[Voir aussi La séparation bancaire (5)] De l’ensemble des objections formulées par le secteur bancaire contre une scission stricte (du type GSA), trois arguments, seulement, retiennent l’attention. Le premier est faux, et les deux suivants sont exacts.
Mais l’exactitude du second, au lieu de plaider contre la séparation, fournit au contraire, une raison supplémentaire pour mettre en oeuvre le GSA. De sorte qu’in fine, seule la troisième objection prête à réflexion et invite à un véritable débat politique entre les différentes manières de scinder les banques évoquées dans la section II plus haut. Nous proposons une façon simple de résoudre cet arbitrage en maintenant la scission stricte du GSA (renforcé).
Qu’adviendrait-il si l’on faisait un vrai GSA ? Trois scénarios du pire sont généralement envisagés.
1. Manque de liquidité du côté « commercial » ?
Le premier scénario consiste à faire valoir que les banques commerciales séparées de leur département « marché » manqueraient de liquidités nécessaires à leur métier. Cette objection repose sur un scénario imaginaire car, depuis 2007, les départements « commerciaux » des banques mixtes françaises ne se financent déjà quasiment que grâce aux liquidités fournies par les dépôts, et ne vont pour ainsi dire récolter des liquidités sur les marchés. Ils le faisaient davantage, avant 2007, grâce à la titrisation (dont il a été question plus haut) : de cette manière, en effet, les banques pouvaient accorder des crédits aux PME et aux particuliers, et revendaient cette créance, insérée parmi beaucoup d’autres, dans un CDO[1] ou un CMBS[2]. L’espoir qui a sous-tendu le développement de la titrisation depuis la fin des années 1980, était qu’elle puisse permettre de financer toute l’économie par les marchés (alors qu’actuellement seuls les grands groupes se financent sur les marchés)[3]. En effet, la plupart des PME (a fortiori des particuliers) ne peuvent pas émettre de la dette ou une action ou un « papier commercial » sur les marchés : faute de connaître l’émetteur de cette dette, aucun investisseur ne voudrait lui prêter du fait du coût exorbitant de la collecte d’information. Les produits de titrisation, parce qu’ils regroupent des centaines, voire des milliers, de créances différentes, ont pu faire croire qu’ils permettraient d’épargner aux investisseurs la tâche de s’informer sur la PME à qui ils envisageaient de prêter : ils reposaient sur l’idée (illusoire) que la multiplication des créances permet de diversifier le risque de manière automatique. En ne mettant pas « tous ses oeufs dans le même panier », celui qui achète un CDO ne peut-il pas se dispenser de la moindre étude sur la solvabilité de ses débiteurs ? Las, 2007-2009 a montré que la titrisation, non seulement, ne fournit aucune garantie contre l’effet de contagion mais, pire encore, y contribue considérablement. C’est la raison pour laquelle le marché de la titrisation est encore aujourd’hui en léthargie (après avoir été dans le coma en 2008-2009 et l’être resté pour les marchés espagnol et grec par exemple) : rares sont les investisseurs qui souhaitent de nouveau se risquer à acheter ce genre de créance. Reste qu’il pourrait se « réveiller » à la faveur d’une nouvelle bulle spéculative (les tombereaux de liquidités injectées par les Banques Centrales depuis le milieu des années 1990 et, tout spécialement, depuis 2008, rendent l’éventualité d’une nouvelle bulle très probable). De sorte qu’il est impératif de réglementer davantage le marché de la titrisation[4].
Depuis qu’il est devenu clair, dès 2007, que la titrisation, loin de constituer la panacée qui devait permettre de financiariser toute l’économie, mettait au contraire l’ensemble de la sphère financière mondiale (et des économies qui en dépendent) en danger, force est au secteur bancaire de reconnaître qu’il ne peut pas financer les PME et les particuliers grâce aux marchés[5]. Cette tâche essentielle revient donc aux « traditionnelles » banques commerciales. Il est vraisemblable en outre que des banques commerciales spécialisées (libérées de la tutelle du département « marché ») accomplissent mieux leur métier, puisque leurs dépôts et le capital de la banque seront vraiment affectés au crédit à l’économie réelle (et non plus aux opérations à fort effet de levier sur les marchés, cf. problèmes 1) et 2) supra).
2. Manque de liquidité côté « marché » ?
La seconde objection majeure des banques contre une vraie séparation (du type GSA) est la suivante : cela nuira aux banques de marché en les privant de liquidités. C’est en quelque sorte la réciproque de l’objection précédente.
Remarquons, tout d’abord, qu’il n’est pas rare d’entendre tel professionnel du secteur bancaire faire valoir consécutivement ces deux objections, alors qu’elles s’excluent mutuellement. Entre les deux, il faut choisir — ce qui revient à reconnaître qui des deux départements, aujourd’hui, est pourvoyeur de liquidité pour l’autre. Si l’on estime que c’est l’entité « marché » qui irrigue l’entité « commerciale », on optera pour la première objection. Si, en revanche, c’est l’entité « commerciale » qui abreuve l’entité « marché », on choisira la seconde.
