Le 18 Juin 2015, nous remettions au Président de la République le rapport « Mobiliser les financements pour le climat, une feuille de route pour financer une économie décarbonée », pour lequel nous avions été missionnés six mois plutôt . Ce travail était une commande de la France dans le cadre de sa présidence de la Cop21. Il en est ressorti une feuille de route en dix recommandations. Notre propos est ici de faire un point rapide, cinq ans après, sur ce qu’il en est advenu. Il s’agissait d’un travail collectif à plusieurs niveaux. Nous avons interrogé quelques 80 représentants d’acteurs importants de la finance climat, en France comme à l’étranger (la liste des auditions figure dans le rapport). Nous avons également travaillé sur ces recommandations avec le Secrétariat Général de l’Elysée, le ministère des Finances et celui de l’Environnement de l’Energie et de la Mer.
Notons que nous avons développé certains aspects de ce rapport dans notre ouvrage Financer la transition énergétique paru aux Editions de l’Atelier en 2016, qui a obtenu le Prix de l’Association des Economistes de l’Energie. Nous avons également contribué au contenu pédagogique d’un Mooc trilingue développé sur la plateforme Coursera avec l’AFD et l’ENS. Les vidéos sont toujours disponibles.
Recommandation 1 : Instaurer un suivi de la feuille de route du financement d’une économie décarbonée pour assurer sa pérennité au delà de la Cop 21 : le FMI et la Banque Mondiale pourraient être chargés de sa supervision et de la mise en œuvre.
Cette recommandation est partiellement atteinte. L’UNFCCC, en liaison avec l’OCDE, assure un suivi des financements climatiques mobilisés par les pays développés. Cependant, ce suivi est limité aux financements mobilisés par le secteur public dans le cadre du suivi d’indicateurs précis. Le suivi des financements privés reste multiple et peu précis, en l’absence d’une définition précise de ce qu’est « un financement climat », de la mise en place des indicateurs correspondants. Le FMI et la Banque Mondiale ne se sont pas emparés du sujet.
Recommandation 2 : Mettre en place un signal prix carbone, avec comme objectif de viser une cible de 60 à 80 dollars la tonne selon le niveau de développement.
Cette recommandation n’est pas atteinte. Le rapport Stern Sitglitz de mai 2017 auquel nous avions également contribué avait pourtant appuyé la nécessité de cet objectif, et rehaussé le niveau du prix souhaitable. C’est bien évidemment un des points d’achoppement majeurs de la construction d’une économie décarbonée, car un prix explicite du carbone rendrait non seulement les investissements carbonés moins rentables, mais aussi et peut être surtout rendrait les investissements dans la transition rentables, permettant ainsi le décollage de la nouvelle économie nécessaire à notre survie physique autant qu’économique. L’échec à faire monter le prix effectif du carbone, malgré l’accord désormais unanime des instances économiques, inscrit clairement la question de l’atteinte de cet objectif dans le champ politique.
Recommandation 3 : Intégrer le climat avec un scénario 2° dans les modèles macroéconomiques.
Cette recommandation n’est pas atteinte. Des travaux visant à faire des stress tests climatiques sont désormais réalisés dans le cadre de la coalition NGFS des banques centrales. Cependant, ces travaux sont axés sur les risques que le changement climatique fait courir au système financier. C’est une question certes importante, mais très différente de celle que le changement climatique fait courir à l’ensemble de l’économie, ou plus largement aux humains et au vivant. Il reste des travaux considérables et essentiels à faire pour :
1. Déterminer ce qu’est un « scénario 2° » : les scénarios développés notamment par la Commission Globale sur l’économie et le climat ne sont pas suffisamment développés pour servir de base à des scénarios détaillés : définir ce qu’est vraiment la transition écologique reste à faire.
2. Intégrer les prévisions climatiques dans les modèles économiques, ce qui nécessite de revoir complètement le champ de l’économie (voir par exemple la note suivante sur les modèles économiques) L’approche initiée par le « prix Nobel » d’économie William Nordhaus est une impasse et a fait perdre beaucoup de temps. Celle qui est suggérée dans le rapport Green Swan de la BRI (qui part du constat d’une incertitude radicale) est sans doute plus pertinente, mais suppose encore beaucoup de travail.
Recommandation 4 : Réaliser des stratégies nationales de financement de la décarbonation de l’économie.
Cette recommandation n’est pas atteinte. L’UNFCC a bien abouti à des stratégies économiques de décarbonation des économies nationales, appelées INDC. Cependant, la somme de ces stratégies n’est aujourd’hui pas compatible avec un objectif global de 2°C. De plus, ces stratégies économiques n’ont pas fait l’objet d’une traduction en termes de plan de financement. Cette question renvoie à la précédente d’un scénario « base line » au niveau mondial pour atteindre les 2°C. La France a bien fait une Stratégie Nationale Bas Carbone mais son financement sur la durée n’est pas assuré.
