Voici l’un de ces rares livres qui peuvent bouleverser notre vision du monde.
Livre lumineux. Qui nous fait voir comment la vie et la physique du globe interagissent sans cesse. Pour être plus précis, comment des processus de natures différentes interagissent pour produire des systèmes de plus en plus complexes. Comment, par exemple, la tectonique des plaques, les éruptions de grandes quantités de fer à la surface de la planète, l’apparition de formes vivantes nouvelles, etc…interagissent pour faire évoluer la concentration en oxygène de l’atmosphère qui est elle-même un déterminant majeur du vivant.
Se gardant soigneusement de tout finalisme notre auteur montre que la Terre poursuit une route ascendante. Elle est à ses yeux une entité organisée et soumise à un « développement cumulatif à cliquet ». Cette expression métaphorique est employée par Peter Westbroek pour désigner tous les processus à mémoire et asymétrie temporelle. La science, par exemple, où toute nouvelle découverte s’introduit dans un ensemble de connaissances et vient l’enrichir. Ce processus opère également à l’échelle de l’univers «Nul doute (…) qu’un accroissement global , au fil du temps, de sophistication et de liberté conduit à des niveaux d’organisation de plus en plus élevés.»1 Il conduit à l’émergence de la conscience : « on peut difficilement ne pas conclure que l’émergence de l’humanité, via l’évolution portait en germe une nouvelle conscience planétaire. (…) Lorsque les astronautes assistèrent au lever de Terre la Terre se vit elle-même de l’espace, à travers notre regard et pour la première fois depuis son existence »2.
Livre courageux qui allie rigueur scientifique (l’auteur est professeur à l’université de Leyde, et spécialiste de géophysiologie 3) et vision d’ensemble de l’odyssée terrestre. Qui ose plaider pour un « couplage prudent » entre mythe et science, en en finissant avec le fossé entre la science froide et objective et les questions relatives au sens de la vie, les plus importantes pour chacun d’entre nous. Il reconnaît le fait que la découverte des temps géologiques (due à Hutton) eut des effets profondément perturbateurs. « La vie humaine devint dépourvue d’intérêt et le cosmos dénué de sens ? Le premier effet de la révolution huttonienne fut de désorienter »4.
Livre profondément humain. Le scientifique qu’est Peter Westbroek fait part de son émerveillement éprouvé au contact de la réalité.
« Ce dont nous avons besoin (…) c’est d ‘une certaine forme d’orientation – une lumière intérieure, une attitude fondamentalement lucide, émerveillée et distanciée. (…) Je propose en toute humilité d’essayer de rechercher cette orientation dans la réalité. »5
Il ne se prend pas pour autant les pieds dans le plat et distingue clairement l’activité scientifique et le sentiment que le contact avec la réalité peut susciter : « Si vous voulez établir un lien avec la réalité, la première chose à faire est de vous taire. Vous devez à tout prix ravaler vos émotions et vos commentaires ».6
Le rapport avec les thèmes abordés dans ce blog ?
D’une part une hypothèse sociologique, défendue par Richard Tarnas7 : l’aliénation inhérente à la « vision moderne du monde » favorise un esprit utilitaire. La soif spirituelle s’étanche dans le cannibalisme consumériste et le pillage planétaire. Revisiter cette vision c’est peut-être participer à l’inversion de ce délire.
D’autre part, comprendre que tout se passe comme si notre univers était doté d’un champ de force temporel « ascensionnel » est utile pour prendre du recul par rapport au maelstrom8 dans lequel nous semblons nous engloutir et échapper à la tentation du pessimisme, « sentiment logique » pourtant quand on examine la frénésie avec laquelle nous détruisons les conditions de notre propre survie. Ce n’est pas sombrer dans l’irresponsabilité qui consisterait à croire que les choses vont bien se passer au motif qu’une force supérieure pousserait l’histoire dans la bonne direction ; c’est situer sa propre action et son propre engagement dans un mouvement plus profond. C’est ce qui conduit à l’expérience de « flow » décrite par Mihaly Csikszentmihalyi9.
Par les temps qui courent, on va avoir besoin d’énergie de ce type !
Alain Grandjean
1 Page 26.
2 Page 144
3 En résumé, c’est la science de la Terre, vue comme un organisme vivant.
4 Page 133
5 Pages 18 et 19
6 Pages 23 et 24
7 The passion of the Western Mind : understanding the ideas that have shaped our world view, New York, random House, 1991
8 Le fil conducteur du livre est un conte d’Edgar Poe, « Une descente dans le Maelstrom » qui illustre aux yeux de Westbroek l’intérêt de prendre de la distance par rapport à la crise actuelle par une vision de long terme.
9Vivre : la psychologie du bonheur; Robert Laffont, 2004
2 réponses à “Terre ! Des menaces globales à l’espoir planétaire Peter Westbroek, Le Seuil, 2009”
A lire ce post on a le sentiment que Grandjean a profité de l’été pour renouer avec des substances qui ont pu faire le plaisir de sa folle jeunesse. Non non ne me censurez pas c’est une blague !!! je percois l’idée que j’exprimerais de la façon suivante : on se laisse bouffer la vie et le cerveau par tellement de conneries qu’on finit par devenir désabusé puis pessimiste . Commencons par faire tourner la plancha et ca ira mieux !
Hello François; il y a du vrai dans ton propos, les sujets abordés dans ce bouquin m’ont vraiment passionné il y a 30 ans et continuent à m’intéresser vivement, voire à me porter…
mais plus profondément, je pense qu’ on ne peut pas se confronter avec les horreurs humaines passées présentes ou futures, et les risques que nous faisons courir à nos enfants et petits-enfants sans s’interroger sur l’humanité; ce qui ne peut se faire, à mon avis, sans chercher à comprendre d’où on vient. Et de ce point de vue, un panoramique sur l’ histoire commune de la Terre et de ses habitants ouvre les yeux et étonne, voire plus.
Amicalement
AG