Or cette seconde objection est exacte. On l’a dit, les dépôt fournissent des liquidités (à un prix bien plus faible que celui que les banques seraient tenues d’acquitter sur les marchés) qui facilitent grandement les activités de marchés des banques d’investissement. Lorsque ces activités sont florissantes, les dépôts permettent de démultiplier l’effet de levier. Mis à part les autres ratios prudentiels auxquels les banques sont astreintes, 1 unité de dépôt les autorise à prêter 100 unités sous forme de crédit. Lorsque l’unité en question s’exprime en milliards d’euros, elle constitue un levier considérable. Inversement, lorsque les activités du département « marché » tournent mal, les liquidités des dépôts permettent de limiter l’impact des pertes subies. La « résurrection » de Natixis, pourtant en quasi-faillite, après son “articulation” avec les banques populaires en témoigne. Enfin, et surtout, la présence de dépôts, alliée à une taille suffisante, permet à une banque mixte de jouir de la garantie de l’Etat. Cette garantie lui permet d’emprunter elle-même sur les marchés du crédit à un taux très bas, on l’a dit.
On comprend, dès lors, que les banques mixtes françaises craignent pour la rentabilité de leurs activités de marché si elles étaient effectivement scindées : elles seraient contraintes de se refinancer davantage (à encours de crédit constant), ce qui a un coût (le taux de refinancement sur le marché interbancaire) ; elles perdraient la garantie de l’Etat et seraient contraintes de se financer sur les marchés à un taux plus élevé.
Pour exacte qu’elle soit, cette objection constitue-t-elle une raison suffisante pour ne pas légiférer en faveur d’un authentique GSA ? Nous ne le croyons pas. Les opérations de marché, aujourd’hui, mettent en jeu une contrepartie issue de l’économie réelle pour moins de 10% d’entre elles. Toutes les autres (au moins 90%) sont des transactions entre institutions financières. Leur utilité pour la collectivité économique du pays mérite d’être très profondément interrogée : ni l’analyse économique[6], ni l’expérience historique des 30 dernières années ne permettent d’étayer la thèse selon laquelle le développement des marchés financiers a réellement promu la croissance du PIB (encore moins d’autres indicateurs alternatifs, tels que ceux du rapport Sen-Stilgitz, 2010). Si l’activité de marché des grands groupes bancaires devient moins rentable, leur rendement sur action (encore proche de 8% en 2012) déclinera, pour éventuellement revenir à des taux plus sensés, compte tenu de l’absence de croissance de l’économie réelle. Faut-il le déplorer ? Et continuer de faire courir à la collectivité les 5 risques majeurs évoqués supra ?
3. Un « modèle français » ?
Une variante de cette seconde objection affirme que le « modèle français » de la banque « universelle » aurait fait la preuve de sa résilience, au contraire des banques spécialisées. S’il est exact que Lehman Brothers (qui, après avoir pourtant survécu à 1929, a fait faillite le 15 septembre 2008) était une pure banque d’investissement, en revanche, il n’existe pas de « modèle français » : BNP-Paribas, Deutsche Bank et Citigroup sont trois groupes bancaires mixtes tout à fait comparables dans leur structure. En outre, on peine à trouver une preuve empirique de la résilience des banques mixtes au regard du sort de la Société Générale, Fortis, Citigroup, RBS, UBS, Unicredit ou encore RBS (Royal Bank of Scotland)… Ce dernier exemple mérite qu’on s’y arrête : en 2008, cette banque « universelle », créée en 1727, est la plus grande banque d’Ecosse, la seconde du Royaume-Uni et d’Europe, ainsi que la cinquième dans le monde en termes de capitalisation boursière. Fin novembre 2008, la banque est en faillite. Le gouvernement britannique devient l’actionnaire majoritaire de RBS, à hauteur de 57,9 %, en acquérant pour 15 milliards d’euros d’actions ordinaires et pour 5 milliards d’euros d’actions préférentielles. Il s’agit de l’effondrement le plus important qu’ait connu une entreprise britannique. En février 2009, RBS annonce une perte est de 27 milliards d’euros. En avril 2009, RBS annonce la suppression, sur deux ans, de 9 000 emplois.
Cet exemple n’est pas isolé. Rappelons que la Société Générale doit sa survie au contribuable américain : sur les 80 milliards de dollars apportés par le budget fédéral fin 2008 lors du sauvetage d’AIG, 12 milliards étaient dus par AIG à la banque française. En outre, les grandes banques françaises ont toutes bénéficié de prises de participation de l’Etat dès 2009, qui a endossé un risque exorbitant tout en faisant des dons significatifs au secteur bancaire[7] . Enfin, la garantie de l’Etat français a été octroyée au travers de la SFEF : cette banque, créée ex nihilo en 2008, avait pour seule fin de fournir le secteur bancaire français en liquidités ; le gouvernement français s’est gardé de décider de son statut (banque publique ? privée ?) de manière à lui permettre de jouir de la garantie de premier rang de l’Etat français (ce qui en fait plutôt une banque publique) tout en émettant de la dette rachetée par la BCE (ce qui constituerait une violation des Traités européens s’il s’agissait d’une banque publique). Finalement, le statut de banque publique lui a été attribué, une fois sa mission accomplie[8] en 2010…
S’il est possible que les banques mixtes, en moyenne, souffrent moins lors d’un krach que des banques spécialisées, cela n’a rien d’étonnant. Comme on l’a déjà dit : ce sont les liquidités de la partie « commerciale » de la banque qui lui permettent d’assumer plus facilement une partie de ses pertes sur les marchés. Qu’est-ce à dire, sinon que le « modèle de la banque universelle française », outre qu’il n’est pas spécialement français, désigne en réalité une banque de marché adossée aux facilités que lui procure un département commercial ?
