L’électrification1 de notre énergie est cruciale pour décarboner notre économie et lutter contre le réchauffement climatique, à condition que l’électricité soit produite par des sources bas-carbone, ce qui est le cas en France. Elle est également essentielle pour réduire notre dépendance aux producteurs d’énergie fossile. Elle peut s’appuyer sur un mix de sources décarbonées (le nucléaire et les énergies renouvelables) présentant des avantages et inconvénients, et n’ayant pas les mêmes coûts. Les citoyens, les consommateurs professionnels et particuliers sont prêts à cette mutation, mais pas à n’importe quel prix. Les professionnels sont d’abord sensibles aux enjeux de compétitivité face à des concurrents qui ont accès à une énergie peu chère (en Chine et aux USA en particulier). Pour les particuliers, les questions se posent autrement, en termes de « fin de mois » et/ou d’équité (chacun veut être rassuré sur le fait que les efforts sont partagés).
La première et la plus aiguë des questions économiques se pose ainsi : peut-on envisager une croissance de la part de l’électricité dans la consommation d’énergie finale (via l’électrification des usages) si son prix n’est pas suffisamment attractif ? La réponse dépend bien sûr des prix des autres sources d’énergie (et surtout du gaz pour le chauffage et du pétrole pour le transport) et de celui des équipements nécessaires et de leur efficacité (chaudière, véhicule…).
La note que je présente ici vise surtout à expliquer comment se fixent les prix de l’électricité et répond à plusieurs questions. Quel est le lien entre ces prix et les coûts de production, qui sont, pour les sources bas-carbone, essentiellement fixes2 et liés aux investissements et à leur financement ? Quelles sont les aides et leur coût pour les finances publiques3 ? Quels sont les mécanismes en place aujourd’hui et comment devraient-ils et vont-ils évoluer ? Nous ne discuterons pas ici du fonctionnement du marché de l’électricité ni de son adéquation à une économie de coûts fixes4 (l’électricité bas-carbone repose massivement sur des coûts fixes -équipements de production et réseaux- alors que les coûts variables sont significatifs dans celui de l’électricité d’origine fossile) mais la question est posée par plusieurs experts5. Nous évoquerons néanmoins quelques pistes visant à le compléter.6
Cette note a pour objet de répondre à une deuxième question.
Si l’électricité d’origine nucléaire a longtemps été peu coûteuse, l’ancienneté du parc (et du réseau électrique) obligent à réaliser de lourds investissements (de rénovation du parc, du réseau et dans de nouveaux équipements de production, nucléaires et renouvelables). Mais le nouveau nucléaire est beaucoup plus coûteux que le nucléaire historique (en €/kW il est, en France, de 4 à 7 fois plus cher en euros constants)7. Les renouvelables voient leur coût baisser régulièrement (le LCOE du solaire PV a été divisé par 10 en 20 ans) mais demandent des investissements complémentaires, liés à leur intégration dans le réseau, à leur variabilité et au fait qu’elles ne sont pas pilotables (et le cas échéant à leur décentralisation8). Comment départager les différents mix électriques envisageables à terme ? Les arguments économiques de coût et de prix permettent-ils de le faire ? On verra que pour répondre, il faut raisonner en “coût complet” puis se demander comment assurer que les prix aux consommateurs reflètent ces coûts (tout en tenant compte d’impératifs de compétitivité industrielle).
Ces questions sont déterminantes, dans le contexte actuel, d’une Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE3)9 dont le décret n’est pas encore sorti et qui n’a pas fait l’objet d’un débat éclairé à l’Assemblée nationale.
Plus précisément, début 2023, la ministre de la transition énergétique a lancé 7 groupes de travail associant élus locaux, parlementaires, ONG et professionnels. Une concertation nationale organisée par la CNDP a eu lieu du 4 novembre au 16 décembre 2024, et une consultation publique grand public sur le projet de PPE3 s’est déroulée du 7 mars au 5 avril 2025.
Selon la loi Énergie-Climat de 2019, la loi de programmation nationale pour l’énergie et le climat devait être adoptée avant le 1er juillet 2023. La PPE, constituant le volet réglementaire ou opérationnel déclinant les orientations de cette loi, pouvait être ensuite adoptée par décret. La loi de programmation n’a pas été présentée à temps au parlement.
Le sénateur Jean-François Grémillet a déposé début 2024, une proposition de loi de programmation de l’énergie (souvent appelée “PPL Gremillet”) débattue au Sénat et au Parlement mais qui n’a pas été adoptée. Les assemblées nationales et le Sénat n’ont donc en fait pas débattu d’une loi gouvernementale de programmation « cadrant » la PPE3.
