Peut-on injecter de la monnaie pour la transition énergétique alors que le système bancaire croule sous les liquidités ?

Comme le montre l’économiste Patrick Artus[1], la base monétaire mondiale, c’est-à-dire la monnaie créée par les banques centrales (Fed aux USA, BCE pour la zone Euro et autres grands pays) est surabondante, après les injections  qu’elles ont opérées pour éviter les risques d’effondrement du système bancaire[2] dans l’ensemble des régions du monde.

Comment alors oser  imaginer tirer encore sur la « planche  à billets » pour financer un plan Marshall  énergétique ?

Tout d’abord la monnaie centrale n’inonde pas automatiquement l’économie réelle. L’immense majorité de cette base monétaire est de la monnaie de compte à disposition des banques secondaires pour les opérations interbancaires et  pour  placement à la Banque Centrale.  Cette monnaie scripturale ne circule pas dans l’économie. Seuls les billets le font, et ils ne sont imprimés qu’à la demande des utilisateurs finaux ; cette émission-là est, pour une période donnée[3], en fait déterminée par l’activité économique.

 

Même pas mal donc ?

 

Si ! Car  cette abondance de liquidités autorise les banques à financer (par prêts)  toutes les opérations qu’elles jugent suffisamment rentables. Si, comme il est probable, il s’agit d’opérations sur les marchés financiers, la suite de l’histoire est la création de nouvelles bulles financières. Les matières premières agricoles ou non, le pétrole, les obligations spéculatives[4], l’immobilier…les supports et l’imagination ne manqueront pas !

 

Comment faire donc pour éviter d’alimenter cette chaudière infernale ?

 

1 Le plan Marshall de la transition énergétique et écologique doit impérativement être organisé de sorte de financer les projets désirés au moment où ils ont besoin d’être financés. Il faut créer des circuits financiers spécialisés et n’injecter la monnaie qu’au fur et à mesure des besoins. Pour reprendre la célèbre image de Milton Friedmann, il n’est pas question de balancer par hélicoptère des tombereaux de billets sur l’économie. Par ailleurs, les montants en jeu sont en fait très inférieurs aux sommes évoquées ci-dessus. Pour la zone Euro un plan Marshall énergétique pèserait 2 à 3% du PIB par an pendant 10 ans, soit  200 à 300 milliards par an.

2 Par ailleurs il faut limiter le recours à la monnaie centrale (injectée dans l’économie via une banque publique par exemple) grâce au levier classique d’une banque de second rang créatrice de monnaie. Elle peut prêter  environ un montant 10 fois supérieur à la monnaie centrale dont elle dispose. Cela réduirait d’un facteur 10 le montant évoqué ci-dessus.

3 La réglementation bancaire doit être durcie et élargie au « shadow banking » pour limiter les opérations spéculatives, dont la rentabilité excessive continue à pousser les banques à en faire leur priorité.

4 Les excès de monnaie centrale sont déjà en soi un problème. Il s’agit donc dès aujourd’hui de mettre en place des procédures qui permettent de les absorber, ce qui est techniquement à la portée des banques centrales. Il s’agit en effet de prêts aux banques ; il suffit de régler leur taux pour inciter les banques à les rembourser. Si à ce jour cela n’est pas fait en Europe, c’est que la BCE est encore très inquiète des risques de faillite des établissements bancaires qu’elle soutient ainsi. Ce risque ne disparaîtra pas en Europe tant que la crise économique s’aggravera, conséquence inéluctable des politiques d’austérité. Un plan Marshall européen permettant de sortir de cette crise, il contient en lui-même les ingrédients de ce réglage.

 

Conclusion

 

Non seulement la création monétaire de la Banque Centrale Européenne est la voie de la solution pour financer un plan Marshall énergétique mais elle permet, paradoxalement,   d’en finir avec les excès de liquidité de monnaie centrale qui pourraient conduire à l’explosion d’une nouvelle bulle spéculative.

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[1] Patrick Artus, L’économie mondiale est dopée à la liquidité : que va-t-il se passer après ? Flash Economy, Natixis, 11 janvier 2012 – N°. 25, cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=61783

[2] Rappelons en effet que ces opérations ont eu pour but non pas de « sauver les économies ou les Etats concernés, mais bien les banques.

[3] Le poids relatif  des billets dans la masse monétaire dépend aussi de données structurelles qui évoluent assez lentement (la pénétration du paiement par carte bleue par exemple)

[4] Voir par exemple l’article des Echos du 22 octobre : ‘L’engouement pour les fonds européens de dette spéculative repart de plus belle »