La stratégie des climatosceptiques coule de source. Qui ne la bâtirait pas ainsi ? D’abord créer le doute dans l’opinion puis légitimer les points de vue opposés au consensus. Le doute n’est –il pas au cœur de la démarche scientifique ? Le débat n’est-il pas preuve de santé démocratique ?
De cette stratégie délibérée ou non (selon les acteurs) naît à l’évidence de la confusion dans l’opinion. Ce qui est recherché au moment où il faut prendre des décisions qui auront forcément un coût pour certains (ne serait-ce que celui de changer d’habitudes) et créeront des avantages pour d’autres (les entreprises qui fournissent des solutions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre).
Plus que jamais il est nécessaire de prendre du recul pour rappeler les faits saillants du dossier et mettre un peu de lumière pour dissiper ce sentiment de confusion.
Le débat d’opinion concerne les opinions pas les faits
Que le doute soit au cœur de la démarche scientifique ne signifie pas que la science ne soit pas capable d’établir des faits scientifiques indiscutés (après des travaux en général laborieux) ni des théories tout aussi indiscutées. Qui oserait affirmer que la terre est plate, ou que les continents n’ont jamais dérivé ? Qui oserait prétendre que les objets massifs ne tombent pas sur terre selon les lois de la gravitation ? En tous les cas tous ceux qui prennent l’avion font confiance (et ils ont raison) à la solidité des lois de la mécanique (des solides et des fluides). Et quand un avion s’écrase ce ne sont pas ces lois qu’on met en doute….
Que le débat d’opinion soit une condition de la vie démocratique, tous les démocrates dont je suis en conviennent. Faut-il pour autant mettre aux voix l’évolution de la température sur terre dans les 100 dernières années ? Le débat d’opinion concerne les opinions, pas les faits. Il concerne l’interprétation des faits, les conséquences politiques qu’on en tire, pas les faits eux-mêmes. En matière de changement climatique, le vrai débat politique porte sur les mesures à prendre, leur niveau institutionnel (ce qui doit se faire au niveau local, régional, national, européen, international), leur ambition, leur vitesse, les compensations à envisager vers les perdants, les mesures de transition à prendre….Bref il y a vraiment matière à débat, et débat sérieux sur la base des perceptions des uns et des autres, des intérêts en jeu et …des incertitudes que les scientifiques ne peuvent lever à ce jour, compte-tenu de leurs connaissances.
La nécessité de la production de consensus et du GIEC
Pour que ce débat ait lieu et contrairement à la suggestion perverse de certains qui proposent de supprimer le GIEC, il est nécessaire de disposer d’un mécanisme de production de consensus. Rappelons que c’est ainsi que la pratique médicale progresse : les praticiens, pour prendre des décisions et s’améliorer, doivent disposer du consensus de la communauté des chercheurs ; et ce consensus, qui doit être produit et dont la production doit être organisée, évolue bien sûr à mesure que la recherche progresse. Comment faire autrement ? Face à la masse considérable de documents et d’études publiés sur des sujets très vastes, le travail de consensus est absolument indispensable pour aider les décideurs qui ne peuvent analyser tout ce travail, et ne peuvent pas non plus se fier à un seul expert ou à un groupe d’experts. C’est la seule alternative à la dictature des experts ou au jeu des lobbies.
La dérive climatique actuelle peut conduire à un changement d’ère climatique en moins d’un siècle
A ce jour le résumé du consensus tient en quelques affirmations :
- les gaz à effet de serre (GES, tels que le CO2, le méthane, le N2O, les gaz fluorés et quelques autres) augmentent le pouvoir d’effet de serre de l’atmosphère
- ces gaz sont émis en quantités croissantes ; pour le seul CO2, la trajectoire dans un scénario « tendanciel » peut conduire dans le siècle à un triplement voire plus de la concentration « préindustrielle »
- un simple doublement de la concentration de l’atmosphère en CO2 conduit à une augmentation de la température moyenne planétaire située, selon les estimations, entre 2 et 5 °C1.
- l’écart de température par rapport à la dernière glaciation est de 5°C
- la dérive climatique actuelle peut donc conduire à un changement d’ère climatique en moins d’un siècle
- les impacts de ce changement d’ ère climatique sont négatifs voire très dangereux pour la majorité des habitants de cette planète
Ces affirmations dont la simplicité ne doit pas cacher l’acharnement avec lequel les scientifiques du monde entier se sont battus pour les produire avec un très fort niveau de consensus, suffisent à fonder solidement les décisions visant à réduire les émissions de GES. Des estimations plus serrées sont nécessaires pour définir les objectifs quantitatifs et calendés ; elles font elles aussi l’objet de travaux approfondis (mais pas de ce court papier !).
Les faux-problèmes des climato-sceptiques
Les climatosceptiques obscurcissent volontairement le débat, soit en propageant des erreurs factuelles2 soit en insistant sur des débats certes passionnants mais sans portée par rapport aux enjeux. Un seul exemple : on sait que l’évolution du climat à l’échelle de quelques décennies est pilotée par un nombre limité de paramètres :
- les causes naturelles (dont l’évolution de l’activité solaire et volcanique, et les oscillations océaniques génératrices des phénomènes comme El Nino)
- les émissions anthropiques de gaz à effet de serre et d’aérosols
Il en résulte une courbe d’évolution des températures qui n’a rien de linéaire puisque aucun de ces phénomènes ne l’est. Il est également possible que selon l’échelle d’observation retenue on puisse constater une baisse des températures ou un ralentissement de la hausse. Vrai ou faux, ceci n’a aucun rapport avec le consensus rappelé ci-dessus. A l’horizon du problème c’est-à-dire celui du siècle en cours, ne pas réduire les émissions de gaz à effet de serre c’est condamner nos enfants et petits-enfants à gérer un changement d’ère climatique aux effets dévastateurs.
Alain Grandjean
(Cet article est également disponible sur le site de l’Expansion, rubrique La chaîne Energie)
1 Alors que les variations naturelles du climat s’expriment sur la même période en dixièmes de degrés .
2 Le dernier livre de Claude Allègre en est bourré, voir par exemple http://sciences.blogs.liberation.fr/files/allegre6avril-1.pdf
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