Au vu des problèmes posés par la gestion actuelle de l’Euro le débat sur une sortie éventuelle de l’Euro prend un peu plus d’ampleur chaque jour .
C’est pourquoi il devient nécessaire de tenter d’évaluer ce qui est négociable ou non avec nos voisins sur le sujet monétaire, indépendamment de toute considération politique. Car l’enjeu ne porte pas seulement sur « une monnaie unique ou pas », mais sur le dispositif qui l’accompagne, défini pour l’essentiel dans le traité de Maastricht.
Les statuts de la BCE sont calqués sur ceux de la BundesBank et les dispositions de contrôle budgétaire sur le modèle « ordo libéral » . Or ces éléments sont profondément liés à l’histoire allemande du XX ème siècle.
Cette histoire est notamment marquée par trois épisodes monétaires tous les 3 traumatisants.
- l’hyperinflation de Weimar en 1923 qui a marqué les esprits par l’image des brouettes de billets; cette hyperinflation résulta principalement du traité de Versailles et des demandes excessives des alliés en matière de réparation des dommages de guerre[1] ; la planche à billets fut une tentative (vaine) de contourner ces contraintes de fer.
- la déflation aggravée par les mesures d’austérité du chancelier Heinrich Brüning qui facilita la montée au pouvoir d’Hitler
- la relance allemande à partir de 1933, financée grâce à l’inventivité de Hjalmar Schacht par la création de« bons de travail », forme de monnaie astucieuse, dont le nom, le MEFO[1]qui peut évoquer le raccourci de MEPHISTO (voir plus loin) ne manque pas d’humour inconscient…
Le drame allemand est double : d’une part c’est en partiegrâce à cette création monétaire que l’Allemagne est devenue une puissance militaire redoutable, mais, pire encore si l’on peut dire, cette relance conduisit, le travail et la prospérité revenus, à une forte adhésion populaire à Hilter en 1936.
Le Deutsche Mark fut créé en 1948 par Ludwig Erhardt en remplacement du Reichsmark. Cette nouvelle monnaie, créée dans une période inflationniste (comme en France après-guerre, ce qui conduisit au nouveau franc en 1958), avait aussi pour finalité de tourner la page et de faire oublier le passé.
Dans les propos publics actuels, il est surtout question de l’hyperinflation qui a traumatisé le peuple allemand. Je pense que, bien plus profondément, c’est le contrôle de la monnaie par un génie du mal qui marque nos voisins. Rappelons cet extrait du Faust II de Goethe, génie littéraire allemand né… à Francfort, siège de la BCE et de la BundesBank :
«L’Empereur est à court d’argent. Il se lasse des propositions mesurées qui lui sont faites et proclame : « J’en ai assez de ces éternels « Mais » et « Si » ; Je manque d’argent, alors qu’on en crée donc ! » Et le Diable, Mephisto, d’abonder dans le sens du Souverain : « Je crée ce que vous voulez, et j’en fais même bien plus. »
Se rappeler ces tragédies permet d’imaginer qu’il serait très difficile aux allemands d’abandonner :
- l’indépendance de la Banque Centrale (pour éviter que la « planche à billets » soit utilisée à par un pouvoir soit trop faible (Weimar) soit trop fort (IIIeme Reich)
- la discipline budgétaire, pour les mêmes raisons
- la valeur symbolique d’une monnaie forte, image du renouveau allemand d’après-guerre
D’autant plus difficile à imaginer que ces choix semblent ne pas trop mal leur réussir en ce moment.
Mais ces périodes tragiques de leur histoire font aussi douter du recours à la création monétaire publique pour financer un programme de grands travaux, écologiques énergétiques et sociaux.
Conclusion : la discussion sur la question monétaire avec l’Allemagne nécessite une très forte volonté politique de notre côté et une fermeté sans faille dans les propositions et ce dans tous les cas : qu’il s’agisse de faire évoluer la gestion de l’Euro (avec son package actuel) ou de passer à une monnaie commune. On en est encore loin !
Ce post a été relu par Michèle Grandjean.
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(L’harmattan, 1997) qui justifie cette thèse
[2] Les MEFO sont les titres d’une société, la MetallurgischeForschungsgesellschaft, m.b.H., qui servent de monnaie d’échange convertible en Reichmarks sur demande.
[3]Voir la proposition de Frédéric Boccara et le livre« Une autre Europe. Contre l’austérité. Pour le progrès social en coopération. Un autre Euro » 140 p., Petite collection Ecopo)
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