4. OPA sur les banques françaises ?
La troisième objection est la plus sérieuse. Elle consiste à faire valoir qu’en cas de scission, les banques françaises seront redevenues suffisamment petites pour être susceptibles de faire l’objet d’OPA.
Il peut paraître étonnant de voir cette objection avancée par des professionnels qui, le reste du temps, vantent les mérites de la concurrence et du libre-échange. Ces prétendues vertus ne seraient-elles bonnes que pour les autres ? En réalité, cela n’a rien d’étonnant dans l’exacte mesure où le secteur financier, bancaire en particulier, n’est pas un secteur industriel concurrentiel (contrairement à l’image qu’il donne parfois de lui-même). Peu de secteurs en Europe sont aussi concentrés que le secteur bancaire. (Il est d’ailleurs remarquable que le Commissariat à la concurrence ne se soit jamais ému des fusions du secteur bancaire, qui se sont multipliées depuis 2008 et qui ont conduit tout droit au gigantisme dénoncé plus haut (cf. problème 4)). En outre, les prix de marchés financiers ne répondent pas à une logique concurrentielle (au sens où l’entend l’analyse économique classique) : s’ils y obéissaient, en effet, une hausse du prix d’un actif entrainerait toujours une baisse de sa demande. Or, c’est le contraire qu’on observe durant les phases euphoriques (bullish) du cycle du levier : plus le prix d’un actif augmente, : plus le prix d’un actif augmente, plus sa demande croît[9]. Inversement, une baisse du prix d’un actif devrait toujours entrainer une hausse de sa demande. De nouveau, c’est le contraire qu’on observe durant la phase « dépressive » (bearish) du cycle du levier. L’acitivité d’une banque de marché n’a donc que peu à voir avec celle d’un industriel tenu de se montrer plus « compétitif » que ses concurrents : elle consiste essentiellement à anticiper les phases bullish et bearish et à en tirer parti. Rien de surprenant, donc, si le secteur bancaire européen (français en particuier) ne se montre guère enthousiaste à l’idée de devoir, à son tour, assumer les conséquences de la libre circulation des capitaux en Europe.
Reste que la préoccupation induite par le caractère « opéable » des banques françaises scindées est légitime. Cela veut-il dire que le meilleur moyen d’y répondre consiste à poursuivre la course au gigantisme dans laquelle se sont lancées les premières banques françaises ? Et qui fait courir à l’économie française les 5 dangers majeurs énoncés plus haut ? Une autre réponse politique peut être apportée : il est souhaitable, pour l’économie française, qu’elle conserve un secteur bancaire national, orienté vers l’économie française —aussi bien afin d’assurer un accès au marché aux grands groupes industriels qu’afin de faciliter l’accès du Trésor français au marché du crédit souverain. Il n’est donc pas illégitime de chercher à protéger le secteur bancaire français d’éventuelles OPA agressives. Pour ce faire, une disposition législative analogue à celle qui a été adoptée par l’Italie en 2010 pourrait être envisagée. Plus généralement, la France applique aujourd’hui la directive européenne OPA dans sa mouture la plus favorable à la libre-circulation des capitaux. Or l’analyse économique la plus « traditionnelle » fait valoir depuis longtemps (Ricardo, déjà, mais aussi Ekscher, Ohlin et Samuelson) que les avantages du libre-échange s’effondrent en présence de parfaite mobilité du capital (lequel s’investit nécessairement chez le moins-disant fiscal et le plus rentable à court terme, et non dans l’activité relativement la plus productive de chaque pays). Mettre des barrières aux OPA agressives n’est donc pas une hérésie à l’égard de la doctrine du libre-échange, au contraire : c’est un moyen de permettre à la mondialisation de remplir ses promesses[10].
Plusieurs dispositions peuvent être adoptées :
1) interdire les OPA agressives lancées par des sociétés qui ne sont pas elles-mêmes « opéables ». Il s’agit d’appliquer un principe de réciprocité. Exemple : Arcelor n’eût jamais dû pouvoir être conquis par Mittal, dont le capital est verrouillé par une famille.
2) Soumettre toute OPA hostile à l’appréciation préalable de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF). Celle-ci aura pour mission de s’assurer que la fusion résultant de l’OPA n’aura pas pour conséquence probable d’endommager le secteur auquel appartient l’entreprise cible. Exemple : le raid projeté par ENEL sur Suez, dans la mesure où il était financé essentiellement par l’emprunt bancaire, eût conduit assez probablement au dépeçage ultérieur de Suez et au relèvement des tarifs d’électricité aux fins de rembourser l’emprunt.
