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Chasse aux dogmes économiques

Chasse aux dogmes économiques

Posté par Alain Grandjean - ( 8 ) Commentaires

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Pourquoi nos économistes pensent que tout va bien et comment peuvent-ils se tromper à ce point ? [1]

Le dogmatisme en économie

L’économie se pare des habits de la science, notamment parce qu’elle manipule des chiffres et peut utiliser une formalisation très poussée. Pour autant elle est déchirée par des querelles entre écoles de pensée et bien incapable de faire des prévisions robustes[2]. Plus gravement de nombreux économistes défendent de fait, sans le dire explicitement, des intérêts sectoriels ou catégoriels[3]. Il serait néanmoins vain de se passer du raisonnement macroéconomique : les réalités qu’il permet d’atteindre ne sont pas accessibles au raisonnement microéconomique, celui qui nous fait oublier les arbres et les poissons dans la parabole de l’Ile de Pâques.

Difficultés de la science économique

L’économie en tant que discipline intellectuelle n’est pas née d’hier. Aristote s’intéressait à l’économie. On la fait souvent naître avec Adam Smith et son traité sur la richesse des nations (1776). Elle a acquis une reconnaissance plus grande quand elle a commencé à être mathématisée par Léon Walras à la fin du XIX eme siècle. Parallèlement Louis Bachelier, par sa thèse intitulée Théorie de la spéculation en 1900 (un autre français ! ) a commencé à formaliser mathématiquement le comportement des marchés financiers.

L’économie depuis s’est incroyablement diversifiée, complexifiée et spécialisée : théorie des jeux, microéconomie,  économétrie, économie du travail, du développement, économie monétaire, économie expérimentale, macroéconomie…

L’introduction des mathématique dans de champ économique peut donner l’impression que cette discipline fonctionne comme la physique qui a recours aux mathématiques pour formuler des lois. Mais il subsiste deux  différences considérables.

  • D’une part, l’économie est manifestement une « science humaine ». Les comportements individuels et collectifs des humains changent la donne économique et parfois de manière surprenante ou imprévisible. La fin de l’URSS initiée par Mikhaïl Gorbatchev a eu des conséquences économiques considérables dans ce pays et dans ceux de l’Europe de l’Est. Elles auraient en outre été différentes si la libéralisation n’avait pas été menée au pas de charge (une décision de Boris Eltsine). Les décisions du gouverneur de la Fed en 1929 ont eu des conséquences sur le déroulement de la crise bancaire. Celles des dirigeants de l’Union Européenne face à la crise grecque ont eu un impact désastreux sur le peuple grec etc.  On voit donc bien qu’il est théoriquement difficile de « modéliser » ces grandes décisions, qui sont autant de cas particuliers n’obéissant pas à des lois.
  • D’autre part,  comment, en économie, contrôler expérimentalement une théorie ? Certes, il existe une discipline, l’économie expérimentale, qui vise à tester certaines hypothèses . On peut par exemple vérifier si le comportement d’un être humain obéit à une certaine forme de  rationalité  (voir l’article Wikipédia sur l’économie expérimentale). Mais il est  impossible de tester sur une expérience en vraie grandeur une théorie qui viserait à rendre compte d’un ensemble d’interactions complexes. Pour deux  raisons : l’histoire ne se répète jamais et on ne peut contrairement à ce qui est possible en physique monter des expériences qui sépareraient les variables et leurs effets.

Les dogmes

Dans la « vraie vie » économique, les décideurs ne peuvent cependant attendre qu’une Vérité économique émerge et les administrations ne peuvent pas non plus changer tous les matins leur fusil d’épaule (on pense en particulier à celle qui gère la finance et l’économie).

La vie académique est, elle aussi,  obligée de se construire, et c’est vrai aussi dans les sciences « dures »,  à partir de lignes directrices, de programmes de recherche  qui ne sont pas remis en cause pendant… un certain temps ? C’est Thomas Kuhn qui le premier  a mis en évidence le fait que les sciences dures même si elles ont recours à des procédures exigeantes de vérification, même si elles « s’accrochent » aux faits adoptent par périodes des « paradigmes » qui sont parfois remis en cause.

