Hydrocarbures & nourriture, comment préserver la paix ? (billet invité : Raphael Montfort)

Voilà plusieurs décennies que les habitants des pays développés ont perdu le fil qui relie le contenu de leur assiette avec les écosystèmes qui la remplissent. L’urbanisation massive de la société depuis un demi-siècle, le développement de la grande distribution, les techniques modernes de marketing ou encore l’essor de l’industrie agro-alimentaire dans la production de plats préparés sont autant de facteurs qui ont peu à peu distancé l’aliment brut et sa chaîne de production de son utilisation finale dans la tête du consommateur.

Jamie Oliver, le célèbre chef britannique, a montré à multiples reprises que les enfants et les adolescents des écoles britanniques et américaines aujourd’hui ne savent plus à quoi ressemble une courgette ou une tomate, pas plus qu’ils ne savent que les chicken nuggets sont fabriqués avec des poulets. En règle générale, on s’interroge peu sur les procédés industriels (alors que c’est bien de cela qu’il s’agit, le plus souvent) qui nous permettent de nous alimenter à notre faim, qui plus est de consommer plus de 100kg de viande par personne et par an.

Pour qui se donne la peine de s’y intéresser, une conclusion ressort assez rapidement : la quasi-totalité des aliments que nous mangeons quotidiennement a requis la combustion d’hydrocarbures (pétrole et gaz le plus souvent, des ressources non-renouvelables en cours d’épuisement et aux effets néfastes sur le climat planétaire), pour arriver dans notre assiette. Ces derniers sont omniprésents dans la chaîne de production et de distribution agro-alimentaire, et l’on retrouvera par exemple :

  •  d’importantes quantités de gaz naturel dans la production des engrais azotés utilisés pour fertiliser les champs de céréales à destination de l’élevage et des hommes,
  •  du gaz naturel et de la pétrochimie dans la production des pesticides utilisés pour traiter les cultures,
  • du pétrole dans le réservoir des engins agricoles (tracteurs, moissonneuses-batteuses…)
  •  du pétrole ou du charbon électrique pour faire fonctionner les pompes et les réseaux d’irrigation (la France et le nucléaire restent une exception, la règle au niveau mondial étant plutôt le charbon)
  • du pétrole pour transporter la marchandise à chaque étape de la chaîne de valeur, d’autant plus que l’on a éloigné les sites producteurs de céréales des sites d’élevage qui les consomment. L’illustration de cette dépendance est évidente lorsque l’on regarde les cours comparés du pétrole et des denrées alimentaires sur la décennie écoulée :

 

A titre indicatif, il faut environ 1500 litres de pétrole pour nourrir un citoyen américain sur une année (Dale Allen Pfeiffer, Eating Fossil Fuels, 2005). Au prix du carburant en Amérique du Nord (3.7$ le gallon soit 1$ le litre environ), cela représente un coût de 1500$. Si le prix des hydrocarbures était amené à doubler dans les années à venir, à cause de l’effet conjoint de plafonnement de l’offre et d’une croissance de la demande des pays émergents, c’est l’équivalent d’un mois de salaire minimum qui part en fumée… Comment réagiraient alors les populations concernées? En 2011, une équipe de trois chercheurs américains (Marco Lagi, Karla Z. Bertrand et Yaneer Bar-Yam) a analysé les liens qui pouvaient exister entre les prix de la nourriture et les soulèvements populaires. Les résultats de leur étude sont édifiants. Il est difficile de ne pas rapprocher les soulèvements du printemps arabe de 2011 du doublement du prix des denrées alimentaires en 7 ans :

Un prix de la nourriture soumis à la tendance haussière et à la volatilité élevée du cours des hydrocarbures entraîne ineluctablement l’instabilité politique et sociale. L’Histoire de l’Humanité est jalonnée d’épisodes où un peuple qui a faim renverse le pouvoir en place, ou tente de le faire avant de subir l’oppression du régime. Sera-t-il aisé de préserver la démocratie et la paix dans un monde où les hydrocarbures sont de plus en plus chers? Il est permis d’en douter.

Mais qu’attend-t-on alors pour réduire la dépendance de la chaîne de production alimentaire aux hydrocarbures? Pour retrouver une cohérence entre l’agencement du territoire, l’affectation des terres agricoles, les techniques de culture? Traiter ces sujets en amateur sans en comprendre les enjeux n’est pas seulement une erreur de jugement, cela revient à s’en remettre à la loterie pour essayer de conserver ce que l’on a de plus précieux.

 

A propos de l’auteur.

Une réponse à “Hydrocarbures & nourriture, comment préserver la paix ? (billet invité : Raphael Montfort)”

  1. Avatar de PH

    Et oui, il faut s’intéresser au flux de matières :

    Si on sort du nucléaire, on mobilise plus de biomasse et de gaz naturel pour le chauffage et pour réguler le système électrique fluctuant des renouvelables officielles.Donc moins de nourriture.

    Si on va plus loin dans le nucléaire (100 à 120 GW pour la France), on produit de l’hydrogène qui économise du gaz naturel dans la synthèse de NH3 et qui économise de la biomasse dans le chauffage et dans la génération d’électricité.

    Si les hydrocarbures créent des crises alimentaires, l’énergie nucléaire en évite.

    Par exemple : négawatt officiel, c’est deux fois moins de viande, mais on peut supposer aussi que ce serait deux fois moins d’aide alimentaire pour ceux qui en auraient besoin. 9 milliards d’habitants et le réchauffement climatique, ça se gère nécessairement par des flux alimentaires mondiaux.