3) Mettre en discussion au niveau européen le principe d’une interdiction des OPA agressives lancées par des entreprises non-européennes sur des entreprises de la zone euro. Une telle suggestion a été avancée, inter alia, par Michel Rocard en 2006.
Ces dispositions pourraient être conditionnelles à un droit de regard public sur les activités de marché des banques. Ne seraient éligibles à la protection juridique que les banques de marché qui, par exemple, n’accordent pas de crédit aux hedge funds ou n’ont pas d’établissement dans un paradis fiscal ou vendent la dette publique française (sur laquelle elles exercent un monopole) en majorité à des résidents[11].
5 Qu’arrivera-t-il si l’on scinde vraiment les banques ?
Examinons les différentes conséquences possibles d’un GSA en France.
A. Du côté des banques de marché.
Les banques de marché verront leur taille de bilan se réduire de manière significative — ce qui, nous l’avons vu (cf. problème 4) supra) est une bonne nouvelle. Il ne fait guère de doute également que, ne disposant plus des liquidités des déposants, elles devront trouver des liquidités à un coût bien supérieur sur les marchés financiers. Perdront-elles en compétitivité vis-à-vis des autres banques ? C’est possible, à ceci près, comme on l’a souligné, que le marché des opérations de trading n’est pas régi par des règles de concurrence au sens classique. Elles auront simplement moins de moyens à leurs dispositions pour épouser la cyclothymie des marchés financiers. Dans la mesure où l’utilité sociale de ces cycles du levier est amplement sujette à caution, cela ne veut aucunement dire que l’économie française aurait à en pâtir, au contraire.
Certaines banques françaises font valoir, cependant, que, devenues moins compétitives, elles verraient leur notation dégradée. Du coup, prétendent-elles, elles pourraient devoir abandonner leur rôle de spécialistes en valeurs du Trésor et laisser la tenue de marché des emprunts français tomber dans les seules mains des banques américaines. Ce type de scénario, bien que de nature à effrayer certains fonctionnaires du Trésor, est largement imaginaire : le financement des emprunts d’Etat est essentiellement assuré par le système du repo (ou prise en pension à très court terme), indépendant de la notation de la banque qui l’assure.
Les banques de marché françaises cesseront-elles de faire crédit aux grands groupes ? C’est là une question plus pertinente. Pour y répondre, il importe de comprendre que les banques mixtes ont déjà considérablement réduit le volume de leur crédit auprès des grands groupes. C’est la raison pour laquelle certains d’entre eux créent eux-mêmes leur propre banque : ainsi de Volkswagen en Allemagne, de PSA en France (en 2010) qui ont vu toutes deux la licence bancaire accordée à leur banque de financement.
Il est possible, en revanche, que les grands groupes industriels hésitent avant de lancer des opérations financières d’envergure avec de pures banques de marché. Actuellement, en effet, ils savent qu’en cas de difficulté, la banque « mixte » aura le matelas des dépôts pour se « refaire » et la garantie de l’Etat. En revanche, ils savent aussi que de pures banques de marchés sont davantage exposées aux risques des marchés financiers. Or, si les grands groupes industriels aujourd’hui n’acceptent de traiter avec les banques mixtes que parce qu’ils les savent soutenues par les dépôts et le contribuable, s’ils réduisent en conséquence leur demande de crédit pour cause de séparation stricte, cela ne fournira-t-il pas une bonne incitation aux banques de marché pour réaliser des opérations moins risquées ? Bien sûr, cela contraindra les banques françaises à quitter la cour des mégabanques : elles ne pourront plus rivaliser avec Goldman Sachs, qui est une pure banque de marché géante. Mais notre économie a-t-elle besoin de ces mégabanques qui ne financent pas, ou très peu, l’économie réelle ? Et qui lui font courir des risques décrits plus haut ?
Quant aux grands groupes industriels qui refuseraient de se financer auprès de banques de marché jugées trop risquées, ils ont la possibilité de demander la licence bancaire pour leur banque de financement. C’est déjà le cas chez bon nombre d’industriels automobiles : RCI Banque a permis au groupe Renault de déposer du collatéral – des prêts automobiles titrisés – auprès de la BCE pour financer les activités du groupe. De même, nous avons déjà évoqué PSA et, en Allemagne, Volkswagen et Audi. (Ces initiatives témoignent, s’il en était encore besoin, de la défaillance profonde du secteur bancaire « marché » à remplir son rôle, à savoir pourvoir les grands groupes industriels des liquidités dont ceux-ci ont besoin.) Si des industriels ne parvenaient pas à créer une banque adaptée à leurs besoins, il leur resterait la possibilité de se financer auprès des banques commerciales, comme ils le firent pendant les 30 glorieuses. S’en sont-ils si mal tirés ? Il est vrai que le contexte institutionnel a été considérablement bouleversé depuis les Trente Glorieuses : l’abandon des accords de Bretton-Woods a fait apparaître des risques de change auxquels toute banque commerciale devant traiter avec un grande groupe ayant des activités hors de sa zone monétaire de rattachement est aujourd’hui confrontée, et face auquel le seul recours, aujourd’hui, reste le marché (notamment les dérivés de change). De même, le métier traditionnel d’une banque commerciale —à savoir, la « transformation des maturités », i.e., prêter à long terme et emprunter à court terme— requiert aujourd’hui, davantage qu’hier, d’avoir accès aux marchés (de dérivés de taux) pour gérer les risques de taux. Ceci est simplement la conséquence de la puissance démesurée que nos sociétés européennes ont peu à peu accordée aux marchés financiers (aux dépens des activités traditionnelles d’intermédiation bancaire).