Enfin l’esprit humain est ainsi fait qu’il a tendance à s’installer dans ses croyances, à les étoffer et les défendre. Il est difficile à un être humain qui s’est engagé publiquement  et longtemps à défendre une théorie de reconnaître qu’il s’est trompé. Le physicien Max Planck disait « la  vérité ne triomphe jamais, mais ses adversaires finissent par mourir ».

De cette série de causes résulte en économie une tendance forte au dogmatisme. On connaît par exemple le conflit qui oppose depuis des décennies les  économistes « libéraux » et les économistes « keynésiens ».  Pour caricaturer, les premiers pensent que l‘Etat n’a pas à intervenir dans la vie économique, les marchés se régulant tout seuls ; les autres pensent au contraire que les déséquilibres inévitables résultant de l’économie de marché doivent être corrigés par l’intervention de l’Etat.

Pour se faire sa propre opinion dans le domaine économique, il est donc particulièrement recommandé de prêter attention au fait qu’un économiste peut, parfois sans le dire, être rattaché à une école de pensée qui repose sur et défend une série d’options de base, pourtant discutables mais pas toujours explicitées…

Alors à quoi servent les économistes et l’économie ?

Si comme on vient de le voir, il est nécessaire d’exercer son esprit critique face à tout propos asséné en matière économique, il est dangereux de « jeter le bébé avec l’eau du bain ». Le bon sens n’est pas toujours de bon conseil et il est utile de se frotter aux travaux des économistes. Un seul exemple : d’expérience individuelle il est impossible  de dépenser durablement plus que ce dont on dispose (par activité économique ou par emprunt). Cette expérience est un obstacle à la compréhension de la création monétaire. (Voir infra).

Il est par ailleurs bien nécessaire de pouvoir vérifier sur des données statistiques (c’est le rôle de l’économétrie et de l’histoire des faits économiques) si telle ou telle théorie intuitive est contredite ou non par les chiffres. On en a vu un exemple récemment : certains économistes affirmaient qu’une dette publique supérieure à 90 %[4] conduirait les pays à une moindre croissance. Mais une vérification attentive de leurs travaux ont montré des erreurs[5]. Il est donc bien utile de recourir à ses travaux.

Enfin il est utile de formaliser parfois de manière simple les raisonnements qu’on peut faire pour pouvoir les soumettre à la critique d’autrui. Un raisonnement trop flou ou trop global résiste en effet facilement à la critique. Mais c’est aussi le terreau du dogmatisme. On se souvient que l’épistémologue Karl Popper[6] faisait du critère de « réfutabilité » le critère distinctif de la science contre l’idéologie.  Sans rentrer ici dans ce débat il est bien clair que le fait de pouvoir disposer des travaux des économistes qui ont tenté de clarifier leur pensée et leurs arguments est bien utile précisément pour éviter de rester cantonné dans l’idéologie.

L’ÉNERGIE ET LES RESSOURCES EN ÉCONOMIE : COMMENT COMPTER CE QUI COMPTE VRAIMENT ?

La comptabilité publique ou privée suit des stocks ou des flux monétaires entre personnes physiques ou morales. Elle ne mesure pas la destruction du patrimoine naturel (ni sa réparation). Le prix d’un baril de pétrole c’est le total des salaires, des rentes et des profits faits pour le produire, le transformer et le transporter. La nature ne se fait pas payer, ni pour services rendus ni contre dommages subis. Pour tenir compte de la nature nous devons faire évoluer nos normes et règles comptables.

La parabole de l’Ile de Pâques fait bien comprendre la différence entre les réalités physiques qui sous-tendent l’économie et nos représentations comptables.

La comptabilité  a été inventée pour évaluer le patrimoine d’une entreprise et ses variations annuelles en fonction de ses « résultats ». Mais les  flux qu’elle mesure ne relient que des hommes ou des sociétés humaines.  La nature ne se fait pas payer pour les services qu’elle rend et les biens qu’elle nous livre gracieusement. On en vient vite à considérer que dès lors ces biens et services naturels sont en quantité infinie. Le célèbre économiste Jean-Baptiste Say faisait déjà cette erreur : « Les richesses naturelles sont inépuisables, car, sans cela, nous ne les obtiendrions pas gratuitement. Ne pouvant être ni multipliées ni épuisées, elles ne sont pas l’objet des sciences économiques »[7].

