L’optimisme peut-il constituer une valeur pro-environnementale ? Billet invité – Jacques Lecomte

Parmi les militants environnementaux, certains se déclarent plutôt pessimistes, d’autres choisissent plutôt l’optimisme. Que nous dit la psychologie scientifique sur ce sujet ? L’optimisme présente globalement plutôt des avantages, mais peut parfois générer des comportements contre-productifs. Ceci m’a amené à créer il y a quelques années le néologisme optiréalisme. J’aimerais exprimer  ici pourquoi.

Il y a énormément d’études scientifiques sur l’optimisme-pessimisme, et diverses théories interprétatives. Le sujet est complexe et en voici un résumé succinct. Mon propos tient ici en quatre points : 1/ la dualité optimisme-pessimisme : un regard sur le futur et sur le présent ; 2/ les impacts de l’optimisme-pessimisme 3/ les limites de l’optimisme et la pertinence d’un optimisme réaliste 4/ les implications pour la communication et l’engagement environnementaux.

La dualité optimisme-pessimisme : un regard sur le futur et sur le présent

Les deux principales théories sont celles de Carver et Scheier (qui concerne le regard sur le futur) et de Seligman et Peterson (qui concerne l’interprétation du présent). Les uns et les autres ont respectivement élaboré une échelle d’optimisme-pessimisme, à partir d’un questionnaire (Life Orientation Test et Attributional style questionnaire).

L’optimisme comme regard porté sur le futur

Pour Carver et Scheier, l’optimisme est « l’attente que les résultats d’une personne seront généralement positifs. »[1]. Selon eux, c’est une variable de personnalité assez stable. En d’autres termes, il y a des individus optimistes et d’autres pessimistes, selon un continuum. La différence entre les deux se constate dans diverses circonstances, en particulier face à l’adversité. Un optimiste a tendance à se centrer sur la résolution des problèmes afin de trouver des solutions. Le pessimiste a plutôt tendance à adopter une approche plus passive et fataliste. Par ailleurs, les optimistes adaptent leur niveau d’engagement à la priorité perçue. Face aux difficultés, si l’enjeu leur semble important, ils persévèrent, si l’enjeu leur semble faible, ils diminuent leur engagement.

L’optimisme comme interprétation du présent

Pour Seligman et Peterson, en revanche, ce ne sont pas nos attentes de l’avenir qui jouent le rôle principal, mais notre interprétation du présent, même si évidemment cela comporte des implications pour l’avenir[2]. Cette interprétation concerne trois dimensions : l’internalité / externalité, la stabilité / instabilité et la globalité / spécificité. L’explication optimiste d’un événement positif consiste à s’en attribuer personnellement la responsabilité (internalité), à penser qu’il est fort probable que cet état de fait soit durable (stabilité) et que de multiples facettes de la vie sont affectées par cet événement (globalité). Le pessimiste a tendance à penser le contraire. Et tout cela est inversé face aux événements négatifs.

Impacts de l’optimisme-pessimisme

Diverses études montrent les impacts globalement positifs de l’optimisme.

Dans les comportements

Comme je viens de le signaler, les optimistes consacrent plus d’efforts et sont plus persévérants dans leurs engagements. Ce qui a plusieurs conséquences :

En santé physique[3]

L’optimisme réduirait la probabilité d’occurrence des maladies, ainsi que leur gravité. Il accélérerait la vitesse de récupération et diminuerait les risques de rechute. Les personnes les plus optimistes bénéficient d’une durée de vie plus longue, particulièrement s’il s’agit de personnes âgées.

En santé mentale[4]

L’optimisme est inversement corrélé à la dépression et à l’anxiété ; il augmente les performances sportives et les résultats scolaires, ainsi que la satisfaction conjugale,

Les limites de l’optimisme et la pertinence d’un optimisme réaliste

Tout ce qui précède doit être nuancé, pour au moins trois raisons[5].

