Dette publique, inflation et l’évolution du PIB : un échange avec François Carlier.

François Carlier :
Je te signale l’article 2010 de Kenneth Rogoff 1dans l’AER : approche historico-économique des agrégats dette/pib, évolution du PIB et de l’inflation sur une très longue période dans tous les pays mesurables. Ce papier est assez discuté en ce moment sur le web.

J’en tire deux enseignements pour  les pays développés (c’est différent pour les pays émergents) :

1- Le ratio Dette/PIB et l’évolution du PIB sont décorrélés SAUF quand le ratio dette/PIB dépasse 90 % et là ça plombe. C’est la vérification sérieuse que dans notre situation, la dette va réellement nous plomber.

2- Le ratio dette/PIB et l’inflation sont assez décorrélés (sauf aux USA)

On a donc vérifié que l’heure est non conventionnelle et qu’une dette supérieure à 90 % pose avant tout un problème de croissance.

Concernant  l’inflation  le même  Rogoff  dit « tablons sur 6 % d’inflation par  an pendant deux ans car sinon c’est la catastrophe déflationniste ». D’autres économistes vont dans le même sens. (http://www.bloomberg.com/apps/news?pid=20601109&sid=auyuQlA1lRV8)

Dean Baker va un peu plus loin. http://www.contreinfo.info/article.php3?id_article=3049
Il s’agit tout simplement de revendiquer un taux d’inflation supérieur aux normes maastrichiennes (et non plus seulement de dire « ce n’est pas grave si l’inflation décolle un peu » là l’inflation devient transitoirement une chose utile).
Au dela du gain global positif j’ai commencé à lister les gagnants perdants sur l’ensemble de la société et ca me parait pas mal en fait.

Conclusions :

La monétisation ne va pas forcément créer inflation forte.
Il est nécessaire en plus  de remettre en cause l’objectif d’inflation faible.

Je finis par un contre point qui me fait rire dans le buttonwood de The Economist : la ketchup theory, tu tappes sur la bouteille de ketchup rien ne sort, tu tappes encore rien ne sort, tu tappes encore et la moitié de la bouteille est dans l’assiette. C’est pareil pour la monétisation : tu monétises, pas d’inflation etc puis à un moment à force de monétiser c’est l’hyperinflation.
http://www.economist.com/blogs/buttonwood/2010/05/inflation_and_sovereign_debt

Alain Grandjean :

Merci François de signaler ces travaux  qui montrent que l’idée que la dette publique est inflationniste est juste fausse (puisque non constatée dans de nombreux pays); ils montrent également que le risque actuel est bien un risque de récession et qu’il est donc idiot de lancer des politiques de rigueur budgétaire, qui vont aggraver le mal à combattre. Pour la faire facile ça rappelle les saignées du bon docteur Diafoirus (dans la Malade Imaginaire de Molière, pour nos jeunes ).

Excellente idée également que de viser un taux d’inflation plus élevé que le 2% doctrinal de Maastricht.
Une bonne vieille idée keynésienne c’est qu’il faut « euthanasier » les rentiers (Il s’agit de quelques phrases dans le Livre VI de sa Théorie générale -voir ici, page 344- dans lesquels Keynes explique pourquoi l’inflation est l’euthanasie des rentiers)
Il est clair à mes yeux que les 30 glorieuses sont une période de taux d’intérêt réels négatifs qui profite aux jeunes et aux entrepreneurs qui s’endettent et défavorables aux vieux et aux rentiers qui sont assis sur un capital ou une rente (immobilière ou autre).
Le primat de l’inflation basse n’est pas qu’une vieille lune idéologique, c’est aussi l’un des leviers de la domination économique de certains acteurs. Certains disent que le vieillissement européen explique qu’on accepte sans broncher ce primat.
Reprenons le débat à zéro comme tu le suggères en cartographiant les gagnants et les perdants  et  les comportements gagnants et les comportements perdants.

Cela me rappelle un livre de Fitoussi (le débat interdit, de mémoire) qui montrait comment les taux d’intérêt réels (= taux d’intérêt déflatés) positifs (qui ont été d’ailleurs élevés dans la décennie 90, toujours de mémoire, il faudrait vérifier) tuaient l’avenir ; avec des taux d’intérêt réels positifs l’avenir ne compte pas dans les calculs économiques. C’est évidemment très mauvais pour les enjeux du développement durable qui sont de moyen ou de long terme. C’est aussi loin d’être neutre au niveau social.

Pour terminer, elle est marrante l’image du ketch-up, merci à nouveau ; juste une remarque,  quand nous avions regardé avec Gabriel Galand l’histoire chiffrée de l’hyper inflation de Weimar, nous avons acquis la conviction que le facteur déclenchant de cet épisode douloureux n’était pas la planche à billets qui a plutôt accompagné le mouvement. Je vous renvoie au chapitre correspondant de la Monnaie Dévoilée qui raconte cela.

