La croissance verte1 est souvent appelée à la rescousse face à la perte de l’emploi industriel qu’a connu la France dans les dernières années. Inversement les contraintes environnementales sont souvent accusées de détruire de l’emploi.

C’est donc avec beaucoup d’intérêt que j’ai pris connaissance de l’analyse des causes de cette destruction d’emplois dans les 40 dernières années, faite par la DGTPE (la direction du Trésor qui s’occupe de politique publique) et signée Lila Demmou2. Signalons d’entrée que ces études sont très difficiles et que leurs résultats sont à interpréter avec précaution. Mais il me semble que nous avons là quelques ordres de grandeur et tendances significatifs.

L’emploi industriel est passé de 5,3 millions d’emplois en 1980 à 3,4 millions en 2007.

Voici l’origine de cette « perte » de 2 millions d’emplois, selon cette étude :

  • 25% de ces pertes d’emplois n’en sont pas : il s’agit d’un problème de nomenclature, liée à l’externalisation de services3 (l’interim, le nettoyage, le gardiennage, …)
  • 30% seraient dus aux gains de productivité, tant par l’effet direct de la productivité sur l’emploi que par l’effet de modification de la consommation des ménages qui devenant plus riches achètent plus de services
  • 45% seraient dus à un transfert des emplois (pour 17% chez les émergents et 28% vers les pays développés)

 

45% de 2 millions c’est 60 % d’1,5 million si on corrige de l’artefact statistique des 25 % d’emplois qui sont passé d’industrie à service pour une simple question de nomenclature. Au total ce sont donc en fait 60 % des vraies pertes d’emplois industriels qui sont dues à des délocalisations (et pas uniquement, loin de là, vers la Chine).

Retenons donc que la destruction de l’emploi industriel dans les 40 dernières années en France, est due à deux facteurs principaux : les gains de productivité (et le déplacement de la demande qui s’en suit), et la concurrence internationale. En termes simples, ce n’est ni la machine la coupable ni la mondialisation, mais les deux.

La croissance verte peut être un gisement d’emplois significatif :

  • en déformant la demande vers des produits à plus haute valeur ajoutée4,
  • en réduisant les gains de productivité, du fait d’un moindre usage de l’énergie (l’agriculture durable en particulier sera moins intensive en énergie et plus riche en emplois)

Mais à l’évidence la clef du succès va se trouver dans la maîtrise de la compétitivité. La croissance verte risque d’en désillusionner plus d’un si elle s’organise dans le même cadre que celui qui nous fait perdre des emplois aujourd’hui : une mise en concurrence déraisonnable avec des pays qui ont plus d’atouts que nous sur presque tous les fronts. Ce n’est pas la contrainte écologique qui demande en tant telle de recréer un cadre de relations internationales qui ne soit pas basé sur la seule compétition économique, mais un problème beaucoup plus global d’équilibre économique entre nations et entre régions du monde.

Bref, qu’on le prenne par le bout de la finance celui de l’emploi ou de celui de l’écologie , il me semble clair que le modèle néolibéral, prêcheur d’une ouverture tous azimuts des frontières, a vécu.

Alain Grandjean, économiste, http://alaingrandjean.fr

 

1 Le terme est devenu incontournable même si son sens fait débat. Je le prends ici dans le sens général de « modèle économique intégrant la contrainte des ressources et de l’environnement ».    
3 Ce problème de nomenclature semble ne plus jouer à partir de 2000. Les entreprises industrielles ont achevé leur processus d’externalisation.   
4 On peut penser que des produits et services « verts » demandent du travail et de l’innovation.