  • Les résultats constatés sont des tendances statistiques, qui ne peuvent donc pas être systématisées. Par exemple, pour certaines personnes, c’est plutôt le pessimisme qui les pousse à l’action.
  • Par ailleurs, l’opposition pessimisme-optimisme est parfois artificielle. L’idée initialement défendue par Carver et Scheier d’une personnalité stable (optimiste ou pessimiste) est aujourd’hui partiellement remise en question. Diverses études ont montré que l’on peut être à la fois optimiste et pessimiste. Cela dépend notamment de la vision temporelle (à court, moyen ou long terme) et des thèmes abordés (par exemple, on peut être optimiste sur sa santé personnelle et pessimiste sur l’environnement). Et l’on peut évoluer au cours de l’existence, vers une orientation plus optimiste ou pessimiste.
  • Une certaine forme d’optimisme est néfaste, et une certaine forme de pessimisme est bénéfique.

Optimisme néfaste : Les chercheurs qualifient d’optimisme irréaliste la tendance à surestimer notre aptitude à contrôler les événements. Beaucoup d’études[6] ont montré que la majeure partie d’entre nous manifeste ce type de biais : nous nous estimons meilleur que la moyenne des gens pour la conduite routière, l’éducation parentale, les compétences professionnelles, etc. Cela a des facettes positives (en facilitant une bonne santé mentale), mais également négatives (en nous cachant les difficultés d’une situation). Diverses situations problématiques peuvent être générées par cette illusion, par exemple le jeu pathologique et même les guerres.

Pessimisme bénéfique : on parle dans ce cas de pessimisme défensif. Cela a surtout été analysé avec des étudiants en période d’examen. Certains s’inquiètent d’échouer, ce qui les incite à réviser encore plus leur matière et à obtenir finalement une bonne note. Ainsi, certaines personnes, plutôt optimistes en général, deviennent temporairement plus pessimistes face à un problème particulier, ce qui les amène à envisager les risques d’échec et donc à éviter de commettre des erreurs.

Implications pour la communication et l’engagement environnementaux

Différentes études appliquées à l’environnement confirment cette pertinence d’un optimisme réaliste. En voici trois, parmi d’autres :

Selon une étude, les personnes très préoccupées par l’environnement, mais désillusionnées, sont les plus désireuses de s’engager pour l’environnement, mais ne manifestent pas plus de comportements dans ce sens que les autres[7].

Selon une autre étude, la préoccupation environnementale incite à adopter des comportements pro-environnementaux, mais seulement chez les personnes ayant un niveau élevé d’optimisme[8].

Une autre étude distingue entre l’espoir constructif (conscience des problèmes liés au changement climatique + conviction que l’on peut agir) et l’espoir basé sur le déni[9]. L’adhésion à l’espoir constructif est positivement corrélée aux comportements pro-environnementaux, tandis que l’adhésion à l’espoir lié au déni y est négativement corrélée.

Plusieurs chercheurs ont évolué à propos de leur regard sur l’optimisme-pessimisme. Le cas le plus remarquable me semble être le couple formé par Nancy Knowlton et Jeremy Jackson. Ces deux biologistes marins ont passé plusieurs décennies à donner des cours sur le déclin de la biodiversité des océans, au point qu’ils étaient appelés « Professeurs catastrophe ». Mais dans un article d’opinion publié dans Nature intitulé « Une vision catastrophiste ne sauvera pas le monde », Nancy Knowlton écrit : « Nous avons rapidement pris conscience de la folie de nous focaliser autant sur les problèmes – nous pouvions voir cela sur le visage de nos étudiants. Il y avait un autre chemin. Après tout, dans les facultés de médecine, on se focalise sur la préservation de la vie, pas sur la description de la mort. »[10] Cette prise de conscience les a conduits à diverses initiatives : des rencontres universitaires appelées « Au-delà des nécrologies » (Beyond the obituar­ies), où sont présentées des réussites dans la conservation des océans, puis la création des sites OceanOptimism[11] et EarthOptimism[12]. De nombreux jeunes lui ont dit, ainsi qu’à ses collègues, que les messages d’optimisme les stimulaient et les inspiraient. Certains ont alors reconnu qu’ils avaient failli quitter cet univers en raison du caractère démoralisant des cours qu’ils suivaient auparavant.