Une des observations faites par Say est juste : la nature nous livre ses richesses gratuitement. Son raisonnement et sa conclusion sont complètement faux. Cette gratuité est liée tout simplement au fait que la Nature ne s’est pas dotée d’une comptabilité ni de compte chèques…

Dès lors nos comptes ne nous informent en rien sur la destruction de la nature. Si la science économique ne se fondait que sur l’information qu’ils donnent, elle n’aurait en effet rien à dire sur ce sujet qui est au cœur de l’anthropocène… Elle continuerait à orienter nos activités sans tenir aucun compte de leur pression pourtant croissante sur un monde fini, ce qui n’est pas durable comme nous l’avons vu.

Nous pouvons et devons tenir compte de cette anomalie à  plusieurs niveaux.

D’une part en identifiant et gérant en tant que tels les biens publics ce que les collectivités humaines font de tout temps. C’est le thème de travail de nombreux économistes comme Elinor Ostrom, prix Nobel[8] en 2009.

Il est par exemple utile  de créer de vastes zones de réserves  naturelles comme les aires marines protégées – qui sont aujourd’hui encore minuscules – et sur terre les parcs naturels et les réserves naturelles. Dans le même esprit, la protection  d’espèces menacées  est indispensable.

Il est également nécessaire que les pouvoirs publics édictent sur des zones géographiques les plus vastes possibles des normes visant à réduire l’impact sur le prélèvement de ressources ou les pollutions. C’est par exemple ce qui se passe (certes difficilement) en Europe sur les émissions de polluants et de CO2 des voitures. Cela pourrait s’envisager sur le CO2 émis par les centrales de production d’électricité. (voir cet article sur les normes d’émission du secteur électrique)

L’intégration dans le calcul économique des agents économiques des conséquences sur la nature de ses actions ne peut se faire que de deux manières :

  • « donner un prix » à une pollution  ou à un impact ; c’est par exemple le but d’une « taxe carbone » de donner un prix aux émissions de CO2 d’un agent économique, prix qu’il paie sous forme de taxe, ce qui l’incite à réduire ses émissions (pour réduire cette taxe). Une alternative consiste à créer des « quotas » payants et éventuellement échangeables qui font également payer le « pollueur ».  A noter que les règlements et normes conduisent implicitement à mettre un prix au CO2, sans le dire.
  • la réforme progressive de la comptabilité qui permettrait de faire évoluer en profondeur les calculs des entreprises. C’est ainsi que jacques Richard propose un nouveau cadre comptable : CARE (comptabilité adaptée au renouvellement de l’environnement). Plutôt que d’attribuer une valeur à la nature, il s’agit de mesurer les coûts minimums nécessaires pour renouveler les fonctions environnementales après dégradation. On passe ensuite ces coûts en comptabilité, ce qui équivaut à un amortissement du capital naturel.

Voir l’article de la Revue Projet sur la méthode de Jacques Richard.

L’EFFICIENCE DES MARCHÉS : UNE ILLUSION D’OPTIQUE CATASTROPHIQUE POUR LE TEMPS LONG

Pour le libéralisme économique les marchés sont efficients, il faut les laisser-faire. Ce serait vrai pour le travail : il faut donc supprimer ou a minima réduire les « rigidités » introduites par le droit du travail, comme le salaire minimum, les allocations chômage, etc.. Pour les marchandises : il faut donc supprimer les entraves tarifaires et non tarifaires au libre échange. Pour les capitaux : il faut interdire le contrôle des capitaux. Dans tous ces cas, il s’agit de dogmes et la théorie économique comme l’observation des faits montrent que l’Etat peut utilement intervenir dans ses domaines.