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Cette note aborde un sujet vaste et complexe et fournit de nombreux points de repère chiffrés et sourcés. Certaines données ne sont pas faciles d’accès. Malgré de nombreuses vérifications et relectures, des erreurs peuvent encore être présentes. Nous espérons qu’elle suscitera des suggestions et des corrections le cas échéant, y compris des acteurs publics chargés d’éclairer un débat important pour le pouvoir d’achat des français, l’autonomie de la France et le climat.
Elle a a bénéficié des remarques et suggestions de Ange Blanchard, Xavier Blot, Etienne Borocco, Jean-Pierre Gonguet, Stéphane His, Yannick Jacquemart, Alexandre Joly, Laurent Fournié, Arthur de Lassus, Pierre-Laurent Lucille, Julien Marchal, Paul Neau, Jules Nyssen, Nicolas Ott, Cédric Philibert que je remercie chaleureusement. Leur responsabilité n’est évidemment pas engagée dans ce document.
La note a été mise à jour en novembre 2025 à la suite de commentaires reçus sur la version 1. Les changements sont identifiés en orange.
Plan détaillé
- La consommation d’électricité, son évolution possible
- Le prix payé par les consommateurs
- 2.1 Le prix payé pour l’électricité
- 2.2 Le prix payé par les consommateurs pour les autres énergies
- La production de l’électricité et ses coûts
- 3.1 Quelques chiffres sur la production électrique française
- 3.2 Les coûts de l’électricité : de quoi parle-t-on ?
- 3.3 Les coûts de production constituent un indicateur limité mais utile pour comparer les moyens de production électrique entre eux
- 3.4 Les coûts de production des EnR
- 3.5 Les coûts de production du nucléaire
- Le prix de production de l’électricité
- 4.1 Le prix de gros de l’électricité
- 4.2 Les aides publiques au nucléaire
- 4.3 Les aides publiques aux EnR
- Les réseaux et leur tarification
- Les dispositifs de flexibilité et de stabilité et leur coût
- 6.1 La flexibilité
- 6.2 La stabilité
- Le coût total complet du système électrique
- 7.1 Définition des coûts système
- 7.2 L’attribution à une technologie de coûts ou valeurs système
- 7.3 La comparaison des coûts totaux systèmes
- Les taxes et contributions
Conclusion
Notes
- Nous ne discuterons pas ici de cette affirmation que nous considérons comme démontrée. Nous nous situons dans une perspective où la part de l’électricité dans les années 2050 atteint 60% en ordre de grandeur, et où en parallèle la production d’énergie finale décroît grâce à trois leviers, l’efficacité, la sobriété et…. l’électrification (du fait des gains de rendement générés par le passage de moteurs thermiques à des moteurs électriques). ↩︎
- Le prix de revient de l’électricité produite à partir d’énergies fossiles dépend largement de celui de ces énergies, qui est très variable. Le prix de revient de l’électricité produite à partir d’énergies bas-carbones dépend surtout de celui des équipements (centrales nucléaires, barrages hydrauliques, éoliennes, panneaux solaires etc.). Pour l’eau, le vent, le soleil, l’énergie primaire est gratuite. Pour le nucléaire, l’uranium extrêmement dense énergétiquement, est peu coûteux (12 à 15% du prix de revient du kWh (voir ici). Ce sont donc des coûts fixes. Leur coût variable est nul ou très faible. En savoir plus : Le poids du capital dans le prix des énergies renouvelables sur The Other Economy. ↩︎
- Cette question est l’objet de communications délibérément trompeuses, visant à ralentir voire arrêter les investissements dans les EnR. Voir le décodage dans cet article paru dans Science feed-back. ↩︎
- Si la majorité des moyens de production a un coût marginal nul, le prix de l’électricité chute souvent (et les prix négatifs sont plus fréquents), ce qui rend difficile la rentabilisation des capacités de stockage et de pointe. ↩︎
- Certains proposent un mix entre prix marginal et prix basé sur le coût total, pour mieux intégrer les investissements. ↩︎
- Comme les marchés de capacité, créés par l’autorité publique, ou les contrats à long terme (PPAs), créés par les acteurs de marché eux-mêmes et bien sûr toutes les évolutions tarifaires incitant au stockage et améliorant l’appariement de l’offre et de la demande. ↩︎
- Le coût overnight de construction du parc nucléaire historique a été, selon le rapport de la Cour des Comptes 2012, de 73 milliards en Euro 2010, soit environ 92 Mds€ 2024, et ce pour 58 réacteurs d’une puissance de 63 GW, soit 1 500€ le kW. Aujourd’hui ce coût se situe autour de 10 000 € le kW avec un espoir qu’il baisse à 5 500. ↩︎
- La décentralisation nécessite des équipements de raccordements au réseau ou de renforcement du réseau. Elle permet cependant de mieux répartir les actifs de production en fonction des besoins de consommation. ↩︎
- Voir le dossier de consultation ici. ↩︎
Crédit image : Mario Hains – Licence Creative Commons BY-SA 3.0



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