Manifeste pour une écologie intégrale, la magnifique encyclique « Laudato si’1 » du pape François fera certainement date. C’est un appel poignant – la référence à François d’Assise n’étant pas théorique – à la sauvegarde de la « maison commune », « notre terre opprimée et dévastée », qui reconnaît la responsabilité de l’homme dans le changement climatique et la crise écologique.
Elle s’exprime de manière universelle (Lire par exemple les louanges de Fabrice Nicolino peu soupçonnable de complaisance avec l’Eglise catholique, qui qualifie cette encyclique de miraculeuse). Elle utilise tous les registres accessibles à l’âme humaine : le spirituel, l’esthétique, l’émotionnel et le compassionnel, le culturel et l’éducatif, mais aussi l’économique. Sa lecture est un véritable choc, par sa nouveauté, sa radicalité, sa simplicité et l’ampleur du domaine couvert. Pensée systémique et complexe comme l’apprécie Edgar Morin qui voit à juste titre dans cette encyclique un appel pour une nouvelle civilisation. L’espérance en la création et en l’ humanité qui l’anime est véritablement fortifiante.
J’en ai fait un commentaire très court et exclusivement relatif à l’économie dans Alter Eco+. Sur ce plan il est indéniable que le pape marque une rupture avec la pensée de l’Eglise, même s’il prend soin de s’inscrire dans la continuité de la pensée sociale de l’Eglise et de ses prédécesseurs . Comme le dit le philosophe Fabrice Hadjadj, il brise « l’attelage boiteux » entre les catholiques et « le monde technolibéral de la croissance illimitée ». Le troisième chapitre (la racine humaine de la crise écologique) contient en effet une critique sans concession du « paradigme technocratique », terme probablement rare dans une encyclique !
Il dénonce avec une rare vigueur les excès de la finance « qui étouffe l’économie réelle ». « Sauver les banques à tout prix, en en faisant payer le prix à la population, sans la ferme décision de revoir et de réformer le système dans son ensemble, réaffirme une emprise absolue des finances qui n’a pas d’avenir et qui pourra seulement générer de nouvelles crises après une longue, coûteuse et apparente guérison». (189). Il appelle implicitement les dirigeants bancaires et financiers du monde entier à se souvenir de l’épisode du veau d’or. Ce retour aux sources du christianisme qui met en garde l’humanité face à la tentation d’adorer l’argent-roi et appelle à cantonner l’argent dans un rôle de serviteur est bienvenu. « Nul ne peut servir deux maîtres » (Matthieu 6:24). Le pape n’a pas de mots assez durs pour moderniser ce propos et nous faire comprendre l’actualité de ce précepte moral.
Le débat de Gaël Giraud avec le numéro 2 du MEDEF Geoffroy Roux de Bézieux éclaire magnifiquement le trajet qu’il reste à faire à nos élites économiques pour s’aligner sur cette pensée qu’elles ne peuvent discréditer aisément.
L’influence de cette encyclique et la question démographique
Même si je me sens comblé par cette encyclique, et peu enclin à émettre des réserves sur un document aussi remarquable dans sa globalité, il me semble nécessaire d’évoquer deux points de débat. Cette encyclique peut-elle avoir de l’influence (si oui, ça vaut le coup de se battre pour sa diffusion) et est-elle claire sur l’enjeu démographique, souvent présenté comme l’enjeu premier sur le plan écologique.
Sur le premier point, Odon Vallet rappelle à juste titre, en citant celle de Paul VI qui a malheureusement ralenti la contraception qu’une encyclique peut avoir une influence immense. Aux Etats-Unis, pays déterminant pour la question climatique, un quart de la population est catholique. Dans le monde 1,4 milliards d’habitants se déclarent catholiques et 2,4 milliards sont chrétiens et ne peuvent être insensibles à cette encyclique d’écriture universelle.
