L’un des donateurs[1] de l’association The Other Economy, que nous avons créée fin 2022, a soulevé deux questionnements intéressants à l’interface entre enjeux écologiques, économiques et sociaux. Les voici en synthèse :
1/ On entend souvent dans le débat public que la croissance serait nécessaire à la réduction des inégalités et à la justice sociale, ou que, en l’absence de croissance, les comptes publics d’un Etat providence serait « par nature » déséquilibrés. Ces affirmations sont-elles fondées ?
2/ Quelles devraient être les bonnes règles de gestion budgétaire d’une nation qui se retrouverait dans un « état stable », sans croissance ni décroissance ? Quel impact sur les dettes et déficits publics ? Si on maintient un déficit permanent dans un monde sans croissance, la dette ne va-t-elle pas progresser éternellement ?
Sans prétendre apporter des réponses définitives, vous trouverez ci-après les résultats des échanges que nous avons eu à la suite de ces questionnements. N’hésitez pas à réagir et à nous signaler des ressources complémentaires afin d’enrichir le débat !
Les questions initiales posées par notre lecteur
Croissance, inégalité et justice sociale
« Certains, parmi lesquels je me situe, considèrent que le débat croissance-décroissance doit être dépassé, le défi auquel nous sommes confrontés étant de trouver le chemin de la « meilleure prospérité », qui ne se réduit pas au seul PIB, dans un monde où les contraintes sont de plus en plus fortes (dérèglement climatique, disponibilité des ressources, effondrement de la biodiversité…).
Pour d’autres, la croissance doit être recherchée car elle serait une condition de la réduction des inégalités et de la justice sociale (laquelle repose en particulier sur un modèle « d’État providence » dont les comptes sociaux ont besoin de la croissance pour être équilibrés).
D’où ma première question : pourquoi la croissance serait-elle nécessaire à la réduction des inégalités et à la justice sociale qui appellent plutôt, me semble-t-il, une juste répartition des revenus, quel que soit le niveau de la production de richesse (nul besoin de produire beaucoup ou toujours plus pour distribuer sans attendre équitablement). Pourquoi, en l’absence de croissance, les comptes de l’État Providence seraient-ils « par nature » déséquilibrés. Je ne vois aucune fatalité à ce que l’on ne sache pas équilibrer les recettes et les dépenses. Que ce soit difficile est une chose, dire que c’est impossible en est une autre »
Croissance / état stable, dette et déficit public.
« Je ne suis pas un « décroissant » au sens qui signifierait que nous devrions, en France, nous « astreindre » à baisser notre production de richesse (c’est-à-dire à faire de la décroissance un « instrument de la transition »), mais je lis tout de même qu’il existe des risques substantiels que la transition écologique vienne plutôt peser sur la croissance que la stimuler. Certains vont même jusqu’à dire que la décroissance va nous tomber dessus fatalement du fait des limites planétaires. Du coup je me pose la question théorique de ce que devraient être les bonnes règles de gestion budgétaire d’une nation qui se retrouverait dans un « état stable », sans croissance ni décroissance. Je lis souvent, en particulier chez les économistes qui appartiennent au courant de pensée dans lequel vous semblez vous situer, qu’il ne faut pas diaboliser les déficits et la dette publics.
Tout en comprenant l’importance de mobiliser les budgets publics pour mener la transition, ces prises de positions me semblent s’appuyer elles aussi sur des hypothèses de croissance perpétuelles. Dit autrement, je me demande si l’absence de croissance, ou plutôt un état stable n’oblige pas tout de même à rechercher un équilibre des finances publiques. Si on maintient un déficit permanent dans un monde sans croissance, la dette n’est-elle pas vouée à progresser éternellement ? Si c’est exact, est-ce vraiment envisageable ou cela n’oblige-t-il pas de temps en temps à purger partiellement au moins cette dette, soit par l’inflation, soit en l’annulant, ce qui reviendrait à sacrifier une partie de l’épargne qui la finance ?
Notez que je ne veux pas dire qu’il ne faille pas dans les années à venir continuer à augmenter la dette pour financer la transition. J’essaye juste de raisonner dans le cadre d’un monde post-transition qu’on pourrait souhaiter dans quelques décennies. J’ai besoin de me projeter sur une telle perspective car je crois en particulier que tenir un propos clair sur cette question aujourd’hui peut être une manière d’apaiser les inquiétudes sur l’effet des déficits que nous aurons très nécessairement à financer dans les années à venir et qui doivent nous permettre de sortir du très mauvais pas dans lequel la menace climatique nous a mis. »
Les résultats de nos échanges
1. Comprendre de quoi on parle : PIB et croissance sont, comme toutes les statistiques, des données construites et faisant l’objet de très nombreux arbitrages conventionnels.