L’histoire a montré que les marchés ne s ‘autorégulent pas

Le laisser-faire en économie a reçu son premier démenti de grande ampleur pendant la crise de 1929. Les tenants du laisser-faire recommandaient aux autorités de ne pas intervenir : l’économie allait se remettre d’elles-mêmes. Les entreprises et banques qui faisaient faillite ne les inquiétaient  pas : c’était la chute du bois mort ou des canards boiteux. Les faits ont montré  l’erreur de ce raisonnement. Les faillites entraînaient les faillites, le chômage  la baisse du pouvoir d’achat, les problèmes de débouché et …les faillites. Les dépôts de bilan des banques entraînaient la disparition des patrimoines des épargnants et la disparition pure et simple de la monnaie en circulation.

Il fallut bien intervenir et c’est ce que fit Roosevelt avec son New Deal en 1933 (soit 4 ans après le début de la crise). En 1938 l’économie américaine n’était pas encore relevée (11 millions de chômeurs).  C’est la guerre qui redressa définitivement l’économie par des programmes d’armement massifs.

Cette histoire est bien connue et a inspiré en 2008-2009  le  président de la Fed, Ben Bernanke, qui la connaissait bien ce qui l’a conduit à intervenir massivement pendant la crise, pour éviter les faillites bancaires en série dont il connaissait le danger.

Le court-termisme des marchés

Ce qui est moins mis en lumière c’est que le dogme du laisser-faire, exprimé de manière plus policée, celui de l’efficience des marchés, est en outre catastrophique pour la conduite d’une politique de long terme. Le bon sens le fait bien sentir : les acteurs sur le marché se soucient de leur intérêt et cet intérêt est de court terme. Les possesseurs d’actions veulent faire des plus-values rapidement ; les opérateurs sur les produits dérivés ne cessent de déplacer des montagnes d’argent avec un horizon très court. La vitesse des transactions ne cessent de croître jusqu’ à l’invention assez récente du « trading haute fréquence » où se sont des robots qui passent les ordres (et parfois les contre-ordres) – voir ce très bon article de Gaël Giraud ) -.

On comprend bien que des acteurs qui ont les yeux rivés sur l’ultra court terme ne peuvent s’intéresser au long terme…Ils ne le voient tout simplement pas, et de moins en moins, si l’on peut dire.

La financiarisation de l’économie a accru le court-termisme des marchés qui est cependant intrinsèque au marché, dès lors que les taux d’intérêt réels sont positifs.  En effet l’acteur économique raisonne nécessairement en faisant (implicitement ou explicitement) des calculs arbitrant des dépenses ou des recettes d’aujourd’hui contre des dépenses ou des recettes de demain.  Cet arbitrage se fait avec un taux d’actualisation qui permet de faire la comparaison entre un euro aujourd’hui et un euro demain. Si ce taux (dont la valeur dans l’économie réelle la plus proche est celle des taux d’intérêt réel) est positif l’avenir compte de moins en moins dans le calcul économique, et d’autant moins qu’il est éloigné.

Ce peut ne pas être un grand souci en période de croissance positive (supérieure ou égale à ce taux réel) si l’on suppose, ce qui est loin  d’être évident, que le progrès technique sera toujours  là pour améliorer la productivité de l’économie et, pour les enjeux de ressource, si l’on pense qu’on trouvera des substituts aux matière premières qu’on fait disparaître ou qu’on pollue trop pour pouvoir les réutiliser.

Mais dans la période actuelle de croissance molle ou nulle, ce calcul économique tue littéralement l’avenir. Il ne peut conduire à considérer comme intéressant un investissement dont les fruits ne pèsent pas (du fait du calcul d’actualisation) face au poids actuel de cet investissement.

Il appartient donc à la puissance publique d’introduire les mécanismes de correction qui tempèrent le court-termisme du marché. Dans le domaine que nous explorons ici, il s’agit donc de mettre en place des politiques industrielles, énergétiques, écologiques qui complètent ou corrigent le marché.  Ces politiques ne peuvent pas se raisonner « en mimant le marché ». Elles doivent reposer sur des raisonnements, des indicateurs, des modes de calcul qui intègrent le long terme et les conséquences à cet horizon des décisions prises aujourd’hui.

Cela ne se traduit pas nécessairement par une planification détaillée. On sait que c’est impossible et dangereux. En revanche cela peut se traduire par la définition d’objectifs, l’édiction de normes, de règlements , d’incitations fiscales ou autres qui orientent les acteurs économiques. Cela peut se traduire par le fléchage de financements gratuits ou très peu coûteux vers les investissements de long terme.

