Si les enjeux climatiques sont de mieux en mieux perçus par les citoyens, les initiatives pour les traiter sont à la peine. Copenhague à l’international, Grenelle et la taxe carbone en France donnent l’impression de chevaux qui se dérobent devant l’obstacle.
A mes yeux, dans les trois cas, la cause profonde des difficultés est du même ordre, même si l’ampleur des sujets n’est pas la même. Le changement climatique, comme la crise financière, comme les crises écologiques et sociales dans lesquelles le monde est plongé sont à la fois des preuves que notre modèle de croissance s ‘épuise et de fortes incitations à le changer en profondeur. Mais tout ceci s’inscrit en plus comme le dit Michel Serres1 dans une période de transformation radicale de l’humanité, de son rapport au monde et à elle-même. Il n’hésite pas à la considérer comme la fin du néolithique. « La crise actuelle vient de ce que meurent nos cultures et nos politiques sans monde. Se termine une ère immense de notre histoire ; mieux, commence notre temps d’hominescence »2.
En un mot la résolution des crises actuelles nécessite et suppose un changement de modèle économique mais plus profondément un changement de civilisation voire un changement d’ère biologique3. Pas étonnant que la transition à gérer soit un peu rock and roll et que personne n’ait vraiment les clefs de la porte de sortie.
Nous sommes dans la situation de passagers d’un TGV fonçant sans frein vers un précipice, mais dont les passagers de première classe demandent qu’il accélère et qu’on débarque les passagers de seconde qui le ralentissent. En même temps, certains voyant l’abîme demandent qu’on ralentisse, certains qu’on arrête ou qu’on fasse marche arrière. Comment, dans ce contexte, gérer la transition en raisonnant à la marge du système et, en même temps tenter d’anticiper des évolutions plus radicales ?
Copenhague, Grenelle la taxe carbone sont des entreprises tentées avec les moyens du bord (institutionnels, culturels, économiques). Comment faire autrement ? On peut toujours rêver d’un grand soir mais l’histoire a montré que les révolutions portées par une vision idéale commencent et se terminent dans un bain de sang ? La réponse me semble assez claire : nous devons bien tout faire pour faire progresser les décisions et les comportements, avec les moyens du bord et tout l’opportunisme possible et, en même temps, réanimer l’envie de concevoir et de mettre en œuvre des changements en rupture.
Paul Watzlawick4, un psychothérapeute « systémicien », a cherché à comprendre pourquoi « plus ça change plus c’est la même chose ». Il a distingué deux natures de changement : les changements à l’intérieur d’un cadre ou d’un système (type1) et les changements de cadre (type2). Il va nous falloir inventer des changements de type 2 (des changements de changement) et ne pas se contenter des changements de type 1.
Néanmoins les petits changements engagés ne sont pas inutiles. En l’attente de ruptures plus franches, il me semble utile que sur le terrain on commence par passer la seconde.
Alain Grandjean, économiste. http://alaingrandjean.fr/
1 Le Temps des Crises (Aubier, 2009)
2 Nicolas Hulot aime rappeler cette blague de Pierre Dac « Le chainon manquant entre le singe et l’homme c’est nous… »
3 Certains, à la suite de Paul Crutzen, parlent d’anthropocène pour désigner l’ère en cours.
4 Voir Watzlawick Paul, “ Changement et psychothérapie” Coll. Point Éditions du Seuil Paris 1980
2 réponses à “Convention climat, Grenelle et taxe carbone : passer la seconde ou initier des ruptures ?”
Bonjour,
En effet, le changement peut être de deux natures (type 1 et 2). De plus, le « système » est caractérisé par son homéostasie qui le rend difficilement évolutif. Il tend à résister au changement imposé ou non. Actuellement, nous sommes dans une période de « résistance » et d’aveuglement. Je crains que le changement de type 2 ne se fasse qu’au prix d’une grande violence.
Un changement d’ordre 1 c’est changer de roi en espérant tomber sur un despote éclairé, un changement d’ordre 2 c’est passer à la démocratie, et c’est vrai que ça ne s’est pas fait dans la bonne humeur.
La seule manière de contribuer à éviter le pire (qui n’est pas certain) c’est précisément de se mobiliser , non pas pour inventer en théorie un monde idéal (l’expérience a montré que ça ne marche pas) mais pour déterminer les principaux leviers qui permettent d’aller dans la bonne direction. Donner un prix au carbone en est un, pour la question climatique, mais il ne suffit évidemment pas (même pour la seule question du climat) et il est donc nécessaire d’en initier d’autres.