La direction générale du Trésor vient de sortir une étude sur les impacts macroéconomiques du Grenelle, montrant qu’ils sont positifs à court terme (jusqu’en 2020) tant en termes d’emplois créés que de PIB et négatifs après 2020 (jusqu’en 2050).
Je recommande la lecture de ce document très sérieusement construit et riche de données chiffrées et d’analyses utiles pour comprendre les données économiques du Grenelle1.
En revanche on ne peut être que circonspect face à ces exercices de simulation dont les conclusions relayées par les médias sont interprétables politiquement un peu trop facilement. Si l’on suivait les conclusions de cette étude, le Grenelle boosterait l’économie à court terme mais la plomberait quand il faudra payer la facture.
Les finances ne seraient-elles pas tout simplement en train de se venger de l’écologie, après le départ de Jean-Louis Borloo, en cherchant à démontrer que l’économie n’est décidément pas du côté de l’écologie. Cette étude sortant au moment même où les tarifs de rachat du solaire photovoltaïque sont sous moratoire, l’interprétation en termes de règlement de compte est tentante…
Certes les décisions du Grenelle ne sont pas irréprochables, et loin de là. Le tarif de rachat du photovoltaïque a été fixé à un niveau excessif et à permis à quelques investisseurs de faire des opérations à très haut rendement en accroissant en outre l’importation de cellules made in China, donc carbonées. D’un autre côté, le manque de volonté dans la rénovation thermique du bâtiment a fait prendre du retard dans un domaine stratégique, tant en termes de factures énergétiques pour les ménages que d’émissions de gaz à effet de serre (GES). De la même manière le Grenelle a été bien insuffisant dans le domaine agricole, que ce soit du côté des GES que de celui des pesticides. Enfin, il n’a pas fait comprendre à nos concitoyens l’ampleur des ennuis que nous nous préparons du fait de notre dépendance toujours extrême au pétrole.
Pour autant la critique macroéconomique de Bercy est-elle justifiée ? La réponse me semble clairement non, pour plusieurs familles de raisons.
Les modèles macroéconomiques sont incapables de faire des prévisions
L’économie actuelle est un système hautement complexe dont on ne sait pas modéliser les grandes interactions car on n’a même pas l’information primaire (personne sauf Rubini (mais était-ce un coup de bol?) n’ a vu venir la crise des subprimes car il était très difficile si ce n’est impossible d’avoir l’info des quantités de produits dérivés dans les portefeuilles)
A part quelques grandes évidences (du style les dettes des uns sont les créances des autres ) il n’y a pas de loi économique comme il y a des lois physiques (les élasticités collées dans les modèles pour décrire les comportements d’achat sont issues d’observations statistiques et elles peuvent changer)
Les décisions humaines peuvent intervenir et changer le cours des choses, les quelques décisions des Etats de plans de relance et maintenant de plans de rigueur, les décisions des patrons des banques centrales….leur appartiennent et ne sont pas déterminés de manière simplement linéaire. Bernanke est un spécialiste de la crise de 29 et de la crise japonaise, il décide d’une politique de quantitative easing qui a des effets ; un autre aurait pris une autre décision ; Hitler a eu un effet sur l’histoire, Roosevelt aussi, bref en la matière je ne crois pas à une vision structuraliste mais au nez de Cléopâtre !
Finaement, si les modèles physiques du climat peuvent dire des choses assez globales sur un horizon de quelques décennies, c’est exclu pour les modèles économiques. Au-delà de cette critique générale, on peut contester spécifiquement l’étude de Bercy.
Les conclusions les plus fortes du modèle ne sont–elles pas dues à la logique de sa construction ?
Le modèle Mésange utilisé par Bercy est keynésien à court terme et néoclassique à long terme. Est-il vraiment surprenant qu’il conclut à des effets positifs d’entraînement à court terme (dus au mécanisme multiplicateur de l’investissement de la partie keynésienne du modèle) et des effets négatifs à long terme. Dans une logique néoclassique en effet d’équilibre général, ce qu’on gagne d’un côté on le perd de l’autre….
Un pétrole pas cher et pas de prix du carbone d’ici 2050 pour Bercy ?
L’étude citée étudie trois scénarios de prix pour les énergies fossiles. Pour le baril, les trois prix retenus sont constants respectivement à 62, 80 et 130 dollars. Rappelons qu’il s’agit de la période 2009-2050. Et rappelons-nous que début 2001 le consensus en France des experts représentés au commissariat général au plan était un baril à 30 dollars a horizon 2020, croissant à 50 dollars à horizon 2050…L’incapacité de nos économistes à se représenter ne serait-ce que la possibilité d’évolutions bien plus brutales est littéralement stupéfiante. Il aurait été pour le moins utile de tester la sensibilité des résultats à des scénarios de prix beaucoup plus élevés et surtout plus erratiques.