En préalable, il est important de bien comprendre de quoi on parle : Qu’est-ce que le PIB ? Qu’est-ce que la croissance ? Comment sont-ils calculés ? En effet, nombre de ceux qui parlent de croissance ou du PIB ne savent pas réellement ce qu’il y a derrière. Nous n’entrons pas ici dans ces explications car nous les avons largement développées dans le module PIB, croissance et limites planétaires de The Other Economy.
Insistons surtout sur le fait que PIB et croissance sont des données construites qui ont évolué dans le temps et qui continueront à évoluer. En voici quelques exemples (également développés dans le module PIB, croissance et limites planétaires) :
- L’économie « non observée » (travail non déclaré, fraudes, et activités illégales) sont estimés dans le PIB (et il est évident que cela ne contribue pas à l’État Providence).
- Jusque récemment, les dépenses de Recherche & Développement étaient classées comme consommation intermédiaire (donc non incluses dans le PIB). A partir de 2014, la convention statistique évolue : elles sont désormais classées parmi les investissements donc incluses dans le PIB. Cela change évidemment le niveau du PIB nominal de 2014 ! A noter que, quand ce type de changement est réalisé, les comptables nationaux refont les calculs pour les années antérieures de façon à avoir les mêmes règles dans le temps. Ceci étant dit, l’impact sur la croissance peut tout de même être important (par exemple, pour un pays menant à partir d’une certaine date une politique volontariste de développement de la R&D).
- Concernant le futur, l’exemple irlandais (avec un PIB totalement surévalué par rapport à la structure productive du pays _ voir ici) montre de façon extrême à quel point les modes de calcul actuels du PIB rendent difficile l’attribution d’une production à un territoire donné du fait du développement des chaines de valeur mondialisées et la part importante des actifs immatériels (logiciels, R&D, bases de données, marques etc.)
2. Croissance, dette et déficit publics
Sur le sujet de la poursuite de la croissance, il est important de bien distinguer deux périodes :
1/ Celle de la transition c’est-à-dire de la transformation massive du système productif actuel d’un modèle très carboné, consommateurs et destructeurs de ressources naturels et générateur de pollutions vers un modèle plus sobre et moins destructeur. (Sur ce sujet, il est également nécessaire de faire une distinction selon le niveau développement de chaque pays _ voir point 3 ci-après).
2/ L’état de l’économie une fois que cette transformation a eu lieu, et qui pourrait être une économie « globalement » stationnaire au niveau mondial (hors aléas conjoncturels toujours possibles).
Pour réaliser la transformation des pays « développés » il faudra :
- Investir beaucoup : il s’agit en effet de transformer l’ensemble du capital productif actuels (réseaux d’eau, d’énergie, de transport, de communication ; production d’énergie ; gestions des déchets, parcs de machine, de bâtiment, de véhicules, process industriels etc.) afin de le décarboner, de le rendre plus économe en ressources, moins polluant etc. Cela implique d’investir d’un côté (pour rénover les infrastructures, les bâtiments, dépolluer les sols, transformer le modèle agricole etc.) et de « désinvestir » de l’autre (une partie du capital productif existant ne pourra pas être entièrement reconverti ou perdurer dans un monde qui a réussi sa transition : centrales électriques fossiles, oléoducs, outil de production des industries du tout jetable etc.)
- Réduire nos consommations et faire évoluer fortement nos secteurs de « consommation » donc de production (et donc accompagner et investir dans les transitions professionnelles) : consommer nettement moins de ressources naturelles implique de consommer moins de biens et services. Pour prendre l’exemple du textile, dans une économie qui a réussi sa transition les modèles de fast fashion ne peuvent que disparaître au profit de filières de vêtements beaucoup plus durables, réparables, réalisés à partir de matières facilement réutilisables et recyclables.
- Relocaliser partiellement afin de rapprocher les sites de production des lieux de consommation afin de renforcer la résilience des économies et également réduire les transports (et pollutions associées) au niveau mondial.
Tout cela aura (si on le met en œuvre !) des effets en sens variés sur le PIB dont on ne peut pas savoir à l’avance si cela se manifestera par de la croissance ou de la décroissance dans la période de transition. On est sûr par contre que cela changera profondément le contenu du PIB.
