Taxe carbone : peut-on de la citrouille qu’a produit le conseil constitutionnel faire un carosse de la lutte contre le changement climatique?

1 La taxe carbone et le conseil constitutionnel

Le conseil constitutionnel a censuré le projet de taxe carbone et obligé le gouvernement à revoir sa copie. Ce pourrait être l’occasion en théorie de revoir l’ambition du projet. Ce ne sera malheureusement pas le cas et nous allons tout droit, dans le meilleur des cas, vers une complexification du dispositif sans réel gain environnemental. Il n’est pas exclu d’ailleurs qu’on aille à l’enterrement de la taxe carbone du fait de la reprise du débat à un bien mauvais moment : les régionales vont politiser le sujet, et la croissance très préoccupante du chômage va tendre les relations sociales et réduire encore l’acceptabilité de la taxe. Le conseil constitutionnel aura rendu un bien mauvais service à la cause climatique et ce pour des motifs on ne peut plus discutables. Le seul bénéfice possible à attendre de cet imbroglio ce serait que les complications introduites redonnent à l’opinion le sentiment que le nouveau dispositif est plus juste que l’ancien, mais rien n’est gagné sur ce terrain.

2 Les motifs du conseil sont plus que discutables

Le conseil constitutionnel ne reconnaît pas que le système européen de quotas est une charge publique pesant sur les entreprises au motif semble-t-il que ce n’est pas une charge fiscale ; il en déduit qu’il n’y a pas égalité devant l’impôt et que sont exonérés de la taxe une grande partie des entreprises qui devraient y être soumises au regard de l’objectif de la taxe carbone.

C’est un raisonnement étroitement fiscal qui s’oppose au raisonnement économique et au bon sens le plus élémentaire. Si un français était rationné , avec une pénalité en cas de dépassement de la ration allouée, il vivrait clairement cela comme une charge voire dans le vocabulaire courant comme un impôt. Les entreprises soumises à ETS (si les quotas sont assez serrés, mais ce vrai sujet n’est jamais abordé par le conseil) sont bien obligés de s’ adapter à cette contrainte et cela a un coût pour elles.

Le raisonnement du conseil est également étroitement juridique car si, dans ses attendus, la loi avait précisé que le dispositif mis en place visait, en complément des quotas , à limiter les émissions dans le secteur diffus, un spécialiste de droit constitutionnel, Guy Carcassonne, nous indique , en public1, que le texte n’aurait pu être invalidé.

3 Le gouvernement va compliquer le dispositif sans gain environnemental

La France ne peut pas aujourd’hui durcir sur la période 2008-2012 les quotas. Le gouvernement ne peut donc que revoir sa copie fiscale, en tenant compte de la seule observation irrévocable du conseil : la nécessité d’étendre aux entreprise soumises à l’ETS la contribution carbone. Ce faisant il ouvre néanmoins la possibilité de réduire le taux et de prévoir des compensations. C’est donc ce qui va être étudié. Naturellement le gouvernement ne va pas toucher au reste du dispositif qui , en creux, a reçu l’absolution du conseil et a, par ailleurs, fait l’objet des discussions politiquement les plus sensibles (ménages, pêcheurs, agriculteurs, transporteurs). Il va donc se limiter à compliquer le dispositif pour les entreprises soumises à ETS sans vrai gain environnemental, parce que le montant de la taxe sera réduit et que, de toute façon , les dites entreprises se montreront très peu sensibles à ce supplément fiscal. Si par hasard elles y étaient, elles pourraient en outre vendre des quotas à leurs consœurs européennes, ce qui annulerait au niveau européen les gains faits en France.

L’opinion va –t-elle s’y retrouver ?

Rien n’est moins sûr. Déjà la communication faite autour du Conseil a été une catastrophe pédagogique en ancrant dans l’opinion que les quotas européens sont en fait un cadeau aux grandes entreprises2 et qu’elles en paient rien tant qu’elles ne paient pas les quotas. Ensuite les inévitables marchandages auxquels nous allons assister vont renforcer dans l’opinion que, décidément, les lobbys nous gouvernent. Pendant ce temps là, le vrai sujet qui est celui de la nécessité de faire croître le prix du carbone et de gérer les transitions passe à la trappe. Les émissions diffuses (70% des émissions en France) croissent…

4 Que faire ?

La priorité serait sans doute de former aux enjeux écologiques et énergétiques les membres du conseil constitutionnel. Il serait ensuite nécessaire de prévoir (à l’occasion d’une autre révision) un toilettage de la constitution pour qu’il soit indiscutable constitutionnellement que des instruments de politique publique qui ne sont pas strictement des impôts mais jouent exactement le même rôle aient un statut équivalent au regard de l’égalité devant la charge publique.

Enfin, à court terme, il s’agit surtout de relever le débat , de prévoir d’ores et déjà la suite : augmentation progressive du taux, élargissement de l’assiette aux autres GES, définition de l’évolution des modes de redistribution quand le taux sera plus élevé (faut-il alors passer par une baisse des charges sociales ?), compatibilité de ce dispositif avec l’évolution de la directive européenne sur l’énergie. Au travail …

Alain Grandjean, économiste, http://alaingrandjean.fr/

1 Mines Paris-Tech, débat du 20 novembre, de 18 heures à 20 heures 

2 Cadeau se surajoutant dans l’opinion à la baisse de la TP