Le scandale de la fraude fiscale vient d’être porté à la connaissance du grand public par des révélations anonymes et grâce au travail des journalistes. Plus exactement, c’est l’ampleur de la fraude qui vient d’être mise à jour : au-delà des grandes fortunes des magnats du pétrole, les fichiers découverts contiendraient des milliers de « petits comptes », et comme l’a montré le remarquable documentaire « Cash Investigation », « monsieur tout le monde », aujourd’hui en France, peut ouvrir un compte off shore en quelques clics avec quelques dizaines de milliers d’euros.
Jamais sans l’Etat ?
La faillite de l’Etat dans son rôle de percepteur est ainsi mise à jour : mais la révélation du scandale est une excellente nouvelle, elle annonce un tournant : le système, soumis à des forces contraires, implose. Car nos sociétés sont contradictoires : si quarante ans de libéralisme financier ont installé une tolérance fiscale certaine, toujours plus est demandé à l’Etat.
« Les causes de l’endettement de l’Etat ne sont pas des dépenses trop élevées, mais des recettes trop basses, dues au fait que les sociétés, organisées selon le principe de l’individualisme possessif privé, posent des limites à leur imposition propre, tout en exigeant, dans le même temps, toujours plus de l’Etat ». (Wolfgang Streeck, in « Du temps acheté »). En moyenne pour 7 pays de l’OCDE, US, Japon, France, Grande Bretagne, Allemagne, Italie et Suède : en 1970 : recettes fiscales 32% du PIB, dépenses fiscales 35%. En 2006, recettes fiscales 38%, dépenses 45% du PIB. L’évasion fiscale en France c’est 80 milliards d’euros (voir N.Dupont-Aignan et A.Bocquet, Rapport à l’Assemblée Nationale), le déficit 77,4 milliards en 2015 (estimation Insee au 25 Mars). Face aux crises (économique, terrorisme, migrants), un Etat désargenté n’est plus en mesure d’assurer la stabilité dont l’économie libérale a besoin pour prospérer.
Des capitaux mobiles…
L’évasion fiscale est une conséquence de la libéralisation massive des mouvements de capitaux, facilitée par l’informatique mais permise par le libéralisme. On ne peut pas à la fois ouvrir les frontières et les fermer, et les capitaux libres iront forcément chercher le moins disant fiscal. Le travail et les « sédentaires » (concept de l’économiste Pierre Noel Giraud, ceux dont le travail est attaché à un lieu) sont très taxés, alors que le capital et les « nomades » (les expatriés et ceux qui peuvent faire bouger leurs capitaux) le sont beaucoup moins : cela fait bien longtemps que James Tobin a recommandé de taxer les transactions financières pour remédier à cet écart : là aussi, le Panama Paper est peut être un signe que le temps est venu d’y réfléchir, démocratiquement…
Et une Union Européenne impuissante
L’Union Européenne où les marchés de capitaux sont libéralisés, mais où la fiscalité reste nationale, et qui abrite en son sein le Luxembourg et les Pays-Bas, paradis fiscaux, expose les Etats à la baisse de leur base fiscale, sans qu’ils puissent, en tant que tels, se défendre. Si demain la France interdit à ses banques ou à ses multinationales de baser leurs holdings à Luxembourg, ces entreprises transféreront leurs capitaux dans un autre pays de l’UE qui ne l’interdit pas. La règle de l’unanimité en matière de décision fiscale au sein de l’Union revient à paralyser l’action et à laisser la compétition au moins disant fiscal s’exercer entre les Etats pour attirer les capitaux…Bel exemple de « dilemme du prisonnier » où l’absence de coopération vient diminuer la richesse collective. Les Etats Unis peuvent de leur côté frapper vite et fort en interdisant le 6 Avril la méga fusion prévue entre Pfizer et Allergan, évitant ainsi une baisse de leur assiette fiscale de 128 milliards de dollars. Une Union Européenne sans fiscalité commune met les Etats de l’Union en concurrence au détriment de tous.
Enfin, les Papiers de Panama mettent le projecteur sur les pratiques illégales des banques. Il semble que, à l’instar de Mr Cahuzac, la Société Générale ait nié disposer de structures offshore opérationnelles devant le Sénat alors qu’elle en avait par dizaines. Tel directeur de banque privée se vante d’avoir fait échapper des capitaux au blocage des réglementations anti-blanchiment. Les Etats européens n’ont pas les moyens aujourd’hui de contrôler les mouvements de capitaux, et le résultat est une fraude fiscale massive, qui prive l’Etat de son pouvoir financier. Et qui rend d’une certaine façon l’impôt des petites gens, ceux qui le paient sur leur salaire, leurs achats et leur logement, injuste. Le documentaire « Cash investigation » a donné la parole à l’un des ouvriers licenciés par un chef d’entreprise détenteur d’une fortune off shore, qui a retrouvé du travail, mais moindrement payé : « Je voudrais payer des impôts, dit il, car cela prouverait que je gagne de l’argent. »
Réguler la finance pour financer la transition
Les effets du changement climatique sont rapides, encore plus que ce qui était prévu. L’Etat est en première ligne, partout dans le monde, pour les investissements d’adaptation. Il est urgent de mettre en place une régulation bancaire et financière qui redonne aux Etats les moyens de leur souveraineté.
Mireille Martini
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