Le débat qui a suivi la présentation du rapport Rocard a pu faire naître le sentiment que la taxe carbone serait un impôt injuste. Nous allons montrer qu’il n’en est rien, bien au contraire, si on la compense adéquatement.
Le changement climatique en cours depuis quelques décennies est globalement bien compris. Ses impacts dans un scénario « tendanciel » seront dramatiques. Ce seront évidemment les plus pauvres qui en supporteront le plus durement les conséquences et ils ne pourront pas se payer les moyens, s’ils existent, permettant d’en tempérer les effets. Les causes du changement climatique font l’objet d’un large consensus scientifique. Ce sont les émissions de « gaz à effet de serre » (GES) , le gaz carbonique, le méthane, le protoxyde d’azote, et des gaz fluorés, d’origine anthropique qui sont à la manœuvre. Si l’on veut, pour des raisons socialement évidentes, éviter le scénario du pire, il faut réduire nos émissions annuelles de gaz à effet de serre (50 milliards de tonnes de CO2eq) de manière drastique d’ici 2050. Elles doivent en outre plafonner au niveau mondial dans les 10 prochaines années environ.
Sur le front énergétique, l’urgence est du même ordre. Nous approchons du « pic de production » du pétrole ; celui du gaz suivra puis celui du charbon. Le prix des énergies va augmenter inexorablement dans les prochaines années ; il est urgent de réduire fortement notre dépendance à l’égard des énergies fossiles. Sinon ce seront évidemment les plus modestes qui en subiront les conséquences les plus graves, comme on l’a déjà vu lors de l’envolée du baril à 140 dollars. La lutte contre le changement climatique et la conquête de notre indépendance des énergies fossiles, sont donc avant tout des nécessités sociales.
Malheureusement pour l’organiser il ne peut suffire de réduire émissions de gaz à effet de serre des plus riches. Les faits sont là. 75% des GES émis sur le territoire métropolitain sont liés à nos activités diffuses (transport, chauffage, agriculture, produits de la vie courante), seulement 25% sont dus aux gros émetteurs (principalement de gaz carbonique) que sont les producteurs d’électricité et de matériaux de base (ciment, acier, verre, papier…), qui sont soumis à des quotas. Les émissions de GES réalisées en France métropolitaine sont de l’ordre de 9 tonnes par habitant dont 6 à 7 pour le seul CO2. Si l’on tient compte en plus des émissions faites en amont hors de France (pour fabriquer les produits importés) l’empreinte carbone par français est estimée à environ 13 tonnes par habitant. Or en 2050 nous serons 9 milliards et nos émissions ne devront pas dépasser 20 milliards de tonnes, soit, dans un monde équitable, un peu plus de 2 tonnes par habitant. C ‘est 6 fois moins que ce chaque Français émet aujourd’hui directement ou indirectement. Nous sommes donc, du plus modeste au plus riche, bien au-dessus du plafond d’ émissions qui soit équitable et compatible avec la stabilité du climat. Le changement climatique et la pression sur l’énergie sont des effets de masse dus à la généralisation progressive à des humains de plus en plus nombreux d’un mode de vie carboné.
Pour réduire nos émissions, il est nécessaire que les gaz à effet de serre ait un prix. C’est le « signal » économique qui nous fera en tenir compte et agir. La priorité étant les énergies fossiles, la solution est d’ incorporer dans leur prix une taxe sur le carbone progressivement croissante : il sera alors rentable pour les ménages et les entreprises de faire des économies d’énergie et pour les entreprises de vendre des produits et services basse énergie et bas carbone. Nous pourrons en outre garder dans nos pays le produit de cette taxe plutôt que d’en faire bénéficier les Etats producteurs ou les compagnies pétrolières. Notre balance commerciale s’améliorera et l’emploi avec.
La solution la plus efficace et la plus juste pour lutter contre le changement climatique est donc bien la taxe carbone. Le mérite de la conférence d’experts et de la table ronde présidée par Michel Rocard aura été de montrer qu’il n’y a pas d’alternative à la contribution climat énergie si l’on souhaite mener une vraie politique de lutte contre le changement climatique.
Il n’en reste pas moins qu’il faut la rendre supportable aux ménages et entreprises dans la période de transition. En effet l’absence de taxe carbone dans les années passées a créé des situations difficiles, avec peu d’alternatives, mis des ménages dans des impasses. Elle a créé des injustices qu’il s’agit maintenant de corriger pour éviter des drames futurs.
C’est pourquoi il faut que ce prélèvement sur la consommation soit compensé par une baisse de charges pour les entreprises et par un retour vers les ménages, indépendant de leur consommation. Par exemple sous forme d’allocation forfaitaire (qui peut être modulée en fonction des revenus, de la distance au centre ville et qui peut tenir compte des situations de travail exceptionnelles comme des horaires atypiques). Cette redistribution peut être sous une autre forme, le débat est maintenant lancé.
Il faut également un ensemble de mesures d’accompagnement (crédit d’impôt, prêt à taux zéro, subventions, aides personnalisées) dont certaines ont été prises dans le cadre du Grenelle de l’environnement, pour faciliter une transition énergétique qui sera d’autant moins douloureuse qu’elle aura été anticipée.
Mais ne nous trompons pas de débat. Invoquer l’argument de la justice sociale pour s’opposer à la taxe carbone, c’est prendre une lourde responsabilité vis-à-vis des victimes présentes et futures du changement climatique et c’est enfoncer les plus modestes dans leur dépendance aux énergies fossiles.
Alain Grandjean
Ce texte a été également publié sur le site contre-feux.com.
6 réponses à “La taxe carbone, le plus juste des impôts”
Bonsoir
Très convaincant, bravo, et joli site d’ailleurs. Je ne savais pas que tu avais de tels talents informatiques ! Belle initiative en tout cas, et des vidéos… et également en tête des liens le site de Monbiot !
Benoit
Je dois ce blog et son design à Pablo.
Bonjour,
J’ai découvert ce site il y a quelques jours seulement par le biais du blog de Tristan Nitot ( http://standblog.org/blog/post/2009/09/08/A-propos-de-la-taxe-carbone#c11072 ).
Les sujets traités sont intéressants. Votre article ci-dessus est bien argumenté et intelligent. Merci pour votre implication pour la cause environnementale.
Guillaume
Merci de vos encouragements et de nous avoir indiqué le site de T. Nitot qui est une belle référence de cette belle matière qu’est le Libre.
Alain Grandjean
Bonjour,
Elève de Terminale, j’ai le plaisir d’ animer avec un collègue, une émission radio mensuelle sur RCF Hautes Alpes
traitant de l’actualité et des sujets de sociétés.
Ayant lu vos brillantes analyses sur la taxe carbone, je me permets d’oser faire
appel à votre expertise pour éclairer en quelques minutes nos auditeurs sur ce sujet complexe.
Vous serez-t-il possible de répondre à quelques questions par téléphone pour notre émission
enregistrée fin septembre.
En vous remerciant par avance veuillez
agréer mes respectueuses salutations
Antoine Roux
Ce serait avec plaisir, mais je suis provisoirement débordé. Merci de me relancer un peu plus tard.
Bien cordialement,
Alain Grandjean