Le rapport de l’académie des sciences, piloté par Jean-Loup Puget, délégué de la section Sciences de l’univers, tranche sans ambigüité dans le débat initié par Claude Allègre, avec l’aide, au plan scientifique de Vincent Courtillot et Jean-Louis le Mouël, également académiciens. Au plan scientifique, l’affaire était entendue de longue date1, mais ce rapport est bienvenu car il met en France un terme à un faux débat. On peut regretter qu’il ne fasse pas référence aux synthèses les plus récentes (Le rapport du Conseil Inter-Académique (IAC) sur les processus du GIEC et le rapport de la Royal Society sur l’état des connaissances scientifiques sur le changement climatique) et qu’il ne cite les travaux du GIEC que dans la bibliographie. On peut regretter aussi quelques concessions2 dans le texte faites à Vincent Courtillot et un peu trop de poids accordé à quelques points d’incertitude mineurs. Peu importe. Ce texte a été adopté à l’unanimité et il n’est donc plus possible de faire état d’une contestation des éléments de diagnostic et de pronostic rapportés par le GIEC et la communauté des climatologues, qui serait fondée et reconnue en France par des membres de l’académie des sciences.
Les climato-sceptiques contrairement aux apparences font perdre du temps. Ils mettent l’emphase sur de faux débats. C’est d’ailleurs une technique employée délibérément par les « marchands de doute », selon la magnifique expression de Naomi Orenkes3, auteur d’un livre remarquable sur le sujet.
Revenons rapidement aux vrais débats : quelles mesures prendre et à quelle vitesse pour limiter le changement climatique, s’adapter à ses conséquences pour la part qui est inévitable et en atténuer l’impact pour les populations concernées ? Si en France le Grenelle de l’environnement, dont le bilan va sortir très prochainement a conduit à prendre quelques mesures, elles restent bien timides (et parfois erronées, mais nous y reviendrons). Il est vraiment temps de prendre conscience de l’ampleur de la marche à franchir. Je vous recommande à ce sujet le livre de Clive Hamilton, « Requiem for a species » 4. Partant de ce constat et de la conviction que nous n’arriverons pas à franchir cette marche, il en déduit que nous devons faire le deuil d’une planète à peu près agréable, celle que nous connaissons en ce moment, pour nous adapter à l’idée d’un « monde à 4 degrés5 » fort peu sympathique…
Si nous voulons éviter ce monde à nos enfants et petits-enfants il va bien nous falloir accepter de changer radicalement de mode de consommation et de production. La crise financière ne peut être un obstacle à cette impulsion. A-t-on manqué d’argent pour sauver les banques ? Les américains ont-ils manqué d’argent pour transformer leur économie lors de la dernière guerre mondiale ? Peut-on manquer d’argent (qui se crée d’un jeu d’écritures et ne représente que les dettes et créances des uns et des autres) pour éviter de détruire la vie donc l’activité économique elle-même ? Si nous croyons cela, ne serait-ce qu’un instant, c’est , à l’évidence, que nous sommes habités par des croyances stupides. Le vrai débat, c’est bien celui-ci : comment en finir avec des modes de pensée et des croyances autodestructeurs ? Comment piloter l’économie et la finance avec bon sens, pour éviter de finir comme l’Ile de Pâques ?
Alain Grandjean
1 La thèse de Courtillot a été réfutée par Edouard Bard directeur de la chaire de climatologie du Collège de France (voir par exemple http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2010/09/scoop-le-match-bard-versus-courtillot-à-lacadémie-des-sciences.html#tp) . Claude allègre n’a lui jamais écrit d’article scientifique sur le climat. Et c’est précisément le rôle du GIEC de faire le point sur l’état des discussions scientifiques…
2 Comme par exemple « L’activité du Soleil ne peut donc être le facteur dominant de ce réchauffement » est-il dit, alors qu’il est clair que c’est un facteur marginal et parfois négatif sur certaine période.
3Merchants of Doubt: How a Handful of Scientists Obscured the Truth on Issues from Tobacco Smoke to Global Warming, Naomi Oreskes and Erik M. Conway, Bloomsbury Press, 2010
5 S’inspirant du livre « Six degrés , Que va-t-il se passer? » de Mark Lynas, Dunod, 2008
18 réponses à “L’académie des sciences va-t-elle permettre de clore les faux débats et de rouvrir la porte aux vraies questions ?”
A mon avis, le seule mesure efficace pour envisager de « gravir » la première marche, c’est la fiscalité carbone. L’enjeu des débats, est surtout d’amener une acceptation sociale de ce type de mesure (en semant le doute, les climato-sceptiques sabordent le navire).
Croyez vous qu’il est cohérent de ramener « la taxe carbone » (mesure impopulaire telle qu’elle a été relayée) dans les futurs débats pour les présidentielles, quel angle d’attaque envisagez vous avec la fondation N. HULOT?
Bonjour
j’ai déjà exprimé dans ce forum une certaine incompréhension dans ce qu’on cherche à faire : réduire la consommation sans réduire le pouvoir d’achat ?? le seul aspect de la crise financière pour les gens, c’est la baisse de leur pouvoir d’achat et de leur consommation, le reste ils s’en fichent : mais alors c’est un bien ou un mal ça? c’est quoi au juste un monde « agréable » ?
