La lecture du rapport du Conseil d’Analyse Economique1 sur les effets d’un prix du pétrole élevé et volatile, présenté en juillet 2010 à Christine Lagarde m’a fait prendre conscience du fait qu’il y avait deux débats distincts. C’est peut-être ce qui explique l’incroyable aveuglement de nos dirigeants et l’impréparation de notre pays à un choc pétrolier inévitable. Sans doute sont-ils abreuvés d’études et de conclusions divergentes sur ces deux questions :
- quand le peak oil va-t-il se produire et quelle forme va-t-il prendre (que pourrait être le taux de déclin de la production pétrolière après plafonnement ?)
- quelles en seront les conséquences économiques ?
Sur la première sous-question il me semble que la messe est dite2 : la production de pétrole conventionnel stagne et l‘incertitude sur la date du peak oil se mesure en années. Sur la deuxième sous-question c’est un peu moins clair : les pessimistes pensent qu’on aura un déclin rapide, les optimistes pensent que les innovations permettant de réduire notre dépendance au pétrole freineront la vitesse de ce déclin.
Sur la deuxième question, le débat, que j’espère initié par ce rapport du CAE est plus difficile : un premier raisonnement, simpliste, consiste à se dire qu’une augmentation du baril à 150 dollars ne va pas mener à la fin du monde : la facture pétrolière de la France est inférieure à 50 milliards d’euros, moins de 3% du PIB ; pourquoi parler d’apocalypse3 même dans l’hypothèse d’un doublement de la dite facture, au demeurant improbable ? Il est en effet clair qu’une hausse du prix du baril induira très rapidement des baisses de sa consommation et réduira la hausse de la dite facture. Elle sera par ailleurs favorable aux industries qui proposent des services et produits permettant d’économiser du pétrole, créant de l’emploi à la fois pour le marché intérieur et pour l’export. Inversement tout le monde a en tête que le budget énergie pèse sur les ménages les plus défavorisés et que sa hausse pourrait le plonger dans la pauvreté, réduire leur pouvoir d’achat sur d’autres postes et freiner la croissance.
Pour comprendre les conséquences multiples d’un « choc » pétrolier, il est difficile d’échapper à l’exercice de la modélisation économique, qui vise à en représenter de manière simplifiée les conséquences. C’est ce qu’ont fait nos auteurs qui concluent au fait qu’une hausse du baril à 150 dollars pourrait avoir un effet de baisse du PIB de 1 à 2 %. Pas du tout négligeable, dans une période où la crise des finances publiques semble demander, pour être jugulée, des taux de croissance supérieurs à 2%…C’est d’ailleurs le mérite de ce rapport : sans sonner le tocsin, il insiste lourdement pour que nos dirigeants politiques prennent la mesure de la menace que fait peser sur notre économie la venue d’un pétrole nécessairement plus cher.
Mais faut-il croire en la capacité des modèles macroéconomiques à représenter le monde réel ? Comment peuvent-ils intégrer les phénomènes aberrants que l’ingénierie financière a réussi à produire dans les dernières années ? Comment intègrent-ils des ruptures géopolitiques ou des comportements sociaux imprévisibles ? Les chiffrages du rapport du CAE ne sont-ils pas préétablis, puis justifiés par des calculs savants, en fonction d’une stratégie de communication assez efficace : ne pas faire trop peur mais attirer l’attention ?
Ce doute légitime ne me semble cependant vraiment pas suffisant, quand on pense à la difficulté d’imaginer une civilisation post-pétrole, et encore plus de convaincre nos concitoyens, à froid, de réduire leur dépendance, dont ils ne veulent ou peuvent se sortir. Je crois bien que le risque est élevé que nous connaissions une crise majeure. Essayons d’en faire mieux percevoir les logiques de déroulement et d’en solidifier l’articulation face au déni argumenté.
Alain Grandjean
1 Rapport CAE n°93 de Patrick Artus, Antoine de’Autume, Philippe Chalmin, Jean-Marie Chevallier, voir www.cae.gouv.fr
2 Voir la multiplicité des rapports sur le sujet, par exemple dans le blog de Matthieu Auzanneau
3 Selon le titre de l’ouvrage d’Yves Cochet, Pétrole apocalypse, Fayard 2007
4 réponses à “Peak oil : même pas mal ?”
[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par G.N. MEYER, Chemin vert. Chemin vert a dit: Peak oil : même pas mal ? Considérant un risque élevé de crise majeure, pouvons-nous en parler ? @alaingrandjean http://bit.ly/cwMpyk […]
[…] This post was Twitted by E_volution […]
Je ne comprends plus très bien votre logique … Vous donnez l’impression d’adhérer au mot d’ordre de croissance (pour juguler la crise, il faudrait un taux de croissance supérieur à 2%). Vos livres avec JM Jancovici prennent pourtant de la distance avec la croissance, en tous cas celle que mesure le PIB. Citation : » Le PIB ne nous parait plus aujourd’hui comme la quintessence de l’indicateur pertinent dans un monde fini » (C’est maintenant, p 272).
Merci de votre remarque, qui me permet de préciser mon propos. Ce que je voulais simplement dire c’est qu’il y a deux débats différents mais souvent mélangés : l’un sur la date de provenance du peak oil et l’autre sur ses conséquences économiques. Sur ce deuxième point, j’ai cité pour initier la discussion une étude qui utilise le PIB comme indicateur économique d’estimation des conséquences économiques de la conséquence de la crise engendrée par le peak oil. Le fait de citer cette étude n’est pas une adhésion au PIB ni à ce type d’étude. J’ai même exprimé dans le post de très gros doutes sur la capacité des modèles économiques à dire quelque chose de juste sur l’avenir.
Ce post est un appel à ceux qui pensent que le peak oil est un sujet déterminant à court terme pour qu’ils étaient mieux leurs argumentations sur les conséquences du dit peak oil. Ce n’est pas si simple que cela. Et j’ai observé dans le scepticisme ambiant sur le sujet un facteur de « lassitude » (on a trop crié au loup) et un facteur de scepticisme sur les conséquences annoncées parfois de manière un peu trop péremptoire. C’est pour que nous fassions collectivement mieux face à ce scepticisme que j’adresse ce message.
bien à vous.
AG