En réalité, beaucoup de directeurs financiers des grands groupes industriels ont eu la prudence de conserver des lignes de crédit « traditionnelles », conscients que le « tout marché » n’est nullement la panacée. Peugeot, par exemple, peut toujours effectuer des tirages de cash auprès de BNP. Sur cette question de l’impact d’une séparation sur le crédit aux grands groupes industriels, il importe d’écouter au moins autant ce qu’ont à en dire ces derniers que les cris d’orfraie poussés par le secteur bancaire lui-même. Si l’option consistant à confier à des banques commerciales la gestion des « grands comptes » associés aux grands groupes industriels devait être privilégiée, cela impliquerait que les banques commerciales soient capables de gérer des comptes et des transactions d’instruments financiers pour le compte de leurs clients, et soient autorisées à distribuer des produits d’épargne de tiers indépendants (asset managing). C’est ici qu’une application sans état d’âme de la règle Volcker serait indispensable de manière à s’assurer que les brokers internes des banques commerciales en charge de ces opérations traiteront exclusivement les ordres des clients de la banque. L’alternative serait que les ordres des banques commerciales pour le compte de leurs « grands clients » soient redirigés vers des brokers tiers en charge d’intervenir pour les clients de la banque. Cette seconde option ferait courir le risque à l’ensemble du dispositif de basculer vers une situation où les banques commerciales seraient assujetties aux banques de marché (ce qui pourrait, de nouveau, favoriser à juste titre la défiance des grands groupes industriels à l’égard de l’ensemble du secteur bancaire, et renforcer l’intérêt de solutions de financement « maison » au sein de chaque grand groupe). La première option court le risque symétrique de transformer les banques commerciales en nouvelles banques mixtes si le partage entre activités de trading pour compte propre et activités pour tiers n’était pas établi suffisamment rigoureusement.
Il est également envisageable (et c’est le plus vraisemblable) que nos grands groupes choisiraient de garder des relations commerciales avec les deux types de banque —chacune étant indispensable dans sa spécialité. Enfin, si de trop grandes difficultés devaient être rencontrées à ce sujet (ce qui n’a rien de nécessaire puisque d’autres solutions existent), la puissance publique pourrait toujours envisager d’utiliser l’outil d’une véritable Banque Publique d’Investissement, susceptible d’intervenir non seulement auprès des PME (à la manière d’Oseo) mais auprès des grands groupes industriels eux-mêmes. Un exemple révélateur, à cet égard : c’est l’Etat qui a mis en place le préfinancement du paquebot géant commandé à Saint Nazaire. Alors que cette tâche est du ressort normal de nos grandes banques dites « universelles ». Pourquoi cette démission ? Parce ces dernières, en réalité, sont devenues d’immenses banques de trading financier qui maquillent le trading pour compte propre derrière une grande partie de leurs activités de couverture et de tenue de marché. Si une véritable scission des banques devait pénaliser nos grands groupes industriels (parce que les banques de marché ne feront pas davantage leur véritable métier que les banques mixtes actuelles), ne serait-ce pas à la Banque Publique d’Investissement de jouer le rôle véritable de banque de marché au service des grands groupes industriels français ?
Quoi qu’il en soit, ces difficultés, pour réelles qu’elles soient, admettent des solutions. Et l’on ne voit aucunement pourquoi elles constitueraient des raisons suffisantes, par conséquent, pour ne pas engager la scission des banques.
B. Du côté des banques commerciales.
Les banques commerciales recommenceront à faire leur métier de crédit et de dépôt dans la mesure où leur pouvoir de création monétaire ne sera plus aimanté par les activités de marché très rentables à court terme (mais très risquées).
Nous l’avons déjà signalé, l’abandon des accords de Bretton-Woods a fait apparaître des risques de change auxquels toute banque commerciale devant traiter avec un client ayant des activités hors de sa zone monétaire de rattachement est aujourd’hui confrontée, et face auquel le seul recours, aujourd’hui, reste le marché (notamment les dérivés de change). De même, le métier traditionnel d’une banque commerciale —à savoir, la « transformation des maturités », i.e., prêter à long terme et emprunter à court terme— requiert aujourd’hui, davantage qu’hier, d’avoir accès aux marchés (de dérivés de taux) pour gérer les risques de taux.