Certains travaux économiques comme le récent rapport sur Les incidences économiques de l’action pour le climat, de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz tentent d’estimer ces effets. Cependant la lecture de ces rapports ne permet pas de vraiment conclure quoi que ce soit en termes d’impacts sur le PIB. D’une part, ces travaux reposent sur des modèles macro-économiques aux hypothèses méthodologiques beaucoup trop simplificatrices du monde réel (postulat d’une croissance éternelle du PIB en l’absence de toute intervention, hypothèse de rationalité des agents, équilibre général ou partiel etc.[2]). D’autre part les incertitudes sont innombrables (notamment en ce qui concerne les politiques publiques mises en œuvre ou les choix technologiques) et les éléments pris en comptes sont nécessairement restreints (le nombre de secteurs économiques considérés est limité, seul l’aspect réduction des émissions de gaz à effet de serre est intégré mais pas celui sur la réduction de l’usage des ressources naturelles ou des autres pollutions). Par ailleurs, ces modèles ne tiennent pas compte des rétroactions des effets du réchauffement climatique sur l’activité économique ou alors de façon particulièrement contestable[3].
Dans tous les cas, s’il est un point de consensus c’est que les évolutions nécessaires vont générer des besoins de financement qui peuvent être provisoirement très élevés.
Seulement cette question du financement n’est pas le premier problème : l’économie « réelle », physique (le climat, les matières premières, les compétences etc.) sera nettement plus contraignante.
Dette et croissance : est-ce vraiment le sujet ?
– Commençons par un éclaircissement : un déficit permanent entraine une augmentation de la dette en valeur absolue qu’il y ait croissance du PIB ou pas. Par contre, avec de la croissance le rapport dette / PIB peut baisser (voir ici) mais cet indicateur ultra dominant aujourd’hui (en particulier en Europe du fait des règles du Pacte de Stabilité et de Croissance) n’est pas nécessairement pertinent[4].
– En théorie, la dette (qu’elle soit publique ou privée) est sensée permettre d’investir c’est-à-dire de préparer l’avenir. Les gains futurs liés à l’investissement devraient permettre de rembourser la dette. Il y a donc là deux questions fondamentales : que finance la dette (les dépenses actuelles ou un patrimoine valorisable dans le futur[5]) ? Et, comment est définie la valeur (s’agit-il uniquement de gains financiers calculés selon les méthodes actuelles ou alors peut-on considérer que la préservation du patrimoine naturel a de la valeur même si ce n’est pas comptée monétairement[6]) ?
– Plus généralement, il est important de comprendre que si la dette publique est souvent présentée comme une question technique c’est en fait un débat profondément politique, qui sous-tend de nombreux choix de politiques publiques impactant notre façon de faire société (champs des services publics, niveau de l’investissement public, des prestations sociales, niveau et assiette des prélèvements obligatoires, modalités de financement de l’État hors fiscalité). Depuis longtemps, nous soutenons le fait qu’il faudrait séparer les dépenses qui relèvent d’aujourd’hui (et les financer par l’impôt) et celles qui relèvent des investissements pour le futur (à financer par la dette ou par la création monétaire publique, sujet tabou !).
Nous ne disons pas que la dette est une panacée mais que les niveaux actuels de dette ne doivent pas empêcher les investissements nécessaires à la transition écologique.
– Il est arrivé à de nombreuses reprises dans l’histoire que la dette publique soit « purgée » (à commencer par l’annulation de la dette allemande, consécutive au deux guerres mondiales).
– A noter que dans un monde post transition, il y a aura quand même besoin d’investissements.
Faudra-t-il alors avoir recours à la dette, à la création monétaire, à la fiscalité, à des dispositifs tels le circuit du trésor, ou inventer encore autre chose ? C’est difficile d’y répondre aujourd’hui (d’autant qu’on ne sait pas si un tel monde existera vraiment !).
Une chose est sûre cependant : l’argent est une convention humaine, nous pouvons donc changer les règles. Ce n’est pas le cas de la réalité physique du monde.
3. Croissance, inégalité et justice sociale
Il faut distinguer la question de la pauvreté et celle des inégalités.
Le débat n’est pas le même dans les deux cas.
La taille du PIB (qui a pour objet de refléter le niveau de la production) est importante pour savoir si un pays produit suffisamment pour subvenir aux besoin de sa population (ou générer via des exportations les revenus nécessaires pour importer ce qui lui manque _ à noter que sur ce dernier point, le fait que la monnaie soit convertible ou non et le taux de change sont fondamentaux_ voir ici ).
En gros, si le gâteau est trop petit il y a aura de la pauvreté et de la précarité dans le pays concerné.
