Dans cette tribune parue dans Investir le 6 juillet 2019, trois des initiateurs du Manifeste étudiant pour un réveil écologique” nous expliquent pourquoi l’épargne est un levier à mobiliser pour la transition écologique.
On l’oublie parfois, à cause des abstractions des mathématiques financières, mais la finance est avant tout un pari. On parie sur la direction que prendra le futur, et on investit dans ce qui a le plus de chance de prospérer. Du point de vue d’un jeune en 2019, miser sur le business as usual – c’est-à-dire sur un monde à +4°C et sur la disparition de services écosystémiques nécessaires à notre vie – ne semble pas bien rentable, quels que soient les gains financiers de l’opération. C’est en quelque sorte un pari pascalien inversé : quoi que l’on gagne, ce que l’on perd est trop grand en comparaison.
Désinvestir les énergies fossiles
Fin 2018, 30 000 étudiants ont signé le “Manifeste étudiant pour un réveil écologique”. Faisant le constat que leur environnement est en péril, ils affirment : « le fonctionnement actuel de nos sociétés modernes, fondé sur la croissance du PIB sans considération des manques de cet indicateur, est responsable au premier chef des problèmes environnementaux et des crises sociales qui en découlent. » Ils se déclarent prêts à agir en conséquence, notamment en choisissant leur futur employeur selon l’engagement de celui-ci à mettre en œuvre une stratégie cohérente avec les objectifs de préservation du climat et de la biodiversité. Ils préfèrent ainsi investir leur énergie dans une organisation qui agit dans leur intérêt à long terme.
L’équipe du Manifeste travaille actuellement à donner des outils concrets aux futurs diplômés pour les aider à choisir un employeur dont l’engagement environnemental est réel et dont la stratégie est compatible avec le respect des limites planétaires. Mais les actions mises en place pour orienter les entreprises vers des pratiques durables ne se limiteront pas au levier de l’emploi. Ainsi, les mobilisations futures de ces étudiants concerneront également l’aspect financier.
Dans certains pays, de tels mouvement se développent déjà. Aux Etats-Unis, les universités sont des acteurs financiers à part entière grâce à leurs endowment funds – un total de plus de 500 milliards de dollars – et les étudiants militent régulièrement pour que cet argent soit désinvesti de l’énergie fossile. En unissant leurs forces et leurs voix durant un National Divestment Day en février 2020, ils souhaitent attirer l’attention des médias et de leurs universités, soucieuses de leur image.
Pourquoi donc réorienter une épargne pourtant rentable ?
Parce que même en acceptant le seul critère de la rentabilité financière, nous sommes convaincus que les risques environnementaux ne sont pas correctement intégrés dans le calcul de celle-ci. En effet, qui parvient à prendre la réelle mesure de ce que signifie un monde à +4°C tel que décrit par le GIEC ? Lorsque nous entendons Henri de Castries, PDG d’AXA alerter qu’ « un monde plus chaud de 4 degrés sera impossible à assurer » comprenons-nous que l’instabilité de ce monde-là limitera grandement la prospérité économique ? Et ce risque est déjà bien présent : la faillite de PG&E est considérée comme la première due au réchauffement climatique.
Parce que si nos sociétés prennent enfin la voie d’une transition écologique ambitieuse – comme inscrit dans la loi française – certaines activités seront amenées à disparaître. Parce que la législation, les habitudes de consommation ou les choix d’employeurs évoluent, investir dans des entreprises qui ne proposent pas de trajectoires claires et ambitieuses pour réduire leur impact sur le climat et la biodiversité semble bien incertain.
Parce qu’enfin, au-delà de tout calcul financier, nous ne voulons tout simplement pas vivre dans un monde dévasté par les effets des crises environnementales. Peu importe les rendements économiques ou le salaire qui nous est proposé, un environnement stable est un prérequis essentiel à notre confort de vie. Nous souhaitons utiliser tous les leviers à notre disposition pour transformer le monde de l’entreprise, que ce soit au niveau de l’emploi, de la consommation ou de l’investissement. Nous souhaitons que nos actions comme notre épargne soient porteuses de sens. Et nous sommes fiers de participer à notre échelle à la transition vers un monde durable.
Une question demeure : si nous faisons ce raisonnement, pourquoi les autres investisseurs ne le font-ils pas ? Est-ce par habitude, par déni, par court-termisme ? Et vous ?
Corentin Bisot, Paul de Guibert et Sébastien Pezza au nom du Manifeste Étudiant pour un Réveil Écologique
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