Le président du comité d’experts chargé d’envisager un autre modèle de développement trace le chemin permettant d’y arriver.
Alain Grandjean préside le comité d’experts chargé d’éclairer le débat national sur la transition énergétique lancé jeudi. Il vient de cosigner, avec Corentin Sivy, Benjamin Thibault et Alexandre Wagner, une note de la fondation Terra Nova (proche du PS) prônant des financements à très faible taux d’intérêt pour favoriser l’essor des énergies renouvelables.
Pourquoi un tel débat ?
Déjà, pour clarifier les enjeux. Notre modèle énergétique émet bien trop de gaz à effet de serre. Il est incompatible avec la stabilité du climat. Pour y remédier, il y a deux grands leviers. D’abord, réduire la consommation d’énergie. C’est un triple enjeu, économique, social et écologique. Cela permettra de faire baisser notre déficit commercial, de prémunir ménages et entreprises de la flambée du prix de l’énergie et de diminuer nos émissions. Ensuite, il faut décarboner l’énergie : réduire la part du pétrole, du gaz et du charbon.
Vaste chantier…
Cela ne se fera pas en sifflotant, car l’énergie est au cœur de notre société. La transition énergétique touche tous les domaines, agriculture, industrie, transport, chauffage… Par exemple, pour décarboner le transport, il faut aussi s’attaquer à la mobilité au sens large et à l’urbanisme. La transition est une politique d’ensemble. Il n’y a pas d’outil unique, miracle.
En quoi est-ce aussi une chance ?
Cela permettra de revitaliser les territoires. Les gens en ont assez de dépendre des grandes structures lointaines, technocratiques, centralisées. Ils veulent un minimum d’autonomie énergétique. Il faut valoriser les initiatives locales de ce type. Décentraliser la production via les énergies renouvelables créera aussi des emplois, car il y aura un fort besoin de main-d’œuvre dans l’exploitation et la maintenance.
Avez-vous un ordre de grandeur ?
Difficile de donner des chiffres précis. Mais on sait que chaque mégawatt [MW] de solaire photovoltaïque installé permet de créer 9 emplois, en grande majorité non délocalisables. Un MW équivaut à 3,3 emplois nouveaux dans l’éolien et à seulement 1 dans le nucléaire. Grâce à la transition énergétique, l’Allemagne a créé plus de 400 000 emplois rien que dans l’énergie verte et en a «uniquement» détruit 40 000. Le potentiel de travail non délocalisable est aussi immense dans la rénovation thermique des logements.
Mais cette transition coûte cher…
C’est vrai, il y a beaucoup d’argent à débourser tout de suite. Mais on sécurise l’avenir en passant à un modèle aux coûts stabilisés, puisqu’il ne faudra plus payer un combustible dont les prix vont grimper. Pour sauver les banques de la faillite, on a contourné les traités européens et mis l’argent sur la table illico, 1 000 milliards d’euros… En France, rénover les logements coûtera 10 à 15 milliards par an. Ajouter de nouvelles capacités d’énergies renouvelables, entre 2 et 6 milliards par an. Et cet argent ira vraiment dans l’économie.
Comment faire en sorte que la facture du consommateur ne soit pas trop salée ?
Petite mise au point préalable. On croit trop, en France, que l’énergie peut rester peu chère. Surtout l’électricité, grâce au nucléaire. C’est de moins en moins vrai. Notamment parce que le nucléaire de troisième génération coûtera bien plus. Il faudra accepter de payer l’énergie plus cher. Mais ce sera compensé par une baisse de la consommation. Les Allemands l’ont intégré et ont énormément économisé : là-bas, un ménage consomme jusqu’à 25% de moins d’électricité que chez nous, hors chauffage. En plus, nous allons bénéficier de l’effort qu’ils ont fait pendant dix ans : ils ont lancé la machine et permis de faire baisser le coût des renouvelables. Il y a cinq ans, le solaire photovoltaïque coûtait 600 euros du MWh, aujourd’hui on peut en faire à 100 euros, pas loin du coût du nucléaire de troisième génération. Ceci dit, il faut un outil permettant de financer les énergies renouvelables à moindre coût et, in fine, limiter la hausse de la facture du consommateur. C’est ce que propose notre étude, dont le mécanisme peut aussi s’appliquer à la rénovation des bâtiments.
Que préconisez-vous ?
Pour favoriser les énergies renouvelables et les économies d’énergie, il faut réduire leur coût en capital, c’est-à-dire le prix de l’argent nécessaire aux investissements. La moitié du coût de production d’une énergie décarbonée sert à financer les intérêts et le retour sur capital attendu ! C’est énorme, d’autant que les investisseurs exigent une rentabilité de 8 à 15% dans ce secteur, contre 3% dans le BTP. Il suffirait de diviser par deux les taux d’intérêt appliqués aux renouvelables pour baisser le coût de l’électricité verte de plus d’un tiers.
Comment réduire ces taux d’intérêt ?
Il faut des règles du jeu stables, le contraire de ce qui se passe depuis cinq ans. Ensuite, nous proposons un fonds ou une banque spécialisée, sur le modèle de la banque publique allemande KFW, qui finance la transition à des taux descendant jusqu’à 1% et permet ainsi de payer l’énergie renouvelable Outre-Rhin bien moins cher que nous. Les Britanniques créent, eux, la Green Investment Bank. En France, il serait judicieux d’utiliser la Banque publique d’investissement (BPI). Le fonds pourrait s’appuyer sur la Banque européenne d’investissement (BEI) ou la Caisse des dépôts (CDC). Notre parc nucléaire a bien été financé à des conditions très avantageuses, avec la garantie de l’Etat. En fait, le financement n’est pas un obstacle. L’Etat devra juste penser la transition énergétique, fixer un cadre, sans lequel rien ne se fera. Et il permettra à cet argent très peu cher de bénéficier directement aux entreprises françaises.
Quid du gaz de schiste, dans tout ça ?
Ce n’est vraiment pas le cœur du débat. Et c’est une illusion. Ce n’est pas forcément le paradis décrit en termes de rentabilité. Surtout, cela envoie le mauvais message politique. C’est autant qu’on n’investit pas dans la réduction de notre dépendance aux énergies fossiles. Certains opérateurs pétrogaziers n’ont pas forcément intérêt à la transition, considérant que le changement climatique n’est pas leur problème. Il se trouve que c’est celui des Français. Photo Frédéric Stucin
Recueilli par Coralie Schaub