LA CRÉATION MONÉTAIRE UTILE EST MOINS INFLATIONNISTE QUE LA FINANCE DÉRÉGULÉE

Selon ce dogme monétariste, mais répandu très majoritairement dans l’opinion, la création monétaire ne pourrait être qu’inflationniste, car sans effet sur l’économie réelle (elle serait donc neutre sur l’activité et uniquement haussière sur les prix). L’inflation étant supposée source de grands désordres économiques (ce qui se discute quand elle ne dérive pas en hyperinflation) la tentation de l’Etat de créer de la monnaie doit être réprimée dès l’origine. Dès lors il faudrait la soumettre à une institution indépendante, non tentée par l’électoralisme et interdire à l’Etat de recourir à la « planche à billets ». C’est ce dogme qui est à l’origine du traité de Maastricht et des statuts de la Banque Centrale Européenne. Ce dogme fait perdre de vue que la monnaie est en fait créée par les banques secondaires ou « commerciales (privées ou publiques) » et est à l’origine de la perte de contrôle du secteur financier et à l’origine des crises financières récentes.

La monnaie sert à régler ce que nous devons à un tiers que ce soit au magasin pour payer nos courses, via un virement pour régler notre facture d’électricité ou un prélèvement bancaire pour rembourser une échéance d’emprunt. Nous utilisons donc de l’argent   sans nous intéresser vraiment à sa naissance. Pour nous elle provient en général de notre travail si nous sommes salariés des ventes liées à notre activité si nous sommes en libéral. Pour certains d’entre nous elle est issue de « rentes », fruits du placement de notre argent qu’on a peut-être eu la chance d’ hériter. Mais tout ceci ne révèle pas l’origine de cette monnaie de transaction.

Comment la monnaie est créée ?

La monnaie n’existe que sous trois  formes :  pièces de monnaie, marginales en quantité, dont nous ne reparlerons pas dans la suite, billets de banque  et monnaie dite « scripturale », monnaie qui est inscrite dans notre compte bancaire.

C’est la banque centrale (aujourd’hui en France la Banque de France succursale de la BCE) qui fabrique les billets de banque. Ce sont les banques commerciales, (celles où nous avons un compte bancaire) qui distribuent ces billets de banque quand nous en avons besoin. Ce sont elles aussi qui créent la monnaie scripturale. Or cette monnaie scripturale représente le plus gros de la monnaie en circulation (En Europe en 2013, les billets ne représentant que 903 milliards sur 5121 de monnaie en circulation, voir Wikipedia : masse monétaire).

Contrairement à une idée reçue en effet la monnaie est ainsi créée ex nihilo ; la preuve principale en est la croissance permanente de la monnaie en circulation.

Crédits : Olivier Berruyer, www.les-crises.fr

Crédits : Olivier Berruyer, www.les-crises.fr

Si cette monnaie est en quantité croissante il faut bien qu’elle soit créée. Le mécanisme de cette création monétaire est tout simple et enseigné dans les livres d’économie. Quand la banque prête une somme d’argent, elle inscrit à  son actif une créance et au passif, sur le compte-courant du bénéficiaire du prêt le montant correspondant.  La monnaie est ainsi créée. Elle est détruite au moment du remboursement de l’emprunt. Mais en règle générale le montant des emprunts nouveaux est supérieur au  montant des remboursements.

La monnaie est aussi créée à d’autres moments de la vie économique (Voir le site très complet de l’association « Chômage et monnaie« , notamment les fiches techniques et le livre « La monnaie dévoilée » ). Nous n’y reviendrons pas ici.

Bien sûr cette création monétaire est encadrée et réglementée. Les banques sont soumises à une série de contraintes, sous forme de ratios de gestion qui doivent être être respectés. Ce sont des organismes extérieurs aux banques qui les mettent au point et d’autres  qui les surveillent.

Qu’est-ce que la monnaie centrale ?

