La séparation bancaire (2) – Un enjeu clef du développement durable

[Voir aussi : La séparation bancaire (1)Du point de vue du développement durable, et spécifiquement de l’écologie la séparation bancaire est un dossier majeur.

 La transition écologique suppose qu’on puisse financer des investissements dont la rentabilité strictement financière est souvent faible. Scinder les banques permettrait de faire un vrai pas dans cette direction et ce pour au moins trois raisons.

1 Améliorer l’attractivité relative  des investissements « durables » en réduisant la performance des activités financières de marché.

Une « vraie » séparation consiste non seulement à scinder  les activités en deux :

  • les activités traditionnelles de dépôt et de crédit, d’un côté
  • les activités de marché,  de l’autre

mais aussi à interdire aux banques commerciales traditionnelles de prêter aux banques de marché.

Dès lors toutes les opérations à effet de levier seront plus difficiles à faire[1] et au total moins rentables. Rappelons que les banques créent de la monnaie pour  réaliser des activités spéculatives « pour compte propre »  et pour prêter aux sociétés financières (leurs filiales ou des sociétés indépendantes). Ces opérations à fort effet de levier peuvent avoir des rendements sur fonds propres de court terme à deux ou trois chiffres, face auxquels les investissements à rentabilité financière de court terme faible voire nulle font pâle figure.

Cet effet est accru par la crise économique actuelle qui pousse les banques actuelles à être très sélectives sur les prêts à l’économie réelle.

La séparation bancaire est donc un bon moyen de revenir sur Terre, en, cessant de faire croire qu’une économie ayant une croissance faible, voire nulle, peut offrir à l’infini des rendement sur capitaux propres de 8 % ou plus. C‘est un bon moyen de défendre notre planète.

 

2 Limiter le pouvoir des banquiers et financiers

 

Il est de notoriété publique que la politique publique est dominée par la banque et la finance.

En France, la direction  du Trésor c’est « l’Etat dans l’Etat ». Nombre de ces hauts-fonctionnaires envisagent de se recaser dans le privé (banque/finance) après leur passage au Trésor. Leur intérêt n’est pas nécessairement de faire du tort à leurs futurs employeurs. Sans même évoquer cette collusion d’intérêt, il est malheureusement clair que leur mode de pensée est très souvent inspirée de la « doxa » néolibérale dominante (même quand elle a une couleur « sociale-libérale ») qui imprègne leur culture et leurs raisonnements et leur fait croire à des sornettes comme l’efficience des marchés financiers[2].

 

Au niveau international, malgré leur échec total au moment de la crise des subprimes, où elles n’ont rien vu venir, les agences de notation ont encore un pouvoir énorme. Récemment l’agence Moody’s a décoté la dette souveraine française et nous a fait une leçon : il est nécessaire que notre droit du travail soit plus flexible. Que nos partenaires sociaux négocient pour faire évoluer ce droit qui est en effet lourd et sans doute trop judiciarisé, on peut en discuter. En revanche que la rigidité de ce droit soit la cause première du chômage est une contrevérité macroéconomique[3] ! Enfin que les agences de notation ou les banques centrales nous imposent ce type de réforme au nom d’une prétendue « vérité économique », cela dépasse l’ entendement et, en tout état de cause, constitue un vrai déni démocratique.

 

Pour autant, les Etats se sentent obligés de céder aux injonctions  de ces agences. Et engagent des politiques d’austérité pour tenter de sauver leur notation internationale, en se justifiant par la faiblesse actuelle des taux de financement de la dette, qui sont même parfois négatifs. Alors qu’il est clair que c’est la crise financière et la socialisation des pertes qui  ont rendu  les dettes publiques difficiles à contenir.

 

Les gouvernements européens ont beaucoup de mal, aujourd’hui, à oser affronter les dirigeants  bancaires et financiers. Ils hésitent à prendre la mère des mesures : la reconquête du pouvoir de création monétaire qui a été confisqué par le pouvoir bancaire et financier. Pourtant, seule cette reconquête permettra de financer dans de bonnes conditions les investissements de la transition écologique.

 

La scission des banques serait un pas clair dans cette direction. Et c’est un pas accessible en France !

 

3 Réduire le risque de crises économiques qui sont des périodes de mise de côté du long terme et de l’écologie

 

Faut-il rappeler que la crise économique actuelle n’est pas d’abord une crise des dettes publiques ? Elle est bien la conséquence de la crise des subprimes conjuguée à une crise des balances de paiement induite par les défauts structurels de la zone euro. Et elle est catastrophique au plan écologique : les décisions publiques à prendre sont reportées ou atténuées. Comment accroître la fiscalité sur l’énergie quand la précarité augmente et qu’il n’y a pas de sous dans les caisses pour en compenser les effets ?

Comment les entreprises et les ménages peuvent-ils entreprendre dans cette période des investissements dont la rentabilité est insuffisante ?

Si la prospérité ne garantit pas la prise au sérieux de la nature, la paupérisation ralentit clairement sa prise en compte.

Pour réduire les risques de crise systémique il est indispensable de réduire la taille des géants bancaires « too big too fail » et de les scinder. Ce remède anti-crise est donc autant justifié aux plans éthique, social, économique qu’écologique.

Auteur :  Gael Giraud (CNRS, Centre d’Economie de la Sorbonne, Ecole d’Economie de Paris, Labex REFI (Régulation Financière)

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[1]              Elles ne pourront alors être financées que sur fonds propres ou par les marchés financiers.

[2]              Voir notamment L’illusion financière de Gael Giraud, Ed. de l’Atelier, 2012

[3]          Malheureusement, de nombreux modèles utilisés par les économistes concluent volontiers à l’entière responsabilité de la rigidité des salaires dans la persistance du chômage de masse. Ceci est principalement dû au mode de construction desdits modèles : en l’absence de rigidité salariale, ces modèles sont incapables d’exhiber un chômage significatif et durable le long de ses trajectoires d’équilibre. Les économistes n’y découvrent donc en aval que ce qu’ils y ont mis en amont… Inversement, l’apparition du chômage de masse dans les années 1970 était-elle due à une soudaine perte de flexibilité du marché du travail européen ? Son augmentation depuis 2009 est-elle le résultat   d’une plus grande « rigidité » ? Poser ces questions, c’est comprendre que, si le fonctionnement institutionnel du marché du travail n’est évidemment pas étranger à l’amplitude et à la persistance du chômage, la source de ce dernier est ailleurs. Dans l’accroissement inouï de l’incertitude engendrée par l’abandon de Bretton-Woods puis l’explosion d’une sphère financière dérégulée par exemple-incertitude qui paralyse les décisions d’investissement (et donc d’embauche), cf. Facteur 12 (G.Giraud et C. Renouard, Carnets Nord, 2012).

 

Une réponse à “La séparation bancaire (2) – Un enjeu clef du développement durable”

  1. Avatar de Blogdenico

    Je signale une interview avec Gaël Giraud sur le même thème :
    – sur la finance et la nécessaire séparation bancaire : http://blogdenico.fr/entretien-avec-gael-giraud-23-la-necessaire-reglementation-financiere-et-bancaire/

    – sur la monnaie bien commun à mettre au service de la transition écologique : http://blogdenico.fr/entretien-avec-gael-giraud-33-la-transition-ecologique-et-son-financement/