Plus précisément, pourriez vous me donner les valeurs des paramètres suivants vers la fin du XXIe siecle dans deux cas extrêmes :
a) votre scénario « cauchemar »
b) le scenario le meilleur que vous pensiez atteindre
les paramètres étant :
1) consommation énergétique par habitant en tep/hab/an (valeur actuelle environ 1,5)
2) consommation fossile par habitant en tep/hab/an
(valeur actuelle environ 1,3)
3) PIB par hab/an
(Valeur actuelle environ 10000$/an)
pardon j’ai oublié un paramètre bien sur : la température moyenne du globe dans chaque cas !
bonjour Gilles
Je prépare un post pour répondre à ces questions. Bien cordialement.
AG
Je ne suis pas « climato-sceptique »; je pense qu’effectivement la température augmente due à la consommation de fossiles.
Mais pour ce que j’en sais, si tous les fossiles sont consommés sur une période de 30 à 50 ans, l’augmentation de température ne va de toute façon pas dépasser 2°C
Êtes vous d’accord avec cela ?
Et dans ce cas il me semble tout à fait inutile de taxer les européens (en en particulier les français qui vont encore perdre de la compétitivité et être un peu plus « pressurés ») puisque de toute façon, en définitive, tous les fossiles seront bien consommés et si ce n’est par nous ce sera « par les autres »
Ou alors pensez-vous que les estimations de réserves fossiles sont très sous évaluées?.
Merci …
@Sophie : Un article précédemment publié sur ce blog répond précisément à votre question : Le climat sauvé par la pénurie des énergies fossiles ?
Cordialement,
L’administrateur
Bonjour
Je suis un lecteur de vos livres co-écrits avec M.J M Jancovici. J’apprécie et je partage la plupart de vos anlyses. Mais je me permets néanmoins une critique, vous parlez bien peu de démographie. Et là, sur votre site il n’y a pas de rubrique démographie. Peut-on imaginer parler du monde de demain et de la préservation de l’environnement sans placer cette question au coeur de la problématique ? Le nombre des hommes n’influencera-t-il pas grandement notre capacité ou pas à construire un avenir vivable pour nous comme pour le reste des être vivants. « La dose fait le poison » dites vous (ou jm jancovici) dans un de vos livre, pourquoi ce facteur si important n’est il pas plus évoqué. Pour ma part c’est un sujet d’inquiétude, je crains que la croissance démographique ne réduise à néant tous les efforts faits par ailleurs.
Sincèrement.
bonjour Didier; la démographie est un vaste sujet; j’y reviendrai plus en détail. En un mot je ne m’y appesantis pas car elle n’offre pas beaucoup de marge de manoeuvre devant des échéances courtes. Tous les démographes que j’ai consultés disent que la population mondiale sera de l’ordre de 9 milliards (scénario médian de l’ONU) plus ou moins 500 millions en 2050, sauf catastrophe majeure , genre météorite. C’est d’ici là qu’il faut faire bouger les lignes. L’action sur la démographie (qui passe par l’accélération de la transition démographique en Afrique et en Asie, qui sont les lieux de la hausse de la démographie) est importante mais pas sur le chemin critique des problèmes posés ici. Bien cordialement.
AG
Merci pour le lien sur cet article qui est très technique pour moi: je suis un peu perdue dans ces unités
En fait les 180 milliards de tonnes de carbone qu’il ne faudrait pas dépasser dans les 40 années qui viennent, ca équivaut à combien de barils de pétrole par jour sur cette période ?
Vous n’avez néanmoins pas répondu à la seconde question de mon commentaire ( » Et dans ce cas il me semble tout à fait inutile de taxer les européens … »)
Bonjour Sophie.
La grande majorité du » carbone fossile » c’est du charbon. Par ailleurs il y a encore pas mal de pétrole sous terre (en ordre de grandeur 200 milliards de tonne équivalent pétrole).
Pour limiter le changement climatique il faut éviter de déstocker trop de carbone fossile. Ca passera par un accord international, inconcevable si les occidentaux ne réduisent pas leurs émissions de CO2, donc leur consommation d’énergie fossile (dans l »ordre charbone, pétrole, gaz). Par ailleurs c’est leur intérêt car l’Europe a peu d’énergie et son indépendance stratégique passe par une diminution de sa consommation d »énergie fossile. La taxe carbone, et ses variantes sont le meilleur moyen de réduire cette dépendance et de permettre la conclusion d’un accord international.