Tout ceci n’empêche évidemment pas ce couple de rester très lucide sur les multiples menaces qui pèsent sur notre Terre.

Conclusion

Pour ma part, comme je l’ai indiqué en préambule, j’ai opté pour le néologisme optiréalisme. J’ai d’ailleurs créé un site appelé Chroniques optiréalistes.

PS : J’ai souvent entendu citer cette phrase de Gramsci dans les débats de ce type : « Pessimisme de l’intelligence, optimisme de la volonté. ». En fait, Gramsci l’a empruntée à Romain Rolland.

Et on peut lui juxtaposer (lui opposer ?) cette citation d’Alain : « Le pessimisme est d’humeur, l’optimisme est de volonté. » Alain (1928). Propos sur le bonheur, Gallimard, p. 233.

Jacques Lecomte, Docteur en psychologie

Notes

[1] Carver, C. S., & Scheier, M. F. (2014). Dispositional optimism. Trends in Cognitive Sciences, 18 (6), 293-299 (p. 295). Voir aussi Carver, C. S., Scheier, M. F., & Segerstrom, S. C. (2010). Optimism. Clinical psychology review, 30 (7), 879-889.
[2] Peterson, C., & Seligman, M. E. (1987). Explanatory style and illness. Journal of personality, 55(2), 237-265. Seligman, M. E. (2012). La force de l’optimisme, Pocket.
[3] Verlhiac, J. F., & Meyer, T. (2014). Entre Candide et Cassandre : la nécessaire complémentarité de l’optimisme et du pessimisme, in J. Lecomte (dir.). Introduction à la psychologie positive, Dunod, 33-46 (p. 41).
[4] Martin-Krumm, C. (2012). L’optimisme : une analyse synthétique, Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 93, 103-133 (p. 110).
[5] Verlhiac & Meyer, (2014), op. cit.
[6] Voir notamment la synthèse de Makridakis, S., & Moleskis, A. (2015). The costs and benefits of positive illusions. Frontiers in psychology, 6, 859, 1-11.
[7] Grund, J., & Brock, A. (2019). Why we should empty Pandora’s box to create a sustainable future: Hope, sustainability and its implications for education. Sustainability, 11 (3), 893.
[8] Landry N, Gifford R, Milfont TL, Weeks A, Arnocky S. (2018). Learned help­lessness moderates the relationship between environmental concern and behavior, Journal of Environmental Psychology, 55, 18-22.
[9] Ojala, M. (2012). Hope and climate change: the importance of hope for environmental engagement among young people, Environmental Education Research, 18 (5), 625-642.
[10] Knowlton, N. (2017). Doom and gloom won’t save the world. Nature, 544, 271.
[11] http://www.oceanoptimism.org/
[12] https://earthoptimism.si.edu/

2 réponses à “L’optimisme peut-il constituer une valeur pro-environnementale ? Billet invité – Jacques Lecomte”

  1. Avatar de Arnaud ROTTY
    Arnaud ROTTY

    Vouloir sauver le monde c’est une belle idée mais rester très humble et très modeste est pour moi le meilleur moyen de ne pas être touché par la colère ou le désespoir. En fait on ne change jamais le monde, on change son monde à soi, autour de soi, à son échelle. Faire ce qu’on peut c’est déjà beaucoup.

    1. Avatar de Alain Grandjean
      Alain Grandjean

      bonjour Arnaud . je suis bien d’accord ; chacun de nous agit sur plusieurs niveaux qu’il le veuille ou non : soi, sa famille, ses amis, ses cercles de travail ou d’échanges extraprofessionnels et parfois un peu au-delà ; et chacun de nous participe modestement à « changer le monde ». Le monde change par les actions des uns et des autres mais aussi parce que les idées qu’on s’en fait changent. et l’action sur les représentations n’est pas inutile.
      bien à vous. Alain