Une histoire brève de l’antibio-résistance

Les hommes sont têtus mais la nature est bornée. Les hommes agissent de manière funeste sur leur environnement, cette attitude n’est pas nouvelle, mais quand les 7 milliards d’habitants s’y mettent, c’est coton.  Même les misérables termites savent adapter le nombre de leurs naissances en fonction des ressources, ce que nous n’avons jamais su faire.

Les hommes ont même réussi à mettre en jeu leur survie, avec la production intempestive des CFC, les chlorofluorocarbones qui détruisaient la couche d’ozone.

En 1987, l’accord de Montréal a fait stopper ce dangereux processus, et, mine de rien, la vie sur terre a été, ni plus, ni moins, sauvée : il est impossible de se passer de ce bouclier protecteur,  cette bienfaisante couche d’ozone qui filtre les flux de rayons U.V. .En 2003 au Chili, il suffisait de cinq minutes d’exposition par beau temps pour se faire un magnifique coup de soleil, mais la situation s’améliore, le trou de la couche ne grandit plus.

Le deuxième sujet le plus important à notre époque est la maîtrise de l’émission des gaz à effet de serre. Elle sera impossible sans l’accord des principaux pays producteurs. Un important réchauffement climatique est en cours. La Californie, une région bénie des Dieux, qui en a fait rêver plus d’un, s’est transformée en peu de temps en cauchemar pour agriculteurs, c’est un cas parmi tant d’autres.

Une planète, une santé
Une planète, une santé

 Notre survie est là encore en cause, mais visiblement, cet enjeu passe au dessus de la tête d’un grand nombre. C’est gazeux, ça ne se voit pas, ça ne se sent pas en plus, c’est presque abstrait, c’est difficile.

Un troisième sujet préoccupant, c’est un euphémisme, est la non biodégradabilité des plastiques rejetés. Sera-t-on un jour contraint de créer une bactérie génétiquement modifiée pour nous débarrasser de cette pollution universelle ? Car si les bactéries sont compétentes pour vous nettoyer la pire des marées noires en quelques petites dizaines d’années, le plastique …

connaissent pas…

digèrent pas…

Un quatrième sujet majeur, qui concerne la planète entière, est l’augmentation de l’antibio-résistance . Cet inquiétant constat éclaire les nouvelles bannières qui fleurissent :

 Une planète, une santé.

Une planète, une vie, un incroyable continuum.

Des colonies de Staphylocoques dorés, entre autres, sur boite de Pétri.
Des colonies de Staphylocoques dorés, entre autres, sur boite de Pétri.

Depuis 20 ans, on a remis sérieusement l’hygiène au goût du jour dans les hôpitaux français. Ca n’a pas raté, on a vu les infections à Staphylocoques dorés résistants décliner. D’autres pays ont connu la même aventure, le reflux chez nos amis anglais a été encore plus impressionnant. Le Danemark nous avait précédé il y a quelques années de manière spectaculaire. Nous espérons être bientôt aussi bons que ces Européens du Nord, qui nous montrent la voie. Cette lutte, pied à pied, main à main, contre les infections nosocomiales porte ses fruits.

Mais cette attitude n’a fait ni chaud ni froid au deuxième germe le plus important en pathologie humaine : l’ Escherichia coli, le E. coli . Celui-là n’est pas inféodé aux hopitaux, il est partout, il vit même dans tous les intestins de tous les hommes et de tous les animaux  à sang chaud du monde entier. Certaines variétés sont nos amies, d’autres se transforment en pathogènes, parfois redoutables. Et contrairement aux Staphylocoques, on voit mal leur résistance diminuer, sans prendre des mesures drastiques, à l’échelle planétaire, en médecine humaine comme en médecine vétérinaire.

Evolution des résistances dans les Hopitaux des Staphylocoques et des Entérobactéries  ( La plus importante des Entérobactéries : E . coli )
Evolution des résistances dans les Hopitaux des Staphylocoques et des Entérobactéries
( La plus importante des Entérobactéries : E . coli )

Bien sur, cette constatation est reliée à notre manque cruel de mise sur le marché de nouvelles molécules antibiotiques.

Nos découvertes se font rares. Et d’ailleurs, elles ne se décrètent pas,  même si d’importants investissements sont nécessaires de toute façon.

Depuis le début de l’ère antibiotique, en gros la dernière guerre mondiale, les bactéries et les gènes de résistance nous font tourner la tête. A peine la merveilleuse pénicilline découverte, et voici pour nous contrarier l’apparition d’enzymes la détruisant !

Nombre de mises sur le marché de nouvelles molécules antibiotiques.
Nombre de mises sur le marché de nouvelles molécules antibiotiques.

Ces enzymes sont sous la dépendance de gènes de résistance. Et bien ces gènes, les chercheurs ont su très bien les retrouver dans des échantillons anciens, bien plus anciens que l’usage médical de ces antibiotiques !

