L’économie (en tant que discipline intellectuelle) recourt aux mathématiques et à la modélisation comme de nombreuses sciences. C’est assez légitime : l’économie manipule des quantités (des prix, des revenus, des volumes de production et de consommation, des montants de dettes et de créances, etc.) et il est logique de vouloir appréhender la complexité des systèmes économiques en la représentant de manière simplifiée par des modèles. Ces modèles ne sont pas de simples jeux de l’esprit. Certains sont utilisés au plus haut niveau et dans de situations à forts enjeux : dans la négociation entre la Grèce et la Troika, pour évaluer les effets économiques du TAFTA ou du CETA, du Brexit, pour évaluer l’impact économique et social de telle politique, de l’effet des 35 heures en pensant par celui d’une politique de réduction des déficits budgétaires…
Cette mathématisation a l’avantage de favoriser la précision des concepts utilisés, la rigueur des raisonnements et la critique par les pairs. En revanche, elle peut donner une impression de scientificité voire de vérité, tout-à-fait excessive dans sa généralité. Cette « aura » est en effet un atout et contribue à étayer une posture et un discours d’autorité (« nos modèles mathématiques (dont vous n’avez pas accès à la compréhension ni à la critique) nous permettent d’affirmer ceci ou cela ») abusifs.
Une démarche scientifique ne se résume pas à la production et à la résolution d’équations mathématiques. Il ne suffit pas non plus en économie d’être publié dans les revues les plus reconnues au niveau international pour que les propos publiés puissent être considérés comme vrais ou indiscutables[1].
Si nous avons confiance dans la conception des avions produits par l’industrie c’est notamment parce qu’elle est faite par des ingénieurs qui connaissent les lois de la physique, solidement établies dans leurs limites de validité. C’est aussi parce que les travaux de modélisation mathématique dont ils ont besoin sont l’objet de contrôles expérimentaux. L’écoulement d’air autour d’une aile d’avion peut être représenté mathématiquement mais il est nécessaire de tester la validité de cette représentation par des essais répétés en soufflerie, qui permettent de contrôler le modèle mathématique et si nécessaire de le modifier.
L’économie ne dispose pas d’un corpus théorique solidement étayé et il est très difficile d’élaborer des protocoles expérimentaux analogues à celui de la physique[2].
Dès lors, il est pour le moins hardi de tirer des conclusions de modèles économiques, même s’ils sont publiés dans les revues les plus réputées…
Notre note « Comparaison des modèles météorologiques, climatiques et économiques : quelles capacités, quelles limites quels usages ? »[3]
Pour illustrer et étayer concrètement ce propos général, Gaël Giraud et moi-même (voir notre working paper ci-dessous) l’avons restreint à un champ à très fort enjeu, celui du changement climatique. Et nous avons comparé les propriétés et les qualités des modèles climatiques et des modèles économiques.
Le diagnostic du changement climatique et de ses conséquences physiques repose en effet sur une représentation modélisée et, en l’occurrence, assez solide des phénomènes en cause. Les effets économiques du changement climatique, de diverses stratégies d’atténuation et d’adaptation, peuvent également être modélisés, en recourant alors à des théories économiques pas toujours explicitées et dont la validité est plus discutable. Tous ces modèles, influents dans la décision publique, ont des capacités et des limites bien différentes.
Nous éclairons ces limites en rendant compte des principales options théoriques qui sont prises dans tel et tel type de modèles et en montrant qu’elles sont l’objet de controverses très sérieuses. Nous concluons par une série de recommandations relatives au bon usage des modèles économiques.
Alain Grandjean
Accéder au papier (sur le site de la Chaire Energie et Prospérité) :
Une réponse à “Du bon usage des modèles mathématiques en économie”
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