Au plan démographique, François est nuancé et habile. Je le cite intégralement :
« Au lieu de résoudre les problèmes des pauvres et de penser à un monde différent, certains se contentent seulement de proposer une réduction de la natalité. Les pressions internationales sur les pays en développement ne manquent pas, conditionnant des aides économiques à certaines politiques de “santé reproductive”. Mais « s’il est vrai que la répartition inégale de la population et des ressources disponibles crée des obstacles au développement et à l’utilisation durable de l’environnement, il faut reconnaître que la croissance démographique est pleinement compatible avec un développement intégral et solidaire ».2 Accuser l’augmentation de la population et non le consumérisme extrême et sélectif de certains est une façon de ne pas affronter les problèmes. On prétend légitimer ainsi le modèle de distribution actuel où une minorité se croit le droit de consommer dans une proportion qu’il serait impossible de généraliser, parce que la planète ne pourrait même pas contenir les déchets d’une telle consommation. En outre, nous savons qu’on gaspille approximativement un tiers des aliments qui sont produits, et « que lorsque l’on jette de la nourriture, c’est comme si l’on volait la nourriture à la table du pauvre ».3 De toute façon, il est certain qu’il faut prêter attention au déséquilibre de la distribution de la population sur le territoire, tant au niveau national qu’au niveau global, parce que l’augmentation de la consommation conduirait à des situations régionales complexes, à cause des combinaisons de problèmes liés à la pollution environnementale, au transport, au traitement des déchets, à la perte de ressources et à la qualité de vie, entre autres. » (50).
Il a bien compris que la crise écologique et notamment le dérèglement climatique sont d’abord dûs aux excès des plus riches de cette planète (classes moyennes de nos pays compris) ; et que dans les toutes prochaines décennies la démographie n’est pas le levier prioritaire. Tout simplement parce qu’il est trop tard, nous serons en toute hytpohèse 9 à 10 milliards sur cette planète en 2050, or c’est d’ici là qu’il faut agir !
Quelques chiffres le montrent. Nous émettons actuellement 50 milliards de tonnes de Gaz à Effet de Serre, soit en gros 7 tonnes par habitant. Pour limiter la hausse de la température moyenne planétaire il nous faut passer à 20 milliards environ en 2050, soit 2 tonnes par habitant (les dernières projections démographiques estiment la population en 2050 à près de 10 milliards d’habitants ; (voir aussi). Or les habitants les plus pauvres de la planète émettent aujourd’hui moins de une tonne par habitant (voir graphique). C’est donc bien aux plus riches de faire l’effort. C’est d’ailleurs l’un des enjeux clefs de la COP21 !
Panorama mondial des émissions de GES. CDC Climat. (http://www.cdcclimat.com/IMG//pdf/14-10_reperes_2015_fr_partie_2.pdf)
Le pape est cependant attentif à la question, et sachant qu’il marche sur des œufs, on peut apprécier sa conclusion : « De toute façon, il est certain qu’il faut prêter attention au déséquilibre de la distribution de la population sur le territoire. » On aurait certes pu souhaiter qu’il soit plus explicite, mais l’être sur un tel sujet lui aurait demandé un tel développement qu’il aurait déséquilibré l’ensemble, pour un résultat discutable.
N’est-il pas politiquement plus adroit de :
- 1. Mettre les plus riches et puissants devant leur responsabilité
- 2. Faire prendre conscience à la communauté catholique et probablement chrétienne (2,4 milliards d’habitants) de la cause écologique et de ses liens avec l’ensemble des valeurs de cette communauté ?
Un texte à lire et relire
Je fais rarement ici la promotion d’un livre (à ce jour il s’en est vendu 100 000 exemplaires en un mois en France, ce qui est vraiment mérité). Je me permets ici d’insister : ce texte est, sur les enjeux écologiques et leur lien consubstantiel avec les enjeux sociaux, le plus remarquable que je connaisse par sa simplicité, sa force émotionnelle, sa force de conviction, et sa profonde spiritualité.
Je terminerai en citant Nicolas Bouleau :
« Ce qui frappe dans ce texte, c’est la qualité des arguments et la justesse des analyses et des faits scientifiques pris en compte. Une image de la religion pleine d’intelligence et de lucidité. D’un seul coup on se rend compte que l’Eglise catholique, vivifiée par les jeunes et des procédures bottom-up parvient bien mieux que les politiques à un projet clair et courageux pour l’avenir. Il y a dans ce texte une sorte de « bonne leçon » de pouvoir temporel donnée aux politiciens et aux puissants. J’ai l’impression que Dieu lui-même a rajeuni. »
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[2] Conseil Pontifical «Justice et Paix», Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église, n. 483.
[3] Catéchèse (5 juin 2013) : Insegnamenti 1/1 (2013), 280 ; ORf (5 juin 2013), n. 23, p. 3.
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