Recommandation 5 : Demander à chaque banque de développement de définir une feuille de route d’investissements compatibles avec le maintien sous les 2°C
Cette recommandation est partiellement atteinte. La plupart des banques multilatérales de développements, regroupées notamment dans le cadre de l’IDFC, ont désormais des engagements et des feuilles de route 2°. Là encore, comme pour les engagements nationaux, la compatibilité de ces scénarios maison avec un scénario plus global reste à établir.
Recommandation 6 : Utiliser de manière plus intensive au sein des banques de développement les outils à fort effet de levier comme les garanties et la dette subordonnée pour réduire le coût des financements climat.
Cette recommandation est partiellement atteinte, les banques de développement ayant augmenté leurs financements climat même si d’importants progrès restent à faire. (Voir par exemple le rapport d’Oxfam sur l’AFD, la BEI et BPI export – 2019 ; ou celui de Counter Balance sur la BEI- 2020).
On peut penser que le coût global des financements a diminué, dans un contexte de forte baisse des taux. Cependant, il est à craindre que le coût des financements baisse pour un certain type de projets climats, les énergies renouvelables et les projets d’efficacité énergétique notamment, tout en laissant des pans entiers des besoins climat comme l’adaptation, ou des technologies bas carbones innovantes, ou de déploiement d’infrastructures nouvelles d’électrification, non financés, car encore trop chers, étant considérés comme trop risqués. Une étude plus précise de l’évolution des financements climats des banques de développement pemerttrait de confirmer ou d’infirmer ce point.
Recommandation 7 : Ancrer dans le programme de travail du G20 les recommandations à venir du conseil de stabilité financière
Cette recommandation a été suivie d’effet, et le FSB (conseil de stabilité financière) s’est en effet saisi de la question des impacts potentiels du changement climatique sur la stabilité financière. Comme indiqué cependant, le lien entre cette avancée et l’atteinte des objectifs 2° n’est pas direct, loin s’en faut.
Recommandation 8 : Faire établir par la BRI des mécanismes permettant d’établir des stress tests climat pour les banques et les compagnies d’assurance.
Cette recommandation est atteinte pour les banques, avec la remarque précédente sur le cadre et les objectifs de ces stress tests. Le secteur des compagnies d’assurance, lui, est resté largement en dehors du champ de cette avancée.
Recommandation 9 : Mettre en place un système de suivi public des engagements des acteurs financiers à intégrer le risque climat, à mesurer les émissions de GES induites par leurs financements, et à financer davantage l’économie verte.
Cette recommandation est largement atteinte, notamment dans le cas de la France. Cependant, le système de suivi est basé sur un reporting volontaire des acteurs, et non sur une base de données publiques. Les méthodes de reporting sont très différentes, rendant la consolidation imparfaite (voir les travaux de l’AMF à ce sujet). La mesure des émissions induites par le secteur financier est encore partielle, car limitée à leurs financements directs à l’économie réelle (voir par exemple une note de Carbone 4 sur ce sujet). Il reste un champ entier d’investigation sur l’essentiel du bilan des banques, qui concerne des produits financier dérivés non liés à l’économie réelle, mais pas pour autant sans effet sur les émissions, ainsi que sur les acteurs financiers non régulés (hedge funds etc….). Les asset managers et asset owners améliorent leurs évaluations. Mais insistons sur le fait qu’ intégrer le « risque climat pour le secteur financier » n’est pas la même chose que d’intégrer « le risque climat pour l’ensemble de l’économie ».
Recommandation 10 : Adopter la méthode développée par l’OCDE en Juin 2015 pour analyser l’alignement des politiques publiques au regard des engagements climat
Cette recommandation est partiellement adoptée. La France a publié un rapport « Green Budgeting » et l’OCDE travaille sur ce sujet avec plusieurs pays. Cependant, la recommandation faite en 2019 par le Haut Conseil pour le Climat mesurer l’impact GES de toute nouvelle législation n’a pas été retenue. Seule une approche globale de ce type permettrait de mesurer l’alignement ex ante, en se donnant ainsi les moyens d’atteindre un objectif, plutôt que ex post, où on mesure l’écart de non réalisation.
Conclusion
Cinq ans après la Cop21, les émissions de GES continuent d’augmenter, et le budget carbone permettant de limiter le réchauffement à 2°C impose maintenant une action extrêmement rapide, dans les 10 à 15 ans qui viennent (voir images ci-après). La Cop 21 aura eu le grand mérite de porter la question climatique à l’attention d’un public beaucoup plus large, comme le prouvent les manifestations citoyennes très nombreuses observées dans plusieurs pays. La pandémie mondiale est un bouleversement majeur qui aura des conséquences profondes sur les plans économique, social et politique. L’une de ses conséquences est l’ouverture de capacités budgétaires massives pour les Etats. En théorie, il est possible d’utiliser ces capacités au bénéfice de la lutte contre le changement climatique. En pratique, c’est une question de choix de politiques économiques. Les cinq ans qui viennent de s’écouler ont montré que ces choix ne se font pas dans la direction d’une baisse des émissions, et cinq précieuses années ont été perdues de ce point de vue. Plus que jamais, les citoyens engagés pour le climat doivent peser de tout leur poids sur la décision économique.
Alain Grandjean et Mireille Martini