Alexis Tsipras a trahi sa parole et ses électeurs en acceptant un plan d’austérité (voir les commentaires détaillés) de Yanis Varoufakis), imposé par le « quadrige » (Troïka + MES), voisin si ce n’est plus dur que celui que les grecs avaient refusé par référendum. Il a également porté un coup violent aux espoirs que son élection avait suscités en Europe. Cette trahison pourrait bien accroître encore chez les citoyens le rejet de l’Europe et du politique. Accroître aussi le sentiment de résignation que ceux qui n’acceptent pas la politique économique européenne mais finissent par croire qu’il n’y a vraiment rien à faire pour en sortir. Et, in fine, accroître le poids du vote pour les partis extrémistes. Il est donc utile d’en comprendre l’origine de cette trahison, indépendamment des particularités de la question grecque.
Alexis Tsipras a eu comme mentor François Hollande (qui a en effet aidé Tspipras à accepter le choléra d’une politique « austéritaire » au sein de l’Euro à la peste d’une sortie de l’Euro souhaitée par l’Allemagne) qui l’avait précédé dans le chemin de la trahison. Après avoir affirmé pendant sa campagne électorale « mon ennemi c’est la finance » il a fait le nécessaire pour que la France adopte en vitesse une loi de non-séparation bancaire et prenne de vitesse le commissaire européen d’alors Michel Barnier qui en concoctait une plus sérieuse au niveau européen (voir le livre Mon amie c’est la finance) qui en raconte l’histoire et les éléments du débat sur ce blog. François Hollande contribue aussi à la signature du TTIP et au projet d’union des marchés de capitaux…
Mondialisation financière : les socialistes à la manoeuvre
Il a lui-même suivi l’exemple de François Mitterrand et de quelques hauts personnages socialistes, à qui on doit la mise en place méthodique de l’ouverture de l’Europe et de la France à la mondialisation financière dans les années 80. C’est Jacques Delors, président de la commission européenne de 1985 à 1994 qui a fait préparer et voter l’acte unique européen en 1986 ((Art 16-4 « Le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée [… Le Conseil] s’efforce d’atteindre le plus haut degré de libération possible. L’unanimité est nécessaire pour les mesures constituant un recul en matière de libération des mouvements de capitaux. ») et le traité de Maastricht en 1992. Il a notamment joué un rôle déterminant dans la dérégulation des marchés financiers en décidant de pousser la libéralisation bien plus loin que ne le prévoyait à l’origine le programme de marché unique. Il introduit notamment avec Pascal Lamy, un autre ténor socialiste, longtemps directeur général de l’OMC, la directive 88/361 sur les mouvements de capitaux en juin 1988 précisant qu’« aucune transaction, aucun transfert de capitaux n’échappait à l’obligation de libéralisation ».
C’est sous la présidence de François Mitterrand (1981 à 1995) qu’est voté le traité de Maastricht et que les mesures de déréglementation financière sont prises en France. Son tableau de chasse est impressionnant (voir http://www.les-crises.fr/deregulation-financiere/) :
- 1984 : loi bancaire dérèglementant le métier bancaire.
- 1985 : réforme du marché monétaire. Création des titres de créances négociables. Introduction des bons du Trésor standardisés. Ouverture du marché à tous les investisseurs.
- 1986 Ouverture le 20 février à Paris du Marché à terme d’instruments financiers (M.A.T.I.F., bientôt rebaptisé Marché à terme international de France).
- 1986 : loi Bérégovoy sur la dérèglementation financière (déréglementation, désintermédiation, décloisonnement, désinflation) ;
- 1987 Ouverture à Paris du Marché des options négociables de Paris (Monep). Introduction des premières options sur indice CAC 40 en novembre 1988.
- 1988 : la France accepte le principe de la fin du contrôle des changes et la liberté de circulation des capitaux (sans création de la moindre harmonisation fiscale européenne).
- 1988 : Loi du 22 janvier sur la réforme boursière en France. Dissolution de la Compagnie des agents de change et création de la Société des Bourses françaises (rebaptisée quelques années plus tard Paris Bourse S.A.).
- 1988 : Création le 15 juin de l’indice CAC 40 composé des 40 valeurs parmi les plus liquides de la place de Paris.
- 1990 : forte diminution de la fiscalité sur les revenus du capital
- 1992 : traité de Maastricht (« toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites ») ;
On doit par ailleurs à Dominique Strauss-Khan (ministre des finances de Lionel Jospin) la création d’un régime fiscal avantageux pour les stock-options en 1998…
Bref les socialistes portent la responsabilité historique d’avoir libéré le capitalisme financier. On peut comprendre leur souhait de prendre des distances par rapport au marxisme et de lui préférer une social-démocratie qui reconnaisse la nécessité du marché, des entreprises et des banques. Et il est inutile de revenir sur l’échec du communisme réel. En revanche on comprend plus difficilement cet acharnement à dérouler un tapis rouge au capital financier. Il serait lié, selon l’interprétation qu’en fait Gaël Giraud, à une croyance en la capacité de l’échelon international à dépasser les errements de l’étage national. Je reprends ici son propos :
« Ceux qui ont pensé et organisé l’architecture mondiale d’une planète régie d’abord par la mobilité du capital, ce ne sont pas les « loups » de Wall Street (qui se seraient volontiers contenté de relations bilatérales à la manière du TAFTA, lesquelles permettent de dépecer un pays en silence), ni l’administration de Washington. Ce sont des Français et, majoritairement, socialistes et, souvent, chrétiens : Jacques Delors, Pascal Lamy, Michel Camdessus, DSK… C’est cette génération qui, déçue par le prétendu échec de 1981-1983, se convainc que la finance de marché mondialisée, c’est l’avenir de l’humanité, et qui « pense » l’architecture de la globalisation néo-libérale via quatre institutions majeures (où l’on retrouve beaucoup de Français à la manoeuvre) : le FMI, l’OCDE, l’UE et l’OMC.