Aussi le GSA d’aujourd’hui ne peut-il pas être la réplication du GSA de Roosevelt, adopté en 1933. Néanmoins, les aménagements nécessaires au contexte monétaire et financier contemporain sont relativement simples et peu nombreux. 1) Puisque les banques commerciales ne pourront pas se passer de l’accès aux marchés financiers pour gérer les risques de taux et de change qu’elles porteront du fait de leurs transactions commerciales, il n’est pas question de leur interdire cet accès aux marchés. En revanche, c’est au régulateur de définir très précisément la liste, restreinte, des produits dérivés de couverture de taux et de change que les banques commerciales seront autorisées à utiliser. Il n’est pas question, dans le cadre de cette note, de proposer une telle liste. Nous le ferons dans une note suivante. Il est clair, cependant, que l’essentiel des produits de titrisation devront leur être interdits. 2) La loi devra également interdire au département d’une banque commerciale chargé de la couverture des risques de change et de taux de dégager des bénéfices. Puisqu’il doit s’agir uniquement d’opérations de couverture, elles ne doivent pas générer de pertes mais n’ont aucune raison de générer du profit. Il conviendra donc que la licence bancaire s’accompagne d’une législation spécifique obligeant tout profit dégagé par le département de couverture des risques à être réinvesti dans l’entreprise. C’est une intrusion dans le business model de la banque, certes, mais puisqu’il s’agit de banques commerciales (et non de banques de marché), il nous paraît parfaitement légitime d’exiger que seules ses opérations commerciales soient lucratives. 3) Enfin, les banques mixtes sont actuellement tenues par un « fiduciary duty », i.e., une obligation de conseil, réservée aux clients particuliers et aux PME. En pratique, cette obligation autorise un client qui estimerait avoir été lésé par ladite banque à porter plainte en faisant valoir l’asymétrie de compétence et d’information qui le distingue de la banque commerciale. Il conviendrait d’étendre l’obligation de conseil à tous les clients d’une banque commerciale. Cela permettrait en particulier aux collectivités locales d’être couvertes contre le risque de se retrouver victimes de stratégies financières sophistiquées dont la logique leur aurait « échappé », et qui se révéleraient susceptibles d’entrainer des pertes substantielles aux dépens de la collectivité. Qu’on se rappelle, par exemple, que les créances actuelles de Dexia représentent encore aujourd’hui environ 90 milliards d’euros, dus en grande partie par des collectivités locales à cours de liquidités ou non solvables… Etendre cette clause d’obligation de conseil à tous les clients d’une banque commerciale est une troisième manière de s’assurer que son accès au marché sera strictement réduit à ses besoins de couverture. Si, en effet, l’opération qu’elle a vendue à un client se révélait perdante, il ne lui serait plus possible d’infliger la perte à son client au motif que « les marchés sont défavorables ». Ce serait à elle d’encaisser la perte afférente comme pour toute erreur de gestion.
Ces trois aménagements devraient permettre aux banques commerciales de ne pas « glisser » vers une nouvelle forme de mixité, en cantonnant de manière très stricte le type d’accès aux marchés auquel elles seront autorisées afin de réaliser leur métier : les produits disponibles seront eux-mêmes contrôlés, le marché ne pourra pas devenir source de profit et les clients de la banque ne pourront pas être victimes des aléas des marchés.
Une spécificité française exige, ici, d’être mentionnée : une grande partie de l’épargne échapperait, en effet, au bilan des banques commerciales françaises, pour aller se placer dans l’assurance-vie et le livret A. Les banques françaises afficheraient de ce fait un ratio emplois/ressources supérieur à 100 %, alors qu’il n’est que de 76 % chez HSBC et de 80 % chez UBS. Après scission, beaucoup de banques commerciales seraient par conséquent obligées de faire appel aux marchés pour compléter leurs financements. Si les activités bancaires étaient séparées, les banques commerciales seraient « contraintes » de recréer une activité d’émission sur les marchés, soit de se faire financer par la BFI filialisée (i.e., par la filiale « marché »). Cette menace est, elle aussi, en grande partie imaginaire : les grandes banques françaises ne sont nullement absentes du marché de l’assurance-vie.
Les premiers groupes d’assurance-vie en France sont (par montant de cotisation en 2009 et en % du marché français)[12] :
CNP (dont Écureuil Vie) : 21,4 milliards d’euros de cotisations en 2009 (17,9 % du marché français)
Crédit Agricole 16,2 milliards (13,5 %)
BNP Paribas Assurance : 11,1 milliards (9,3 %)
Generali France : 10,5 milliards (8,7 %)
Axa France : 9,6 milliards (8 %)
Autres : 42,6 % du marché
Quant au livret A, depuis le 1er janvier 2009, toutes les banques peuvent distribuer le livret A, faisant perdre l’exclusivité de distribution aux opérateurs historiques que sont la Banque postale, la Caisse d’épargne et le Crédit mutuel (livret bleu). Cela veut donc simplement dire qu’après séparation, les banques commerciales françaises seront soumises au jeu de la concurrence pour attirer l’épargne (très abondante) des Français. Celle-ci représente environ 200 milliards d’euros chaque année. Il est à prévoir que les marges des banques commerciales seront notablement plus faibles que celles des banques mixtes actuelles. Mais, dans une économie française à la croissance atone, les rendements sur fonds propres affichés par les banques mixtes (9% pour BNP-Paribas en 2011) ne s’expliquent que par des prises de risque déraisonnables, « assurées » par la garantie de l’Etat.
