Le Monde : Pour une loi de transition énergétique ambitieuse – Mai 2014

 La loi de transition énergétique doit être finalisée dans les prochains jours.

Il est important de réaffirmer quelques principes forts qui pourraient en faire un élément déterminant de la politique énergétique française des décennies à venir.ponton-transition

Tout d’abord, tous les acteurs ont besoin d’une trajectoire de référence qui oriente leurs décisions. Le « Débat National sur la transition énergétique » en a étudié quatre qui ont permis de peindre un champ des possibles. Il appartient maintenant au gouvernement d’en proposer une, tout en préservant des éléments de flexibilité.

Ensuite, il est impératif pour la France, comme pour l’Europe, de réduire son usage et sa dépendance aux énergies fossiles majoritairement importées. Les enjeux en sont majeurs : réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la facture énergétique (60 milliards pour la France, de l’ordre du déficit commercial), impulsion de projets industriels innovants et exportables, création d’emplois. Cela passe d’abord par une politique volontariste d’efficacité énergétique. Il faut changer d’échelle, accélérer le rythme dans la rénovation énergétique du bâtiment, tout en agissant sur la précarité énergétique. Le fioul doit être remplacé par de la chaleur renouvelable ou de l’électricité bas carbone avec pompe à chaleur.

ÉNERGIES RENOUVELABLES

Troisièmement, les investissements à réaliser dans le domaine de la maîtrise de la demande, dont la vertu est d’économiser des dépenses de fonctionnement doivent faire l’objet de dispositifs de financement spécifiques à taux bas et à durée longue pour être rendus compétitifs. Leurs bénéfices en termes d’émissions de CO2 évitées, de baisse du déficit commercial et de création d’emplois justifient ces dispositifs. La conférence bancaire et financière prévue au mois de juin doit impulser des outils nouveaux de financement et conduire à la mobilisation du secteur bancaire et financier dans la transition énergétique.

Quatrièmement, les énergies renouvelables doivent être soutenues de manière prévisible et adaptée. Certains dispositifs de soutien ont été mal calibrés – comme le tarif de rachat pour l’électricité photovoltaïque dans les années 2008-2010. Ce n’est plus le cas.

Ce serait une erreur d’abandonner ces sources d’énergie proches des territoires et des citoyens : certaines d’entre elles sont proches de la compétitivité et présentent de nombreux atouts dont celui d’avoir des coûts d’exploitation et une complexité d’installation et de démantèlement très faibles.

Pour le photovoltaïque par exemple, le prix des modules a été divisé par cinq depuis 2008, celui des systèmes par trois, et il continue de baisser. Les critiques récurrentes des effets de l’éolien et du solaire sur le marché électrique européen font oublier les deux principaux problèmes actuels du système électrique. Premièrement, la surcapacité : surcapacité du charbon au niveau mondial entraînant la baisse relative de son prix par rapport au gaz, surcapacité des quotas de CO2 et surcapacité de moyens de production électrique de base. Deuxièmement, l’architecture du marché qui permet l’optimisation d’un parc existant mais pas celle de son renouvellement ou de son développement .

Par ailleurs, au plan physique, il est maintenant acquis qu’avec une bonne organisation des réseaux au plan national et européen, ceux-ci pourraient gérer sans difficulté majeure et sans investissement excessif une part d’énergies variables dans le mix électrique d’environ 30% et qu’il est donc possible de faire croître leur part actuelle.

UN CADRE ÉNERGÉTIQUE EUROPÉEN

Enfin, parallèlement, il faut prendre à bras le corps la question de l’évolution du parc nucléaire. Toutes les tranches nucléaires ne seront pas prolongées par l’ASN au-delà de 40 ans et encore moins de 50 ans. Il n’est donc pas raisonnable d’envisager un grand carénage pour tout le parc.

Il ne l’est pas plus d’envisager un démantèlement sur une durée trop courte (quelle qu’en soit la date de démarrage). Tant pour des raisons sociales qu’industrielles et financières, il faut planifier cet effort sur la durée et laisser ainsi le temps aux options alternatives d’arriver à maturité. L’AIE affirme qu’en 2016 les renouvelables produiront dans le monde deux fois plus d’électricité que le nucléaire, et cet écart s’accentuera ensuite.  Pouvons-nous ignorer superbement ce mouvement mondial, ou devons-nous aider nos industries à s’y insérer ?

La loi de transition énergétique peut nous donner un nouveau cap et mobiliser nos concitoyens sur un projet positif et porteur. Elle doit s’insérer dans un cadre énergétique européen à revoir en profondeur. L’architecture actuelle manque de cohérence et privilégie le jeu de la concurrence sur la programmation des investissements, les logiques industrielles et la coordination des politiques nationales. Elle est source de dysfonctionnements majeurs et de surcoûts incompréhensibles, bien identifiés par les observateurs, et dont certains ont été évoqués ci-dessus.

Il est en particulier urgent de faire émerger un prix du CO2 suffisant et de revoir l’architecture du marché de l’électricité. L’ensemble des réformes à faire est l’un des enjeux clefs de notre politique énergétique, elle-même déterminante pour notre économie et tout simplement notre mode de vie.

 Les signataires

 Les auteurs de cette tribunes sont: Patrick Criqui (CNRS), Gilles Darmois (consultant indépendant), Alain Grandjean (Carbone 4), Nicolas Hulot (Fondation Nicolas Hulot), Nicolas Ott et Christophe Schramm (anciens conseillers du ministre de l’énergie) et Corentin Sivy (expert énergie).

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