C’est pourquoi la question de la croissance ne se pose pas du tout dans les mêmes termes dans nos pays et les pays les plus pauvres[7].
Concernant la question des inégalités, vous avez raison il s’agit avant tout d’une question de répartition.
En cela, il n’y a pas de lien mécanique entre croissance et inégalités : la croissance augmente la taille du gâteau, mais rien n’assure que la différence entre les plus pauvres et les plus riches se réduira au même rythme. Ainsi, il existe des exemples de pays où la croissance du PIB est concomitante de la croissance des inégalités.
C’est ce que montre par exemple l’évolution du coefficient de Gini[8] des États-Unis, première économie mondiale (voir les données sur le site de la Banque Mondiale).Selon l’OCDE, « au cours des trente dernières années, le fossé entre riches et pauvres s’est creusé dans la plupart des pays de l’OCDE tandis que le coefficient de Gini progressait de trois points, pour atteindre une valeur moyenne de 0,32. » (source ici). Voir aussi les travaux de Piketty sur les inégalités au niveau mondial.
Ce sont bien les mécanismes distribution des revenus, de transferts et de redistribution (et non la croissance en elle-même) qui permettent la baisse des inégalités via :
1. Des dispositifs réglementaires avec en particulier le droit du travail (le salaire minimum, la plus ou moins grande « flexibilité » du travail notamment en matière de travail précaire, les limites au temps de travail etc.), mais aussi l’imposition d’écarts de revenus maximum dans les entreprises publiques (une idée complémentaire serait d’obliger les administrations publiques ou les entreprises à tenir compte des écarts de rémunération dans les critères leur permettant de choisir les entreprises privées répondant à des appels d’offre).
2. La fiscalité qui peut permettre de réduire les écarts de revenus et/ou de patrimoine.
3. La protection sociale : c’est à dire les mécanismes collectifs d’assurance des citoyens contre les risques sociaux (selon les systèmes les risques couverts ne sont pas les mêmes : vieillesse, invalidité, maladie, précarité et pauvreté, perte d’emploi, logement, arrivée d’un enfant etc.)
Il existe différentes façons de catégoriser les modèles de protection sociales : i/ modèle universaliste (touche tout le monde) vs limités à certaines catégories de populations (droits ouverts via le travail salarié) ii/ financement par l’impôt ou par les cotisations assises sur le travail iii/ logique assurantielle (cotisation en fonction de ses moyens) vs assistancielle (prestations en fonction des besoins minimaux des gens et pas de droits ouverts via des cotisations). Les différents systèmes vont évidemment emprunter plus ou moins à chacune des catégories[9].
4. L’existence de services collectifs publics plus ou moins gratuits (éducation et hôpital public mais aussi existence de transport en commun publics, accès à la culture plus ou moins couteux etc.)
> Ce dernier point dépasse celui des seules inégalités monétaires parce que si la dimension financière est importante, ce n’est pas la seule. Par exemple, à revenu équivalent, ce n’est pas du tout la même chose d’être pauvre en France, où l’école et l’hôpital sont gratuites, et aux États Unis où ce n’est pas le cas. Sur ce sujet l’INSEE a fait une fiche très intéressante montrant l’impact des prestations sociales et des dépenses collectives sur la réduction des inégalités.
Les différents points ci-avant permettent de comprendre que la question des inégalités n’est pas uniquement liées à l’État Providence : en lui-même l’impôt assure déjà une réduction des inégalités, de même que les dispositifs légaux et réglementaires.
Concernant l’argument selon laquelle la croissance serait nécessaire au financement de l’État providence.
Sur ce point, il faut tout d’abord bien comprendre les deux termes de l’équation.
- Les besoins.
Les besoins de protection sociale ne sont pas donnés une fois pour toutes. Ils évoluent en même temps que la société à la fois dans les attentes de la société (droit au logement par exemple) et de la structure de la société (notamment démographique). Ainsi, les besoins en termes de retraites augmentent avec l’allongement de l’espérance de vie. De même, le fait de vivre de plus en plus vieux crée un nouveau besoin : celui d’accompagner la dépendance des personnes âgées voire très âgées. Notons que le dérèglement climatique et plus largement la crise écologique, vont générer de nouveaux risques et donc de nouveaux besoins qui ne seront pas nécessairement couverts par les assureurs privés.
- Les recettes.
