Alors que les travaux scientifiques documentent de plus en plus solidement le changement climatique en cours et ses causes, les thèses des climato-sceptiques continuent à influencer l’opinion. Et les attaques contre le GIEC se font entendre, que ce soit la communication à Copenhague de mails anciens ou celle d’erreur sur le chiffrage de l’ampleur de la fonte des glaciers himalayens.
S’il n’est pas possible sans enquête approfondie de déterminer qui est à l’origine de chacune de ces attaques, il est intéressant de chercher à comprendre quels sont les intérêts en jeu dans cette bataille de communication. Cette investigation ne réduit en rien les prises de position des uns et des autres à leurs seuls intérêts mais elle permet de prendre un peu de recul par rapport aux polémiques en cours.
Pour lancer le débat, commençons par un petit panorama.
La réduction des émissions de CO2 n’est pas conforme aux intérêts directs : des pays producteurs1 d’hydrocarbures, des compagnies productrices d’hydrocarbures, des entreprises fortement émettrices de CO2, des entreprises très dépendantes de ces hydrocarbures (comme les transporteurs routiers aériens, l’industrie du tourisme, les pêcheurs et les agriculteurs), de beaucoup d’entreprises qui doivent adapter leur modèle économique, sans gain apparent immédiat… et de ménages qui doivent aussi dépenser pour consommer moins d’énergie alors qu’ils préfèreraient pouvoir aller en vacances à l’autre bout du monde.
La réduction des émissions de méthane et de N20 est assez directement contraires aux intérêts liés au modèle agricole intensif (les agriculteurs intensifs, et une partie de la filière agroindustrielle). Et du côté des ménages, elle remet en cause des habitudes de consommation bien ancrées…
Au sein du monde scientifique, il est patent que les climatosceptiques se recrutent essentiellement chez les géologues et les géophysiciens. On peut voir là des rivalités de discipline (les géophysiciens se considérant comme propriétaires des sciences de la terre), et plus prosaïquement des enjeux financiers : l’argent qui va chez les uns ne va pas chez les autres…
Mais ce qui me semble le plus important à noter c’est que du point de vue idéologique, la lutte contre le changement climatique mobilise des instruments de politique publique ; elle s’oppose donc immédiatement aux dogmes ultra libéraux, qui militent pour l’inverse, à savoir le recours aux seules « forces du marché ». On peut faire l’hypothèse que les think tanks conservateurs2, néolibéraux, sont très actifs sur le front du climato-scepticisme. Rappelons qu’ils ont réussi dans les années 1970 à réhabiliter le libéralisme (qui avait pris un sérieux coup dans l’aile suite à la crise de 1929) : ce fut une grande réussite due à un travail intellectuel de fond et un remarquable travail de réseau. La contre-révolution Reagan-Thatcher est le résultat de ce travail. Nombre de ces think tanks ont une dépendance directe ou indirecte avec la Société du Mont Pèlerin, fondée en 1947 par le prix Nobel Friedrich Hayek, le célèbre adversaire de Keynes.
Merci à ceux qui nous permettraient de reconstituer les liens d’influence, sans doute repérables sur internet. La bataille de la communication n’est pas encore terminée.
1 Si les pays consommateurs s’organisaient pour mettre en place un prix au carbone sérieux, il se produirait ce que les économistes appellent un « transfert de rente » qui se feraient clairement au détriment des pays producteurs. Ce n’est pas pour rien que les pays producteurs de pétrole ne veulent pas entendre parler du pic pétrolier. Ils ont vraiment peur que les consommateurs occidentaux se mettent à comprendre qu’il est temps de se raisonner. (voir le livre de Steven Stoft, Carbonomics, 2008 , qui se focalisent sur ce sujet).
2 Dont beaucoup ont une filiation directe ou indirecte avec la Société du Mont-Pèlerin, fondée par le prix Nobel Friedrich Hayek.