La réussite économique exceptionnelle du Japon après le traumatisme des bombes atomiques, a suscité moult interprétations : était-ce précisément dû à un sursaut suite à cette tragédie ? aux méthodes de management et à l’invention de la qualité totale ? à la sous-évaluation du Yen ? à un protectionnisme de fait sinon de droit ?
Nous allons nous intéresser à la suite de l’histoire et à sa chute dans la trappe à liquidités depuis l’effondrement du Nikkei, l’indice boursier japonais, en 1991. C’est en effet ce qui va arriver à l’Europe si elle ne change pas radicalement de politique économique dans les prochains mois.
Petit rappel : l’économie tombe dans une trappe à liquidité, après une crise financière, quand les forces vives économiques sont paralysées parce qu’elles ont trop de dettes à payer. Les consommateurs ne consomment plus parce qu’ils consacrent leurs revenus à payer leurs dettes; les entreprises n’investissent plus parce qu’elles consacrent leurs profits à payer leurs dettes, la machine économique tourne au ralenti. |
Tout comme en 2007, le krach japonais de 1990 est provoqué par l’éclatement d’une double bulle, boursière et immobilière. L’inflation financière avait été alimentée par une politique monétaire exceptionnellement expansive. Au Japon, la croissance accélérée du crédit à la fin des années 1980 était encouragée par la Banque Centrale, qui entendait aider les entreprises à faire face à l’appréciation du yen, dont le taux de change face au dollar avait augmenté de 90% entre 1985 et 1988. Aux Etats-Unis, l’aisance monétaire avait été voulue par la Fed dans la première partie des années 2000, pour contrer les effets de l’éclatement de la bulle Internet.
Krach boursier, faillites et déflation
Tout comme chez nous en 2008-2009, l’effondrement de la Bourse japonaise – le Nikkei, qui avait triplé entre 1985 et 1989, perd 60% en deux ans – et des prix fonciers ruine le secteur bancaire japonais. La valeur boursière de leurs capitaux propres ayant fondu, les banques japonaises tentent de se recapitaliser dans la panique. Le krach de l’immobilier et du prix des terrains les contraint à provisionner massivement les créances douteuses accumulées sur les ménages et les entreprises : elles vendent à perte une partie de leurs actifs (actions, terrains, immeubles), ce qui déprime encore davantage les cours. Elles réduisent de façon drastique l’encours des crédits qu’elles accordent, ce qui accroît les difficultés des entreprises, donc le volume des créances douteuses, etc. C’est la boucle déflationniste du désendettement.
En 1994, sept organismes de crédit immobilier japonais, les jusen, font faillite, et menacent d’entraîner avec eux leurs maisons mères (principales banques du pays). En 1997, la faillite de trois banques d’affaires (Sanyo Securities, Yamaichi Securities et la Hokkaido Takushoku Bank) fait basculer le secteur bancaire nippon dans une crise systémique totale. Le marché interbancaire est entièrement paralysé.
Pendant tout ce temps, la Banque Centrale du Japon, encore plus rigide que l’actuelle BCE, refuse d’intervenir pour sauver les banques et l’économie.
Fin 1998, le gouvernement doit procéder à la nationalisation de deux banques d’affaires en faillite, Long Term Credit Bank, l’une des toutes premières banques mondiales, et Nippon Credit Bank. A contrecoeur, il finit par se résoudre à injecter des capitaux publics dans le secteur bancaire. Fin 1998, il y avait investi 495 milliards de dollars, soit 12% du produit intérieur brut, financés non pas par la planche à billets mais par le contribuable. Très mauvaise opération au niveau macroéconomique puisqu’elle prive les ménages d’une partie des ressources qui leur permettraient à eux, de se désendetter! Logiquement, donc, elle ne résout en rien le problème : entre 1998 et 2003, les nouvelles créances douteuses inscrites au bilan des banques s’accroissent plus rapidement que les anciennes ne sont effacées. Elles atteignent le niveau record de 330 milliards de dollars en mars 2002 (8,4% de l’encours des crédits).
Entre-temps, la déflation s’est durablement installée dans l’économie japonaise. La baisse des taux laisse la politique monétaire traditionnelle impuissante : les taux d’intérêt, ramenés à 0,5% en 1995 puis à 0 en 1999, ont touché leur plancher.
Or la baisse des prix induit une augmentation de la valeur réelle des dettes : les entreprises et les ménages sont contraints de se débarrasser de leurs avoirs et de solder leurs stocks pour se désendetter. Ce qui accentue la déflation et accroît encore le niveau du taux d’intérêt réel. En avril 2003, le Nikkei touche son point bas à 7 830 points (il avait atteint un sommet de 39 000 en décembre 1989). Dans le même temps, le prix des terrains a perdu 80% de sa valeur depuis le début des années 1990.
Comment sortir de la trappe ?
Un redressement partiel intervient en 2003-04. En effet en 2001, la Banque du Japon (BOJ) décide, enfin !, d’inonder le marché financier en portant de 40 à 300 milliards de dollars le montant des titres qu’elle est susceptible d’accepter à son bilan et en étendant la gamme de ces titres « éligibles » aux actifs titrisés des banques et aux actions. Autrement dit, elle est la première à oser faire du quantitative easing (QE). Ce que la Fed et la BCE (en partie) ont fait à leur tour depuis 2010, inspirées par l’exemple japonais (étudié de près par Bernanke, l’actuel président de la FED, qui, pendant les années 1990, était un universitaire spécialisé sur ces questions). En 2003, le gouvernement procède au rachat en masse de l’ensemble des créances douteuses des banques.
En 2004, l’économie sort, au moins temporairement, de la déflation et retrouve le chemin de la croissance. En 2005, le niveau des créances douteuses revient à 3,5% de l’encours des crédits. Les banques peuvent commencer à rembourser les fonds reçus de l’Etat et à reprendre leur activité de crédit. On ne saura jamais si le Japon était vraiment sorti de la trappe : la crise financière mondiale refait plonger l’économie.
Quoi qu’il en soit 2 éléments cruciaux ont permis au Japon de sortir partiellement de la trappe:
-la politique de QE de la BOJ
-le rachat des dettes par l’Etat (aux frais du contribuable).
Ce deuxième point a été rendu possible par le fait que l’Etat japonais dépend très peu, pour son propre financement, des marchés financiers : la dette publique du Japon atteint les 200% du PIB en 2007 (elle dépasse aujourd’hui les 250%) et est détenue majoritairement par des Japonais.
Peut-on tirer des leçons de l’exemple Japonais, en intégrant en plus la nécessité de changer de modèle économique ?
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Article en rapport : http://alaingrandjean.fr/2012/06/14/l-europe-dans-la-trappe-a-liquidites/
[1] Ce papier est issu d’une note de Gaël Giraud. J’en assume cependant l’entière responsabilité.
Une réponse à “Le Japon dans la trappe à liquidité[1]”
On peut aussi penser que la trappe à liquidité est aussi due à la concentration de l’argent dans les 10 ou 15 % de la population les plus riches qui ne le remettent pas ni dans la production ni dans la consommation.