Les points 3 et 4 ci-avant relèvent des dépenses publiques (que ce soit de la dépense budgétaire stricto sensu ou des transferts sociaux transitant par un organisme de sécurité social)
Ils sont donc financés par les administrations publiques et en premier lieu par les prélèvements obligatoires (taxe et impôts d’un côté, cotisations sociales de l’autre voire un mix des deux) or les assiettes de financement sont plus ou moins sensibles à la conjoncture économique.
Par exemple, il est évident que si l’assiette c’est le travail (ce qui est le cas des cotisations sociales), un fort taux de chômage fait baisser les ressources (tout en augmentant les dépenses). Si l’assiette c’est la consommation (TVA, taxes sur l’énergie), une crise économique provoquant une contraction de la demande réduit les ressources. Par contre, la taxe foncière ou la taxe d’habitation sont moins sensibles à la conjoncture.
C’est pour cela que le lien est systématiquement fait entre croissance économique et financement de l’État providence. Si les besoins augmentent, il faut plus d’activité économique (donc de la croissance) afin de générer plus de ressources pour pouvoir financer lesdits besoins. Si l’activité se rétracte, les ressources diminuent et les besoins existants ne peuvent être financés.
Plusieurs argument peuvent cependant être opposés à ce raisonnement qui conditionne le financement de notre modèle social à la poursuite de la croissance :
- Plus de croissance ne veut pas nécessairement dire plus d’emploi[10]. C’est le cas, si les « fruits de la croissance » se traduisent en hausse des profits plutôt qu’en création d’emploi (ou en hausse des salaires). C’est le cas également si la croissance est tirée par des secteurs hautement technologiques employant peu de travailleurs très qualifiés, (et potentiellement pas mal de travail précaire) ce qui est le cas du secteur du numérique. Cela pose évidemment un problème en matière de ressources publiques. Cela pose également un problème si les impositions sur les profits des entreprises et sur les haut revenus sont plafonnés à des niveaux relativement bas.
- Il y a des liens entre ressources et dépenses : par exemple réduire les écarts de revenus dans les entreprises a un impact sur les ressources (plus de gens ont des niveaux de salaire suffisants pour payer des impôts sur le revenu, pour payer des cotisations sociales) et potentiellement sur les besoins également (moins de travailleurs précaires, c’est potentiellement moins d’aides ciblées).
- Il faut bien faire attention avec les exercices prospectifs qui projettent des dépenses à long terme. Ils se fondent, en effet, sur des hypothèses : le choix des paramètres est déterminant dans les projections à long terme. Le débat actuel sur les retraites en fournit un bon exemple : les scenarios retenus en matière de hausse de l’espérance de vie, et de niveau du solde migratoire creusent les déficits à long terme alors qu’ils ne sont pas cohérents avec les évolutions observées lors de la dernière décennie.[11]
- On peut également réfléchir sur les besoins. Par exemple, concernant le domaine de la santé, une grande part des dépenses concerne les maladies chroniques (diabètes, cancer, maladies cardio-vasculaires), qui sont en partie liée à l’hygiène de vie : consacrer des moyens conséquents à des politiques d’éducation et de prévention pourrait donc être un bon investissement à long terme (éducation à l’alimentation, développement du sport, tabac, alcool etc.). On pourrait aussi imaginer de faire monter en compétence la population en général en matière de santé par exemple en développement massivement des formations aux premiers secours. Réfléchir également sur la consommation de médicaments, et sur le fait que les systèmes de santé ont tendance à favoriser la prise trop importante de médicaments[12]. Enfin, se pose la question de jusqu’où on va dans le soin : à quel moment met-on un frein à l’acharnement thérapeutique ?
- Enfin bien sûr se pose la question des modes de financement de l’État avec d’un côté les prélèvements obligatoires (et la réflexion sur quelle assiette, ou quel type de population repose l’impôt sans oublier l’évasion et la fraude fiscale) et de l’autre la question du recours à l’emprunt et de la création monétaire.
Pour conclure sur ce point, la gestion de l’équilibre besoins / ressources pose la question démocratique des arbitrages qui devront être menés, et qui se complexifieront avec la matérialisation croissante des dégâts écologiques. Face à cette réalité, la préservation de notre modèle social ne pourra pas être résolue par un appel constant à la croissance dont on ne sait pas si elle restera possible, ou à quel niveau, face aux contraintes auxquelles nous faisons face (limites planétaires). C’est pourquoi il est fort dommageable que si peu de travaux de macro-économie se penchent concrètement sur les questions soulevées par cet article.
Marion Cohen et Alain Grandjean
Une réponse à “La croissance est elle nécessaire pour financer la dette publique et la protection sociale ?”
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