Claude Lorius, pionnier des recherches sur le climat, médaille d’or au CNRS, signe avec le journaliste Laurent Carpentier un extraordinaire « Voyage dans l’anthropocène »1 .
J’y ai appris entre mille choses que le prochain congrès mondial de stratigraphie de Brisbane (Australie) en 2012 va statuer sur la proposition faite par Paul Crutzen en 20022 de reconnaître qu’une ère géologique nouvelle est apparue il y a 3 siècles. Ce genre de décision ne se prend pas tous les matins. La dernière date de plus d’un siècle. C’est en 1885 que fut officialisée l’ère appelée Holocène, commencée avec la sédentarisation de l’homme il y a 11 500 ans.
La décision d’officialiser l’anthropocène c’est la reconnaissance par la communauté scientifique du fait que l’espèce humaine est devenue la principale force géologique, modifiant le climat, la biosphère, l’hydrosphère, la lithosphère… Je vous laisse découvrir les données scientifiques.
Mais ce qui m’a le plus frappé dans ce voyage, c’est qu’ on peut déjà prévoir la fin de cette ère à peine reconnue scientifiquement. L’anthropocène repose en effet sur la destruction accélérée des ressources physiques en quantité finie, à commencer par les énergies fossiles. Et une exponentielle finit toujours par épuiser un stock fini.
Un premier débat porte sur la date de fin : quelque part entre 2050 et 2150 ? L’histoire s’accélère vraiment. Les ères précédant le quaternaire duraient entre 50 et 250 millions d’années. Le pléistocène aura duré 2,6 millions d’années, l’holocène 12000 et l’anthropocène 400 ? Et il ne s’agit pas d’un effet d’optique lié au fait que nous avons plus d’informations sur des périodes récentes. Il s’agit bien de la vitesse avec laquelle l’ensemble des données physiques et biologiques caractérisant notre planète évolue.
L’anthropocène et après ?
Un deuxième débat qu’initie Claude Lorius avec humour et gravité c’est celui du nom de la prochaine ère. « Postanthropocène, nocène, apocalypsenowcène ? » nous propose-t-il.
On sent bien son hésitation. « La seule question qui se pose désormais à nous c’est : « que voulons-nous faire de ce monde dont nous sommes devenus dans le même temps les fossoyeurs et les gardiens ». « Serons-nous les gardiens de la Terre ou les spectateurs impuissants de notre toute-puissance ? » Et il cite cette belle phrase d’ Edgar Morin.
« Le probable est la désintégration. L’improbable mais possible est la métamorphose ».
Mais la post-face de Michel Rocard « La force de l’amitié a sauvé l’antarctique » montre bien où son cœur penche. C’est d’ailleurs pourquoi son livre est un appel au sursaut. Quel sens aurait cet appel si la désintégration était certaine ? Mieux vaudrait alors boire un bon coup. Pour oublier.
De mon côté, je n’ai pas l’ombre d’une hésitation. La prochaine ère sera le Noocène3. Non que l’être humain soit amené à se désincarner et à se transformer en pur esprit. Mais plus simplement parce que le système de valeurs dominant aujourd’hui (assez bien illustré par le film Avatar) est à la fois létal et mortel. « Les civilisations meurent par suicide écrivait Arnold Toynbee. Non par meurtre ». Nous serions la première à commettre un meurtre contre l’ensemble de nos congénères, l’ensemble de la création et contre nous-mêmes.
Ce système de valeurs va se désintégrer. Il est en train de se désintégrer. Et nous assistons sans bien le voir car nous n’avons pas encore les mots pour le dire, donc pour le voir, à l’émergence d’une humanité …enfin humaine, dans les décombres liées à la fureur et à la bêtise crasse de cet homo appelé sapiens par antiphrase.
Bienvenue dans le Noocène.
Alain Grandjean
1 Paru à Actes Sud en janvier 2010
2 Dans un article publié dans Nature : « geology of mankind ».
3 C’est Vladimir Vernadsky , un biogéochimiste russe, qui a créé le terme de noosphère repris et popularisé par le jésuite et paléoanthropoloue français Pierre Teilhard de Chardin.
Noos veut dire esprit en grec.
4 réponses à “Fin de l’Anthropocène, bienvenue dans le Noocène”
[…] les limites de la planète c’est d’une certaine manière quitter l’imaginaire de l’anthropocène. La science et la technique alliées à la consommation massive d’énergie ont conforté le […]
Ce qui me dérange dans ton analyse Alain est qu’elle est anthropocentrée, la Noosphère étant la sphère de la pensée « humaine » … si l’on sort des cendres de l’anthropocène, on aura, je l’espère, compris qu’il y a une conscience plus large, animale dont on dépend et qui nous nourrit …
bien sûr qu’elle est anthropocentrée! la nature continuera sans nous si nous nous obstinons dans l’erreur, nous portons seul, comment les autres espèces pourraient elles le faire à notre place ?…parce que nous sommes les porteurs de la conscience réfléchie que la nature a voulu comme aboutissement d’une très longue évolution et pour celà nous avons une responsabilité unique à son égard, nous portons en nous toute l’intelligence que la nature a capitalisé par auto-engendrement (??)Si nous sommes défaillants c’est un échec pour elle que mon petit doigt me dit qu’elle n’a pas « programmé ».Nous sommes et ne pouvons pas ne pas être anthropocentrés, mais on peut aussi bien dire naturo-centrés ou naturomorphes, nous donnons une voix à la nature silencieuse, nous la conscientisons et pour reprendre la belle formule de Gilles Clément (toujours la vie invente) il nous reste à faire de la planète un jardin! C’est un boulot énorme mais quelle perspective enthousiasmante : pour nous tous, pour les nouvelles générations, il y a une place pour chacun dans cette mission planétaire et nous aurons la nature non contre nous mais avec nous. Ça donne une sacrée force et guérira de beaucoup de maladies de pénurie de sens!
je voulais écrire « nous portons seuls ce cadeau qui est surtout un fardeau tant qu’il n’est pas assumé consciemment »
Les autres espèces nous sauront gré, en silence,de ce que nous ferons pour la planète qui sera fait bien sûr pour et par elles…elles sont nos partenaires silencieuses et je dirais bienveillantes, elle nous attendent!..