrand alors que la France occupait la présidence de l’U.E, ce qui aboutira à la signature de l’Acte unique européen en 1986. Cet Acte Unique fut complété par la directive Delors-Lamy 88/361/CEE du 24 juin 1988 interdisant toute entrave à la circulation des capitaux.
L’article premier stipule : «Les États membres suppriment les restrictions aux mouvements de capitaux intervenant entre les personnes résidant dans les États membres», et dans son article 7 : «Les États membres s’efforcent d’atteindre, dans le régime qu’ils appliquent aux transferts afférents aux mouvements de capitaux avec les pays tiers, le même degré de libération que celui des opérations intervenant avec les résidents des autres États membres, sous réserve des autres dispositions de la présente directive». L’objectif estbien de créer une entière mobilité des capitaux au sein de l’Union Européenne et entre les pays membres de l’U.E. et les pays tiers.
La directive entra en vigueur en 1990.
On comprend mieux avec ce petit rappel historique la difficulté du PS à faire son aggiornamento sur la construction économique européenne : il va lui falloir d’une part reconnaître sa responsabilité historique, puis que ce fut une grave erreur. Il n’y a aucune justification sérieuse à la libre circulation mondiale des capitaux et pour le cas de l’Europe ce n’est pas dans son intérêt. La débâcle annoncée du PS aux élections européennes va peut-être le réveiller ?
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[1] En 1957, dans un discours prononcé à l’Assemblée Nationale, découverte due à Frédéric Lordon, voir son blog et son livre La Malfaçon. Monnaie européenne et souveraineté démocratique. 2014. Les liens qui libèrent.
[2] Pour plus de détails voir le post d’Olivier Berruyer
3 réponses à “La libre circulation des capitaux”
Le PS a d’autant plus de responsabilité qu’il a toujours dit et promis le contraire de ce qu’il faisait réellement. Pendant plus de 30 ans, il annonce se battre pour l’Europe sociale (voir cette vidéo percutante qui le rappelle très efficacement : https://www.youtube.com/watch?v=qzV52nNCvB0) et met en place des Traités ou directives comme celle que vous mentionnez qui construisent une Europe libérale et libre échangiste.Je ne sais pas si une débâcle suffira à réveiller ce parti, j’en doute malheureusement.
Hors sujet ici (enfin dans une certaine mesure).
Mais encore un exemple (ou symptôme) de l’ignorance de la situation actuelle sur le possible :
http://www.enerzine.com/14/17292+tafta—un-deni-de-democratie-meme-dans-lenergie+.html?posts_usersPage=1#go_92247
« Dans le domaine de l’énergie, l’article C2 prévoit la levée de toutes les restrictions aux exportations des biens énergétiques (comprenant le charbon, le pétrole brut, les produits pétroliers, le gaz naturel liquéfié ou non, et l’électricité – article B) afin de faciliter leur exportation. Ce alors que les États-Unis ont interdit en 1975 – sauf exception – les exportations de pétrole brut et imposent une série de restrictions à l’exportation de gaz naturel. Une série de dispositions (article H) prévoit également de faciliter et d’encourager l’accès et l’octroi de licences aux multinationales étrangères en matière de prospection, d’exploration et de production d’hydrocarbures des deux côtés de l’Atlantique. »
« Concernant le secteur des énergies renouvelables, l’article O indique que les pays « ne doivent pas adopter ni maintenir des mesures prévoyant des exigences de localité », ni « exiger la création de partenariats avec les entreprises locales » ou imposer des « transferts de droits de propriété intellectuelle », soit autant de politiques pourtant nécessaires pour développer un secteur d’énergies renouvelables qui s’appuie sur des produits,des compétences locales et les meilleures technologies disponibles. »
Pascal Lamy, Jacques Delors, François Mitterrand, etc, sont des soi-disant « hommes de gauche », mais en réalité ils n’ont fait que suivre les volontés du grand patronat.
Le syndicat des patrons français (le CNPF, puis son successeur le MEDEF) a toujours été pour le « oui » à tous les traités européens.
L’ancien président du syndicat des patrons français, Georges Villiers, était pour le « oui » au traité de Rome en 1957.
Ensuite, son successeur, François Perigot, était pour le « oui » au traité de Maastricht en 1992.
Ensuite, son successeur, Jean Gandois, était pour le « oui » au traité d’Amsterdam en 1997.
Ensuite, son successeur, président du MEDEF, Ernest-Antoine Seillière de Laborde, était pour le « oui » au traité établissant une Constitution européenne en 2005.
Ensuite, son successeur, Laurence Parisot, était pour le « oui » au traité de Lisbonne en 2008.
Mardi 14 février 2012 :
Le Medef s’invite dans la campagne présidentielle : un programme tourné vers l’Europe… et un âge de la retraite encore plus élevé.
Laurence Parisot est entrée mardi dans le débat présidentiel en présentant les priorités du Medef pour le prochain quinquennat.
Pour le Medef, la « top priorité » c’est le fédéralisme européen pour créer les « Etats-Unis d’Europe », a-t-elle dit, estimant que « tout protectionnisme, toute tentative de protectionnisme serait un désastre ».
Conclusion :
Ceux qui veulent rester dans l’Union Européenne sont les idiots utiles du grand patronat.
Ceux qui veulent le fédéralisme en Europe sont les idiots utiles du grand patronat.
Et le plus triste, c’est qu’ils n’ont même pas conscience d’être les idiots utiles du grand patronat.
Sortons de l’Union Européenne !
http://www.upr.fr/wp-content/uploads/2014/05/Profession-de-foi-UPR-EP2014-France-metro.pdf