1 TEP (tonne équivalent pétrole) c’est en gros 8 barils de pétrole. Et il y a en 0,9 tonne de carbone pour une TEP en pétrole, 1,3 tonnes de carbone pour une TEP en charbon et 0, 7 pour une TEP en gaz.
si nécessaire je referai un petit post pour préciser le niveau des réserves fossiles (avec leur incertitude qui est assez forte).
cordialement
AG
La question fondamentale est celle de la productivité. Si vous lisez attentivement la documentation de Messieurs Jancovivi et Grandjean, vous comprendrez que l’énergie est simplement notre capacité à transformer le monde. Celle-ci a été démultipliée par le potentiel des combustibles fossiles, entrainant une forte hausse de la productivité du travail humain. Chaque jour nous avons pu transformer le monde de plus en plus facilement, pour un coût de plus en plus abordable. Aujourd’hui, avec la raréfaction des énergies fossiles accessibles et relativement propres (par rapport au charbon), il n’y a guère d’illusions à se faire : la productivité du travail va chuter de manière proportionnelle à l’augmentation de leur prix. C’est un changement de paradigme radical, dont il convient de tirer des conclusions. Il faudra ainsi tout simplement travailler plus pour arriver à un résultat similaire, entraînant donc une baisse de revenu à temps de travail équivalent. Cela paraît négatif à priori ? Sauf que comme on peut se poser la question de l’utilisation des gains de productivité (travailler moins pour produire pareil, ou travailler autant ou PLUS et produire et gagner TOUJOURS PLUS ?), on peut également essayer de profiter de la situation pour revoir nos exigences à la baisse, réduire les flux de matière et d’énergie qui nous abreuvent et nous tueront à long terme, tout en travaillant autant, voir même en GAGNANT EN QUALITÉ DE VIE. Le vrai débat est éthique : de quoi moi et mes enfants avons-nous besoin pour vivre HEUREUX ? Ne pas se la poser, s’obstiner dans une vision archaïque du monde et de l’économie, s’est s’orienter vers une mort certaine.
bonjour
100% d’accord
AG
tout a fait d’accord avec avec W@1h:
Il faut amener « les pays riches (compris chine, brésil…) » a accepter d’avoir moins (de consommation). La première étape est de comptabiliser l’énergie que l’on consomme, c’est l’objet du Bilan Carbone(r), la seconde est de lui donner un prix croissant (soupoudré de beaucoup de pédagogie)
…c’est pas gagné !
J’aimerais bien que quelqu’un fasse un petit effort quantitatif et essaye (ne serait-ce que par curiosité) de répondre à la question que j’ai posée 🙂
Plus précisément, pourriez vous me donner les valeurs des paramètres suivants vers la fin du XXIe siecle dans deux cas extrêmes :
a) votre scénario “cauchemar”
b) le scenario le meilleur que vous pensiez atteindre
les paramètres étant :
1) consommation énergétique par habitant en tep/hab/an (valeur actuelle environ 1,5)
2) consommation fossile par habitant en tep/hab/an
(valeur actuelle environ 1,3)
3) PIB par hab/an
(Valeur actuelle environ 10000$/an)
4) Température moyenne du globe (ou variation par rapport à la température préindustrielle).
ça fait juste 8 nombres à évaluer .. ça permettrait de préciser un peu ce qu’on considère au juste comme « rêve » ou « cauchemar »….
Une autre publication digne d’intérêt !
http://contreinfo.info/article.php3?id_article=3090
Merci pour votre réponse.
Je me pose néanmoins la question:
Si nous, européens, diminuons notre consommation(car forcés à cela par une taxe), et en perdant de ce fait notre compétitivité permise par le pétrole relativement pas cher, nous diminuerons de ce fait la tension sur les prix internationaux, permettant ainsi à de nouveaux consommateurs d’y avoir accès, de telle manière que la totalité du pétrole extractible sera de toute façon vendu et consommé; la quantité de CO2 ne variera pas d’un iota à mon avis.
Bien sur on peut considérer que c’est une « bonne action » envers ceux qui pour le moment n’ont pas accès à cette énergie… dans ce cas il faut le dire, et ne pas dire « ca va faire baisser la consommation mondiale et donc éviter le réchauffement » .. ca ne me paraîtrait cohérent que si tous les peuples payaient une taxe qui aboutirait dans une « caisse commune » (onusienne ?) : on en est loin et c’est une utopie qui n’a quasiment aucune chance de se réaliser.
Est ce qu’une étude existe, pour la France, qui compare les avantages d’une taxe (qui diminuera notre consommation et donc nos importation) aux effet négatifs en termes du prix d’exportation de nos productions et donc de notre compétitivité internationale, en tenant compte des effets secondaires (chômage, traitement social, etc)?
Cordialement
Merci
@Sophie
La société des nations ne fonctionne pas seulement comme un marché; le fait que les pays développés diminuent leur consommation, en sus de faire baisser le prix du pétrole, a un effet « exemplaire » sur les pays émergents et même si le prix diminue, ils seront éthiquement poussés à se modérer du fait de l’exemplarité.
Ce n’est pas de l’angélisme, c’est comme ça à mon avis que les relations internationales fonctionne.
C’est du simple bon sens que les gros mangeurs de hier commencent à se rationner avant de demander des efforts aux mangeurs d’aujourd’hui.
Il eut fallu lire le papier de l’Académie jusqu’au bout, justement il est ambigu car il se contredit d’une ligne à l’autre. L’hypothèse du RCA n’est absolument pas sûre du tout et le débat reste ouvert.