C’est ainsi qu’on a analysé dans le grand Nord un gène de résistance à la Vancomycine, molécule d’importance majeure, datant de l’époque des mammouths… En épluchant une simple carotte de terre gelée, le pergélisol. Ceci n’est pas vraiment mystérieux : les antibiotiques sont des molécules pour la plupart d’origine naturelle, fort ancienne, et  la guerre des germes est vieille comme le monde !

Années de détection des premières résistances
Années de détection des premières résistances

Seulement voilà : nous avons produit et relaché dans notre biotope d’énormes quantités d’antibiotiques de toutes sortes.

Au bas mot 50 000 tonnes par an, de ces molécules hautement actives, une paille ! En médecine humaine, mais aussi au moins autant en médecine vétérinaire.

Les hauts niveaux de résistance en France sont encore anecdotiques. Nous avons essayé de freiner depuis très peu d’années l’entrée dans nos hopitaux  des germes porteurs des redoutables résistances, les EPC,  grâce à une remarquable organisation. (EPC : Entérobactéries productrices de carbapénèmase)

De retour en France, les 30 000 personnes hospitalisées à l’étranger dans l’année précédente, doivent montrer patte blanche, avant de pouvoir suivre nos filières classiques de soins. C’est à dire qu’elles doivent nous donner des selles, et que ces selles soient vierges de ces  germes indésirés. En attendant, elles sont mises « en quarantaine », en pratique dans des chambres seules, avec obligation d’appliquer certaines précautions d’hygiène renforcées.

Photo historique de la boite de Pétri de Fleming montrant l’antagonisme entre des bactéries et une moisissure, le Penicillium . Visible au musée du St Mary’s Hospital à Londres
Photo historique de la boite de Pétri de Fleming montrant l’antagonisme entre des bactéries et une moisissure, le Penicillium . Visible au musée du St Mary’s Hospital à Londres

C’est facile à écrire sur le papier, c’est très difficile à organiser, mais même les grands hopitaux parisiens ont su éviter leur intrusion.

Malheureusement, si on peut réussir à l’hôpital, pour l’instant, il est tout bonnement impossible d’empêcher leur venue, très progressive, dans notre environnement, sauf à fermer totalement nos frontières !

Ce qui paraît peu réaliste… Nous vivons dans un monde de brassage humain considérable, à l’échelle de l’histoire.  Et les microorganismes nous accompagnent, pendant nos vacances, nos voyages d’affaires ou d’études… .

L’univers bactériel.
L’univers bactériel.

Allez faire un petit tour au Maghreb, ou en Chine, dans la province du Guangdong, ou en Inde : vous avez toute chance, même non malade, de revenir en France avec des clandestins, cachés dans vos intérieurs, vos intestins. D’Inde, c’est neuf  fois sur 10.

Ces germes intestinaux vous seront indifférents, vous les hébergerez à votre retour quelques mois, quelques années peut-être. Mais éliminés par vous, ils se retrouveront quand même, via les stations d’épurations, dans les rejets liquides ou solides de ces dites stations : elles assainissent, certes, mais elles ne stérilisent pas ! C’est ainsi que nous ne pouvons échapper à ce péril fécal d’un genre nouveau. Tout notre biotope sera, très lentement, colonisé par ces germes porteurs de haute résistance.

Ce sont dans les pays « surpeuplés », avec peu ou pas d’hygiène collective, où les antibiotiques les plus sophistiqués sont utilisés avec désinvolture, que naissent ces bactéries intestinales bien armées, les BHRE, les bactéries hautement résistantes émergentes. Les élevages industriels sont suspectés également  de favoriser les montées de résistance.

Relevé national (INVS) des épisodes à EPC en France
Relevé national (INVS) des épisodes à EPC en France

Ces BHRE s’invitent partout, et particulièrement dans les pays administrés de manière laxiste, où leur augmentation est impressionnante.

En France, la proportion d’épisodes d’éclosion d’EPC, sans lien avec un voyage augmente. Mais pour l’instant, les vraies infections à EPC restent très rares, grâce à une vigilance consensuelle.

30% en 2011
49% en 2012
58% en 2013…

4 réponses à “Une histoire brève de l’antibio-résistance”

  1. Avatar de Olivier d'Arexy
    Olivier d’Arexy

    Passionnant. Le monde inconnu de la biologie révèle d’étranges similitudes avec l’histoire des hommes.

  2. Avatar de otto lilienthal

    excellent billet, mais au lieu de « parmi temps d’autres. », ne serait-ce pas « parmi tant d’autres » ?

    1. Avatar de Alain Grandjean
      Alain Grandjean

      Merci de votre vigilance, c’est corrigé…
      Cordialement,
      Pablo G

  3. Avatar de BONNEVAL JEAN
    BONNEVAL JEAN

    tirage fait pour lecture ultérieure en temps libre aperçu me remémore l’infiniment grand et infiniment petit matériel de connaissance service en franchise d’expression méthode commerciale british.
    vous remercie M.d’AREXY