La monnaie que nous utilisons sert donc à dénouer des transactions entre acteurs économiques. Il existe une autre monnaie que nous ne pouvons utiliser même si elle est libellée de la même manière. Il s’agit de la monnaie « centrale » celle qui relie les banques entre elles et avec la banque centrale. Toutes les banques ont un compte courant sur la banque centrale. Cette « monnaie » est indispensable aux banques pour leurs transactions mutuelles et pour assurer leur « liquidité ».

La création monétaire n’est pas nécessairement inflationniste

Il suffit de constater l’évolution de la hausse des prix dans les vingt dernières années et celle de la masse monétaire pour s’en convaincre.

Nous avons tous en tête cette idée car nous avons appris dans nos cours d’histoire la folle histoire des assignats révolutionnaires (Voir aussi le post « La création monétaire : oeuvre du diable« ) et celle de Weimar (Voir le livre « la monnaie dévoilée« )

Concernant Weimar, où nous nous souvenons des brouettes de billets, il nous arrive parfois de croire que cet épisode est en outre à l’origine de la montée au pouvoir d’Hitler en Allemagne. C’est tout simplement faux. Weimar se termine en 1923. C’est la crise de 1929 née aux USA qui traverse l’Atlantique et met  à mal l’économie allemande, puis la réaction déflationniste du chancelier Bruning qui est à l’origine d’un chômage de masse et d’une crise majeure.

Il est  certes vrai que si une banque centrale se met à inonder de billets l’économie pour payer des dettes d’Etat sans discernement le risque est élevé de voir se perdre la valeur de la monnaie, surtout s’il y a une autre monnaie en circulation. C’est ce qui s’est souvent passé dans des économies où le dollar est présent et où la monnaie officielle se déprécie ainsi.

Les vrais risques de la finance dérégulée

Mais dans nos sociétés contrôlées démocratiquement, ce risque est faible. L’Etat ne peut pas dépenser n’importe comment : il est sous le contrôle du parlement qui instruit la loi de finances et contrôle son suivi. La Cour des Comptes est là pour faire tous les contrôles nécessaires.

Ce que l’on constate en  revanche si la banque centrale crée trop de monnaie centrale (ce que la Fed a fait aux USA après la crise de 2001) c’est :

  • le risque de voir les banques développer une activité spéculatives car étant « abreuvées «  de liquidités par la banque centrale elles peuvent prêter au secteur financier ; elles ont par ailleurs su inventer des techniques comme la titrisation pour limiter l’emprise des ratios sur leur activité de crédit
  • un risque d’inflation des actifs de placement (les biens immobiliers ou les valeurs mobilières)
  • un risque de déflation si les banques ne prêtent pas assez à l’économie (situation où les agents économiques sont endettés, privilégient le désendettement et attendent pour investir). Voir le post : « L’Europe dans la trappe à liquidités ? »)

Que faire ?

Nous défendons ici deux idées :

  • la nécessité de réguler la financer pour limiter les abus issus du pouvoir de création monétaire privée
  • la nécessité de flécher une partie de la monnaie créée sur des investissements de long terme nécessaires à la transition énergétique

 


[1] Pour reprendre le titre d’un article du « prix Nobel » Paul Krugman

[2] Le livre de l’’économiste Steve Keen,   L’imposture économique, Editions de l’atelier 2014, montre les impasses et erreurs du modèle dominant , issu de l’école néoclassique.

[3] Voir le livre de Mauduit, Les Imposteurs de l’économie , Éditions Gawsewitch, 2012. Réédité par les Éditions Pocket en 2013, qui bien que parfois un peu tendancieux éclaire bien ce sujet.

[4] Reinhart C. and Rogoff K. (2009) : This Time is Different: Eight Centuries of Financial Folly, Princeton University Press.

Reinhart, C. and Rogoff K. (2009) : “Growth in a Time of Debt”, paper prepared for American Economic Review Papers and Proceedings, December 31.

Voir par exemple cet article.

[5]  Voir l’article « Reinhart et Rogoff corrigent leurs erreurs de calcul sur l’austérité »

[6] Karl Popper, La logique de la découverte scientifique, Payot, 2007

[7] Traité d’économie politique, 1803

[8] Elinor Ostrom, voir sur wikipedia

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