Sauf erreur de lecture de ma part, je n’ai pas vu mention d’un quelconque mécanisme de prix du carbone, qui aurait évidemment un effet économique positif pour toutes les mesures visant à faciliter la décarbonisation de l’économie. Nos experts sont-ils incapables de voir que, malgré les difficultés et la complexité de la mise en œuvre de ces mécanismes, il se pourrait quand même qu’ils soient mis en œuvre avant 2050 ?
Mais surtout, que vaut une évaluation économique qui ne se situe pas par rapport à un scénario tendanciel (sans mesure) qui pourrait bien nous valoir quelques désagréments ?
Nos experts trouvent que le Grenelle est générateur de pertes d’emplois et de perte de PIB à partir de 2020. Mais ce genre d’analyse ne peut se comprendre qu’en différentiel par rapport à un scénario tendanciel sans Grenelle. Or la logique d’un plan de transition (dont le Grenelle n’est qu’une pâle copie) c’est bien d’anticiper pour éviter les menus désagréments provoqués par des ressources de plus en plus rares, des énergies de plus en plus coûteuses, un changement climatique créant des perturbations de tous ordres. Le scénario tendanciel le plus probable c’est un scénario de profonde récession. Est-ce celui qui a été choisi par nos experts ? Je ne crois vraiment pas, même si je n’ai pas réussi à le savoir en lisant le rapport.
Pour caricaturer, cette étude me rappelle ces économistes qui déclaraient que la première guerre mondiale n’allait durer que quelques mois, car elle était trop coûteuse…Décidément Gribouille, qui veut nous faire croire qu’on peut manquer d’argent, qu’il faut donc se serrer la ceinture et du coup se mettre à manquer d’argent a encore de beaux jours devant lui !
Alain Grandjean
6 réponses à “Bercy tacle le Grenelle, la revanche de Gribouille ?”
Petite vengeance mesquine ou enterrement en vue ?
Dans les 2 cas je vous trouve bien aimable avec votre qualificatif de « gribouille ».
Tout à fait d’accord avec ce propos. Deux commentaires de nature plus « sceptique ».
1- une boutade : la phrase ci dessous s’applique t elle au rapport Stern ? : « Finaement, si les modèles physiques du climat peuvent dire des choses assez globales sur un horizon de quelques décennies, c’est exclu pour les modèles économiques » (boutade car la stern review est bien plus approfondie que les calculs de bercy mais tu admettras que le relativisme vaut pour toute étude éco : Stern a fait un très beau travail mais n’a rien « démontré » ou « prouvé »)
2- plus serieusement le seul interêt du travail de bercy est de nous alerter indirectment sur les syndromes inhérents à tout grand plan d’investissement d’infrastructure : élephants blancs (biocarb de 1ère génération), effet d’aubaine (photovoltaique) et margoulins en tout genres (pompe à chaleur). Cela ne doit pas constituer un frein mais cela appelle à la vigilance pour éviter un surcout de 30 % et de l’inefficience
Concernant Stern tu as raison. Les projections économiques à long terme sont évidemment très discutables.
Quant à l’intérêt de l’alerte je suis d’accord mais je ne crois pas que ce soit l’intention de Bercy et en tous les cas si ce l’était ce serait trop tard. Bercy cherche simplement des sous et va flinguer tout ce qui a été lâché à Borloo…
Entendu ce matin sur France Inter (dans un demi-sommeil) de la part d’un journaliste, je n’ai pas retenu le nom, qui rapportait des propos de ??? Heureusement que Borloo n’a pas été nommé 1° ministre car si il avait fait pour le social comme pour le grenelle de l’environnement, ça nous aurait coûté quelques centaines de milliard de plus…
Sans commentaires…
Il semble effectivement que la démolition soit engagée.
« Il semble effectivement que la démolition soit engagée ».
Oui et non. Sans être du bord politique du gvt actuel je fais partie de ceux qui considère que le bilan du grenelle est tout à fait positif y compris sur l’engagement financier. J’ai des souvenirs très très precis de la ministre d’avant, Nelly Olin, et franchement il faut se souvenir d’où on partait (par ex : pas un rond de l’état pour le transport collectif entre 2003 et 2006).
Maintenant c vrai la technostructure de Bercy veut se prémunir contre un grenelle 3 en 2012 parce que technostructure et grenelle ne vont pas ensemble et parce que les caisses sont vides. Rassurez vous il y a un plan pour ça : il commence par M……..
F Carlier
Comme toujours, les points que vous relevez sont pertinents ce qui me met en joie.
Quant je constate le raisonnement de beaucoup d’économistes, dont a priori ceux de Bercy, je me demande s’il n’y a pas une faute originelle : une formation insuffisante aux raisonnement scientifique véritable. Certes, ils sont supposés détenir quelque bagage mathématique. Mais cela m’apparaît comme des mathématiques de cuisine focalisées vers un résultat et non un moyen rigoureux de mettre en oeuvre un raisonnement scientifique.
Car, il n’y a qu’à constater la finitude des ressources et la demande croissante asiatique pour se dire qu’il y a un problème dans le montant projeté du prix du pétrole de l’étude que vous décortiquez.
A mieux c’est de la bêtise, au pire de la malhonnêteté intellectuelle.