Enfin, si les banques commerciales françaises devaient se retrouver dans l’incapacité d’offrir des services suffisamment attractifs pour concurrencer le livret A et l’assurance-vie, de telle sorte que cela réduise leurs marges au point de menacer leur aptitude à créer de la monnaie pour accorder des crédits à l’économie, il serait temps alors de considérer le coût implicite des diverses mesures de défiscalisation qui ont été accordées au livret A et à l’assurance-vie et de les remettre en cause.
Redisons-le, cependant : une banque commerciale n’a pas besoin de dépôt pour accorder des crédits. Elle peut parfaitement accomplir sa fonction —qui est d’accorder des crédits à l’économie réelle— à partir de ses fonds propres. Il lui faut, pour ce faire, respecter un certain nombre de ratios (définis actuellement par les règles prudentielles de Bâle II, qui, en principe, devraient être remplacées par les règles plus strictes de Bâle III[13]) qui l’obligent à se refinancer auprès de la BCE toutes les fois qu’elles crèent de la monnaie —refinancement qui a un coût (très faible depuis le LTRO de Maro Draghi). Bien sûr, plus elle dispose déjà de liquidité, moins il lui est nécessaire de se refinancer, et moins il lui est coûteux de créer de la monnaie. Disposer de liquidités abondantes est donc simplement (pour les banques mixtes actuelles comme pour les banques commerciales qui résulteraient d’un GSA) une facilité, qui permet d’augmenter les revenus de la banque (et les dividendes de ses actionnaires). Ce n’est pas une condition sine qua non pour pouvoir créer de la monnaie.
Quant aux règles prudentielles de Bâle III (tant décriées par le secteur bancaire[14]), loin de favoriser la désintermédiation du financement de l’économie française, pourrait (jointe à un GSA) provoquer une réintermédiation : en les contraignant à réduire leurs opérations des banques de marché les plus risquées, ces règles pourraient contribuer à favoriser la confiance des grands groupes industriels à l’égard des banques de marché.
C. Et le chômage ?
L’argument mis en avant par M. Moscovici pour justifier un projet de loi qui ne « sépare » pas les banques mixtes françaises est qu’une authentique scission créerait du chômage en France. Un tel argument reconnaît donc que l’actuel projet de loi de scinde pas. En outre, il est bien fragile, pour deux raisons :
– scinder les banques mixtes actuelles devrait être créateur net d’emplois. D’une manière générale, une fusion, jusqu’à preuve du contraire, entraine toujours une réduction des effectifs : l’opération contraire devrait donc, en général, induire une hausse des effectifs… Ensuite parce qu’en l’espèce, la scission contraindra les banques de marché et les banques commerciales à réorganiser leurs activités : les premières devront recruter du personnel afin de gérer les relations commerciales avec les grands groupes industriels (au lieu de se contenter de maquiller des opérations pour compte propre derrière du market making) ; les secondes devront recruter du personnel pour gérer les opérations de marché indispensables à leurs activités et seront contraintes de se livrer de nouveau à l’analyse rigoureuse des conditions de solvabilité de leurs emprunteurs (ce dont elles se croyaient « délivrées » grâce à la titrisation).
– Surtout, la première menace sur l’emploi des salariés bancaires, c’est la faillite bancaire. L’exemple des 9.000 emplois supprimés chez RBS, en 2009, en témoigne. Et, nous l’avons suffisamment répété, la meilleure protection contre la faillite de l’ensemble d’un groupe consiste à le scinder de manière que le département « commercial » ne soit pas affecté par la possible faillite du département « marché ».
Un GSA est, aujourd’hui, probablement le plus sûr moyen de sécuriser les emplois bancaires des départements commerciaux des banques. Quant à ceux des départements « marché », ils sont actuellement « sécurisés » via la garantie de l’Etat français, i.e., en faisant courir à l’ensemble des contribuables français le risque de la socialisation des pertes bancaires[15]. Est-ce exactement le type de sécurité de l’emploi que nous voulons offrir, en France, aux salariés des banques de marché ?
Auteur : Gael Giraud (CNRS, Centre d’Economie de la Sorbonne, Ecole d’Economie de Paris, Labex REFI (Régulation Financière)
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[1] Collateralized Debt Obligation.
[2] Commercial Mortgage Back Securities.
[3] C’est cette foi dans les vertus de la titrisation qui a paru justifier le passage d’une économie « continentale » fondée sur l’intermédiation bancaire à une économie « anglo-saxone », fondée sur la financiarisation — foi que dénonçait déjà Michel Albert (Capitalisme contre capitalisme, 1990).