A la fin des années 1990, Delors proposera même que le FMI puisse infliger des sanctions à n’importe quel pays qui prendrait des mesures défavorables à la mobilité du capital. Et ce sera Washington qui, avec le pragmatisme qu’on lui connaît, mettra son veto à cette idée…
Pour oser penser une mondialisation néo-libérale multilatérale, il fallait des Français pétris de l’universalisme de la Révolution et de Victor Hugo, des socialistes fascinés par une finance internationale sans lutte des classes, et des chrétiens qui ont reproduit inconsciemment le vieux projet pontifical (très pugnace tout au long du Moyen-Age, et jusqu’au Concile de Trente) d’un règne « spirituel » au-dessus des souverains légitimes, par le droit (canon pour les uns, le droit international pour les autres). »
Reconnaître ses erreurs ou continuer à trahir?
La mondialisation financière profite évidemment aux …financiers qui voient leur terrain de jeux s’agrandir, les contraintes réglementaires et fiscales s’alléger. Les banques « too big too fail » peuvent prendre plus de risques, puisqu’elles savent que les Etats ne les laisseront pas tomber. Les produits dérivés, les commissions bancaires (substantielles quand il s’agit de monter des opérations de titrisation par exemple), les prêts aux hedge funds et autres leur fournissent des revenus supérieurs à ceux de l’ennuyeuse banque à papa, qui consistent à analyser des risques de crédit (il vaut mieux les sortir de son bilan) et se faire rémunérer par les seuls intérêts des emprunts à l’économie réelle.
Les inégalités sociales ont augmenté. « La France a connu une réduction des inégalités de revenus au cours des quarante dernières années, mais depuis 15 ans la tendance s’est inversée. » comme le montrent ces deux graphiques[1].
La mondialisation financière fait peser une énorme pression sur les entreprises et leurs salariés, soumis à la nécessité de sortir des résultats satisfaisant leurs actionnaires, et à une concurrence internationale toujours plus dure.
Je ne vais pas refaire ici en quelques lignes tout le procès de la mondialisation financière, mais il est clair qu’elle n’est pas en faveur des citoyens les plus fragiles ni même des classes moyennes, supposés être l’électorat socialiste[2]. Elle est globalement favorable aux personnes les plus diplômées, nomades et défavorables aux sédentaires.
Comme on l’a vu dans un précédent post la gestion actuelle de l’Euro fait évidemment la part belle à cette mondialisation et n’en constitue en rien un rempart bien au contraire. La poursuite de cette construction sur les mêmes bases ne pourra en rien les changer… comme l’aurait dit Jacques de La Palisse.
Il est tout-à-fait possible de concevoir et de mener une politique sociale, démocratique et écologique, reposant sur le marché et la concurrence mais l’encadrant, s’appuyant sur les entreprises mais refusant qu’elles ne soient conduites que pour maximiser la valeur pour leurs actionnaires. Reposant sur un système bancaire et financier modernes mais refusant les abus de pouvoir liés à l’excès de taille, et refusant que l’Etat donc les citoyens assument les erreurs. Refusant aussi les pertes et inégalités fiscales considérables liées aux paradis fiscaux et opérations organisées par les banques (voir par exemple le livre de Hervé Falciani, Séisme sur la planète finance relatif au scandale HSBC), et par les multinationales via des prix de transfert qui leur permettent de réduire fortement leurs impôts[3].
Tout ceci est possible et souhaitable. La théorie économique et les faits ont montré qu’il fallait en finir avec l’ouverture tous azimuts de tous les espaces économiques à la liberté de circulation des marchandises et des capitaux. Mais il est indispensable de reconnaître les erreurs commises, d’en comprendre la source idéologique, pour pouvoir tourner la page. Sans cette remise à zéro, la trahison socialiste continuera.
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[1] Voir la définition de l’indice de Gini
[2] C’est sans doute pour cela qu’ Olivier Ferrand fondateur du think tank Terra Nova avait signé avec Bruno Jeanbart et Romain Prudent en 2011 un rapport très remarqué sur la nécessité de changer la stratégie électorale du PS.
[3] On doit à Pascal Saint–Amans une action puissante et efficace au niveau de l’OCDE contre ces pratiques, qui vont donc être limitées
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