Pour aller au fond de ma pensée, la théorie monétariste selon laquelle l’inflation est toujours d’origine monétaire (la hausse des prix est toujours provoquée par un excès de monnaie en circulation) est pour moi fausse et invalidée par les faits.

Ce n’est pas une raison pour croire qu’on peut financer tout et le reste par le financement direct de la Banque Centrale. C’est une raison pour ne pas avoir peur d’une chimère.

Alain Grandjean

2 réponses à “Dette publique, inflation et l’évolution du PIB : un échange avec François Carlier.”

  1. Avatar de A-J Holbecq

    Bonjour
    Échanges intéressants ..

    Je voudrais seulement mettre mon grain de sel sur ta dernière phrase, Alain:  » Ce n’est pas une raison pour croire qu’on peut financer tout et le reste par le financement direct de la Banque Centrale.  »

    Je suis tout à fait d’accord et sans pour autant faire mienne une théorie à laquelle je ne crois pas plus que toi (que l’inflation est toujours d’origine monétaire) je pense qu’il faut néanmoins rester raisonnable en ce qui concerne d’éventuelles émissions par la Banque Centrale (monétisation d’obligations publiques).

    Ce qui importe quand même c’est que l’augmentation de la masse monétaire puisse être corrélée à « inflation + croissance »… mais on parle là bien de TOUTE la masse monétaire.

    Lorsqu’une dette est remboursée aux émetteurs de monnaie (actuellement les banques commerciales), la monnaie équivalente peut être immédiatement re-créée par une nouvelle monétisation de créance. Il suffit de bloquer les banques commerciales pour les empêcher cette nouvelle création monétaire et de permettre, à équivalence, la monétisation par la Banque Centrale (en plus de l’augmentation « inflation + croissance » ).

    La première chose à faire est de libérer la capacité de monétisation d’un montant équivalent aux intérêts de la dette, la seconde est (s’il y a de la marge), de rembourser, par monétisation de nouvelles obligation, une partie des dettes arrivant à échéance.

    A-J

  2. Avatar de A-J Holbecq

    Bien que Wikipedia ne soit pas ma Bible (loin de là), je voudrais citer le passage concernant les causes possible de l’inflation:
    //
    Ainsi :

    * la croissance économique peut provoquer une pénurie de capacité productive par rapport à la demande, qui stimulera l’inflation, tandis que la récession aura l’effet inverse. Ainsi, l’inflation peut être un signe de bonne santé économique et la déflation un signe de crise.

    * la récession peut réduire les besoins d’échanges monétaires (au profit du troc, par exemple), ou provoquer une défiance envers la monnaie qui symbolise l’économie touchée, les deux phénomènes stimulant aussi l’inflation; tandis que le retour de la confiance se traduira par une désinflation voire déflation associée à la reprise des investissements et dépenses.

    * inflation monétaire : une trop grande quantité de monnaie est émise par l’État (par exemple, le mark de la République de Weimar en 1923, cas typique d’hyper-inflation) ou par les banques (phase de boom économique, par exemple les États-Unis fin des années 1990), ou à l’inverse une trop faible demande de monnaie survient (exemple de l’Europe pendant les épidémies de peste au Moyen Âge)

    * inflation par la demande : la demande d’un produit ou d’un service essentiel excède l’offre, et les producteurs augmentent leur prix car ils ne peuvent ou ne veulent augmenter la production.

    * inflation par les coûts : L’inflation par les coûts est le plus souvent déclenchée par le fait que les salaires augmentent plus vite que la productivité (l’augmentation des coûts due à la hausse des salaires est plus forte que la diminution des coûts provenant de l’augmentation de la productivité).

    * l’indexation : des accords ou des règles de toutes sortes lient les prix de différents biens et services, avec délais (le temps de publier l’indice correspondant, par exemple). Si le prix d’un élément essentiel augmente, tous les autres suivent mécaniquement, et les effets retard mettent en place une boucle de rétro-action, un cercle vicieux, chaque effort pour combler la différence créée n’ayant comme seul effet que de mettre en place la prochaine hausse (comme un animal qui courrait après sa queue).

    * panique monétaire : la monnaie utilisée est aujourd’hui essentiellement du papier ou du métal sans autre usage, et donc sans autre valeur que celle attachée à la confiance des utilisateurs. Si, pour une raison quelconque, ils se persuadent que la monnaie va perdre de sa valeur, on assistera parallèlement à une chute sur le marché des changes et à une forte inflation, qui validera l’anticipation inflationniste et la renforcera.

    * le principe de la spirale inflationniste (inflation liée a une hausse des salaires)

    * L’inflation est la conséquence directe (ce qui n’exclut pas les autres causes citées plus haut) de l’intérêt composé sur les crédits
    //

    A-J