[4] Cf. Vingt Propositions, op. cit. Prop. 10 et 11
[5] La note MOC/2012/11681 de la BCE (« A purchase programme for short-term claims on non-financial corporations« , 12/11/2012) reconnaît explicitement l’insuffisance du crédit accordé aux PME en zone euro par le secteur bancaire privé et recommande de trouver d’autres acteurs ayant une bonne connaissance du tissu productif capables de financer l’économie moyennant un mandat octroyé par la banque centrale. Celui qui est envisagé dans cette note n’est autre que… la COFACE !
[6] Cf. Illusion financière, Ed. de l’Atelier, chap. 3.
[7] http://www.lesmotsontunsens.com/prets-aux-banques-etat-perd-12-milliards-euros-mauvaise-gestion-5703
[9] Ceci est évidemment dû au phénomène des prophéties auto-réalisatrices qui structurent l’ensemble des activités de marchés financiers : si beaucoup d’investisseurs croient que beaucoup d’entre eux pensent que les prix vont monter, les prix montent.
[10] Cf. Vingt Propositions, op. cit. Proposition 18.
[11] Rappelons qu’actuellement 66% de la dette publique française sont détenus par des non-résidents, ce qui contribue à fragiliser la politique française de financement, cf. G. Giraud « Renationaliser la dette publique française – pourquoi et comment », policy paper, Labex REFI, nov. 2012.
[12] Facts and Figures, baromètre de l’assurance vie, 12 mars 2011.
[13] A ceci près que les banques françaises font actuellement pression sur le gouvernement et le régulateur pour être dispensées de devoir appliquer Bâle III au motif que le renforcement des règles prudentielles nuirait à leur compétitivité. Si l’on a compris, cependant, que le « jeu financier » n’est pas construit sur une logique concurrentielle, on aura compris la faiblesse de cet argument.
[14] Ces règles renforcent notamment les ratios de fonds propres et de liquidité que doivent vérifier les banques avant d’accorder des crédits.
[15] Rappelons que celles-ci peuvent être colossales : les pertes à venir de Dexia sont actuellement évaluées à 90 milliards d’euros (à ajouter aux 12 milliards dont l’Etat français s’est déjà acquitté en 2001-2012).
4 réponses à “Séparation bancaire (6) – Les objections du secteur bancaire.”
LA finance de Madoff à Yunus – ma modeste contribution au débat au bout du lien : http://www.finyear.com/LA-finance-de-Madoff-a-Yunus_a24908.html
réaction / le point 4 : opa – du fait de la garantie implicite de l’état, lui octroyer une golden share permettant, en cas d’OPA, de verrouiller le CA – ou alors de mettre fin à la garantie de l’état / dépôts en cas de succès d’une opa que l’état n’aurait pas approuvé, avec des cas compliqués comme BNP ou la France, la Belgique et le Luxembourg sont et garants, et seraient actionnaires.
Bonjour Alain
Tout en exprimant à nouveau ma gratitude pour ce décryptage… pour cet authentique travail d’educ.pop. (Quel choc… de découvrir la justification théorique de cette évidence: la liberté totale de circulation des capitaux nous prive des avantages attendus du libre échange, tout en nous laissant les inconvénients d’être un territoire de « libre prédation »!), je suis troublé par la proposition suivante de G. Giraud:
« [émettre] de la dette rachetée par la BCE […] constituerait une violation des Traités européens s’il s’agissait d’une banque publique. »
Cela me semble incohérent avec le 2ième alinéa de l’article 123 du T. de Lisbonne ?
Existe-t-il une lecture plus restrictive que celle que tu fais, et qui a inspiré, je crois, les propositions de la FNH ?
http://financerlavenir.fnh.org/propositions/financer-lavenir-proposition-et-debat-sur-linnovation-financiere/
@R. Zaharia
merci pour votre question. Justement, l’article 123 de Lisbonne fait interdiction à la BCE d’acheter de la dette souveraine sur le marché primaire (i.e., le marché où a lieu l’adjudication opérée par le Trésor du pays concerné). Ce qu’ont fait Trichet puis Draghi, jusqu’à présent, a consisté uniquement à procéder à des rachats de dette souveraine sur le marché secondaire (c-a-d auprès des banques qui, de cette façon, gardent le monopole d’achat de la dette publique). Une banque publique qui émettrait des obligations, émettrait de la dette publique (qui viendrait s’ajouter à la dette publique de l’Etat). La BCE n’aurait alors pas le droit de l’acheter (précisément à cause du 123). C’est pour contourner cet interdit que le statut juridique de la SFEF n’a pas été décidé tant qu’elle était en action : pour qu’elle puisse émettre de la dette achetée par la BCE, et fournir en liquidité et/ou en collatéral garanti par l’Etat les banques françaises à l’agonie. Le non-statut de la SFEF pendant un peu plus d’un an est l’une de ces « inventions » juridiques dont l’Etat est parfois capable. Beaucoup d’industriels seraient ravis de bénéficier de ce type de créativité toutes les fois qu’ils traversent une crise de liquidité… gG